Analyse conjoncturelle et perspectives d’avenir pour la nouvelle législature
Alors que le Luxembourg est entré en récession, les entreprises attendent du nouveau Gouvernement des actions rapides qui créeront un nouvel élan dès 2024. Leurs attentes sont claires : un cadre légal favorable à l’entrepreneuriat, un marché compétitif, un accès facilité aux ressources et à l’énergie, un environnement économique stable, des incitations pour attirer les meilleurs talents sur le marché du travail, une simplification des procédures, etc. Si l’Accord de coalition comporte de vrais signaux positifs, avec des engagements attendus de longue date, le Gouvernement devra les mettre en œuvre sans tarder pour rétablir la confiance des acteurs économiques et des consommateurs, relancer la dynamique et soutenir la rentabilité des entreprises. Trois facteurs seront déterminants : le timing de mise en œuvre, la priorité accordée, ainsi que l’impact sur les finances publiques en période d’immenses incertitudes.
En 2023, l’économie mondiale a tourné au ralenti, affectée par la persistance de l’inflation et la remontée brutale des taux d’intérêt. Sur les différents continents, le ralentissement des activités, les tensions géopolitiques et des replis identitaires fragilisent la prospérité et pèsent sur la confiance des acteurs économiques. A ceci s’ajoutent des incertitudes sur les approvisionnements, un risque accru de globalisation des conflits et des défis climatiques. Conséquence de ces évolutions : la dette mondiale a atteint des niveaux records, créant une volatilité notable sur les marchés financiers. Cette conjonction d’évènements soulève des questions cruciales pour la stabilité économique globale et appelle à une maîtrise des dépenses publiques.
La croissance, sur laquelle repose le modèle luxembourgeois, est enrayée. Ces derniers mois, les taux d’inflation élevés ont sévèrement réduit le pouvoir d’achat des ménages. La remontée des taux d’intérêt pour contrer cette flambée des prix a provoqué une crise de la demande. Elle affecte en même temps les conditions de financement des entreprises. Il en résulte une nette dégradation du climat des affaires.
L’année 2024 ne s’annonce pas plus facile. Certes, l’inflation pourrait reculer dans l’Union européenne, mais le PIB est atone et la croissance attendue pour 2024 est de 1,3%. La capacité de l’Allemagne - qui reste le principal partenaire économique et commercial du Grand-Duché - à réenclencher un cycle de croissance après son entrée en récession sera décisive (tant les effets domino sur les échanges économiques régionaux peuvent être puissants).
Après un recul du PIB luxembourgeois estimé à 0,6% cette année, un rebond de 1,4% est attendu en 2024 et l’inflation devrait persister à 3%. D’autres indicateurs macroéconomiques appellent aussi à la vigilance : le chômage repart à la hausse et la dette publique s’approche rapidement de la barre purement luxembourgeoise des 30%.
Raviver la confiance des entreprises luxembourgeoises
Cette situation pèse lourdement sur la confiance des entreprises. Dans le récent Baromètre de l’Economie, 54% des entreprises répondantes ont affirmé que leur activité a stagné ces six derniers mois et 27% disent qu’elle a régressé. Certains secteurs sont particulièrement pessimistes pour l’avenir : 42% des entreprises de la construction, 39% des entreprises industrielles et 26% des entreprises de transports prévoient une baisse de leur activité.
Dans ce contexte, les entreprises attendent des mesures incisives et rapides du nouveau Gouvernement. L’Accord de coalition comporte un certain nombre d’engagements prometteurs. « Le Gouvernement donne un nouveau cap et apporte des pistes pour rétablir la confiance. Les annonces pour digitaliser davantage, simplifier plus rapidement les procédures administratives, renforcer la diversification économique, lutter contre la crise du logement et faciliter l’organisation du travail vont dans la bonne direction. Mais l’exercice est périlleux dans un contexte de conjoncture incertaine avec des marges de manœuvre budgétaires qui s’érodent », résume Carlo Thelen.
La promotion de l’entrepreneuriat et une réforme du statut de l’indépendant marquent des engagements importants. Les récentes améliorations apportées par la réforme du droit de la faillite devront quant à elle être clarifiées et ajustées pour être pleinement opérables au plus vite, notamment au niveau de la détection précoce des entreprises en difficulté et de la mise en œuvre du nouveau dispositif de conciliation d'entreprise. Il en est de même pour la « seconde chance » entrepreneuriale, qui attend à être pleinement opérationnalisée.
Dès que la demande reprendra, la relance reposera notamment sur un marché du travail performant, attractif et ouvert. Faciliter l’organisation du travail et disposer d’un vivier de talents doit répondre à un besoin soulevé par les employeurs. Et par extension redynamiser tout l’écosystème. La Chambre de Commerce salue tout particulièrement la volonté du Gouvernement de maintenir la semaine de 40 heures et d’élaborer une réforme quant à l’organisation du travail dans le cadre du dialogue social. Une réforme du plan d’organisation du travail (POT) et une annualisation du temps de travail sont des signaux importants. La possibilité pour les salariés de travailler jusqu’à 8 heures le dimanche répond également aux attentes de beaucoup d’entreprises. En revanche, la Chambre de Commerce regrette que le Gouvernement n’affiche pas une volonté claire de réformer le système d’apprentissage en profondeur. Il serait également intéressant d’envisager de nouvelles incitations pour un maintien dans l’emploi des travailleur seniors.
Les engagements à multiplier les investissements pour sécuriser notre accès à l’énergie à des tarifs compétitifs, à travers le photovoltaïque ou l’hydrogène notamment, sont prometteurs. Le Gouvernement semble partager l’approche pragmatique des chefs d’entreprises, déterminés à opérer la transition écologique, mais selon une logique d’incitation et non de contrainte. A ce titre, elle regrette que l’augmentation prévisionnelle de la taxe CO2, trop rapide à ses yeux, ne fasse pas l’objet d’une révision.
Si les entreprises du Grand-Duché ont déjà réalisé de nombreux efforts pour décarboner leurs activités, elles ont besoin d’être continuellement soutenues et guidées dans la transition écologique et énergétique pour atteindre la neutralité climatique en 2050 et les différents objectifs intermédiaires, particulièrement ambitieux, fixés pour 2030. Seules les entreprises qui parviendront à adapter leur modèle auront une réelle chance de rester pérennes et rentables à long terme. La simplification des procédures est ainsi un levier important, que les entreprises ne cessent de réclamer dans les diverses enquêtes menées par la Chambre de Commerce. Les propositions de l’Accord dans ce sens sont donc réjouissantes. Tout comme les annonces faites pour soutenir l’extension de la digitalisation aux services publics et privés pour réaliser une data-driven economy, ainsi qu’un soutien aux PME à se prémunir contre les cyberattaques.
Au regard de l’aménagement du territoire, la Chambre de Commerce salue les engagements qui ont été pris pour mieux répondre à la demande en matière de logement, en stimulant la construction notamment. Les acteurs privés peuvent contribuer à atteindre les objectifs en la matière, notamment dans le domaine du logement abordable. Au niveau de la mobilité et du développement du tissu industriel, les investissements publics doivent être poursuivis. Par ailleurs, la Chambre de Commerce rappelle l’importance de la coopération transfrontalière avec les régions voisines tant sur les équipements publics qu’en matière de zones d’activités et de programmes de formations pour une main-d’œuvre qualifiée.
En matière de fiscalité, l’annonce de la réduction du taux d’imposition pour les entreprises est un nécessaire premier pas. Cette réduction devra s’inscrire dans un contexte global face à une compétition fiscale qu'y s'intensifie, le taux d'impôt sur les sociétés ayant diminué dans 97 juridictions entre 2000 et 2022 selon l'OCDE. En revanche, la Chambre de Commerce constate qu’aucune réforme structurelle du système d’indexation automatique et généralisée des salaires ne soit envisagée. Les entreprises, qui ont dû financer cinq indexations des salaires en deux ans, ont vu leur rentabilité fortement affectée. Selon les résultats du dernier Baromètre de l’Economie, le coût de la main-d’œuvre est devenu la préoccupation première des entrepreneurs.
Enfin, qui dit capacité d’investissement dans l’avenir dit finances publiques saines et soutenables. Or jusqu’alors, les déséquilibres des différents régimes de sécurité sociale ont été peu débattus, voire minimisés. Si l’Accord de coalition prévoit une large consultation en matière de pensions, ce sont des actions concrètes et rapides qui sont attendues. Il en va de la solidité budgétaire du pays, mais aussi du maintien du triple A.
« Il appartient désormais au Gouvernement de passer des annonces aux actes. Et surtout de le faire rapidement. Les finances publiques luxembourgeoises étant fortement corrélées à l’évolution macroéconomique, les impacts sur les soldes budgétaires seront importants, si les projets tardent à se concrétiser » prévient Christel Chatelain, Directrice des Affaires économiques.
Le cap est donné. Le Gouvernement l’a inscrit dans sa trajectoire : soutenir la prospérité économique, c'est investir dans le bien-être de tous.
« L’enjeu, c’est de conserver la substance économique au Luxembourg car elle s’effrite pour des raisons conjoncturelles et structurelles, conclut Carlo Thelen. C’est en agissant dès les premiers mois de son mandat que le Gouvernement enverra les signaux qu’attendent les entreprises pour retrouver la confiance perdue et pour que l’année 2024 soit celle d’une relance économique conséquente ».