Après une année 2022 marquée par une conjoncture économique mondiale qui a connu de vifs coups de froid, les perspectives pour les entreprises luxembourgeoises en 2023 se caractérisent par l’incertitude et une importante pression sur leur rentabilité. Malgré une certaine résilience des entreprises en 2022, le fondement de la croissance reste très vulnérable et le pays est confronté à un frein structurel de l’activité économique impactant son attractivité, sa résilience face à des chocs ultérieurs et sa capacité de se préparer aux nombreux défis socio-économiques, dont les transitions environnementales et digitales et l’équilibrage des finances publiques.
En début d’année, alors que la crise sanitaire s’éloignait du spectre de l’actualité, l’invasion russe en Ukraine est venue assombrir le paysage économique planétaire. Cette onde de choc brutale a précipité l’envolée des prix de l’énergie et des matières premières ajoutant un point d’orgue aux autres chocs économiques que les entreprises subissaient d’ores et déjà : rupture des chaînes d’approvisionnement en raison de ports asiatiques à l’arrêt, une pénurie de matériaux et un manque de main d’œuvre qualifiée sous l’aune d’un marché du travail qui reste tendu. Ces maux successifs ont pour principale conséquence la persistance d’une inflation soutenue qui affecte le pouvoir d’achat des ménages et le coût de production des entreprises.
La croissance dans la zone euro s’est ralentie et est désormais estimée à 3,2% pour 2022, 0,3% en 2023 et à 1,5% en 2024 selon les dernières prévisions de la Commission européenne. Le ralentissement en 2023 est notamment lié à de nombreux facteurs persistants tels que l’ampleur encore incertaine de la politique monétaire pour freiner la trajectoire de l’inflation, les coûts des ressources énergétiques qui continuent à peser sur les charges des entreprises, une confiance générale vivement entaillée auprès des agents économiques et une pénurie de talents difficile à combler.
Au Luxembourg, la situation économique peut sembler être en relative bonne santé mais elle est en réalité dopée par différents effets, comme l’a expliqué Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce. Le Grand-Duché n’échappera pas à la zone de turbulence et au ralentissement économique avec un taux de croissance qui devrait plafonner à 1,7% en 2022 et à 1,5% en 2023 selon les dernières prévisions du STATEC. En 2022, l’emploi croit deux fois plus que le PIB, symbolisant la baisse de productivité du travail constaté au Luxembourg. La récente loi de programmation pluriannuelle 2022-2026 prévoit des déficits cumulés de 9,6 milliards au niveau de l’Etat central. La « croissance » est acquise au prix fort et notamment via un creusement de l’endettement (29,5% par rapport au PIB fin 2026). La dette de 14 milliards en 2019 passerait alors à 27 milliards en 2026 selon les projections. Un doublement en l’espace de sept ans qui inquiète fortement la Chambre de Commerce au regard de la menace en découlant pour le triple A essentiel pour la place financière.
Le fondement de la croissance est structurellement de plus en plus vulnérable.
L’action politique est ainsi déterminante alors que le fondement de la croissance est davantage menacé. Le Luxembourg est lanterne rouge au niveau de la rentabilité. L’évolution du coût salarial unitaire est très défavorable en comparaison internationale, avec une hausse de 17,4% entre 2017 et 2021 (contre 8,8% sur la zone euro). Au 2e trimestre 2022, la perte de valeur ajoutée pour l’industrie atteint 8,6%, pour la construction elle est de 8,7% et pour le secteur des TIC c’est 5%. Dans le cadre du récent Baromètre de l’Economie S2-2022, un quart des entreprises ont également annoncé réduire les investissements ces prochains mois et un tiers craignent une baisse supplémentaire de la rentabilité. Autre indicateur : seulement 17% des entreprises luxembourgeoises disent encore exporter (contre 24% lors du semestre précédent), qui peut refléter une perte de compétitivité à l’international.
La place financière, pourvoyeuse d’une part substantielle des recettes de l’Etat, suffoque pour sa part sous le poids des régulations. L’industrie des fonds d’investissement perd lentement mais sûrement des parts de marchés face à la concurrence internationale.
L’addition salée de ces évolutions négatives pour notre économie risque de tomber définitivement en 2023, alors que le Luxembourg ne surperforme plus. En 2022, la croissance du Luxembourg n’atteint que de moitié celle de l’Europe. « A moyen terme et si rien n’est fait, les perspectives de croissance du Luxembourg se situeront entre 1% et 2%, loin des 3% à 4% de taux croissance historiques nécessaires pour financer le système généreux de protection sociale et le niveau élevé et peu sélectif des dépenses courantes dont notamment la gratuité non ciblée de nombreux services et prestations », a souligné Carlo Thelen.
Les entreprises voient l’environnement conjoncturel se dégrader avec de nouvelles tranches indiciaires (au moins deux voire trois en 2023) et une hausse du SSM de 3,2% prévue en janvier 2023. Cette hausse constitue la 6e augmentation depuis 2018, élevant le SSM de 16,5% en 4 ans.
Sur les questions d’accès et de coûts à l’énergie, le défi est global et partagé pour tous les pays. L’Europe doit réussir la nécessaire transition écologique pour améliorer sa souveraineté énergétique, ce qui ne devrait pas aller sans conséquence sur l’inflation puisque le coût de cette transition est estimé à près de 11 200 milliards d’euros pour la décennie à venir.
Des réformes et des débats.
Le Luxembourg se doit de trouver les réponses adéquates pour assurer une croissance stimule le cadre socio- économique et protège l’environnement, tout en maîtrisant les dépenses publiques. « Il nous faut surtout et prioritairement une stratégie pour sortir de la spirale d’endettement » explique Carlo Thelen. Ceci passe par une meilleure maîtrise des dépenses publiques courantes et des priorités claires sur les politiques d’investissement. Une simplification administrative, des politiques de soutien pour attirer de nouveaux talents, une flexibilisation de l’organisation du travail et un renforcement de l’attractivité fiscale pour les entreprises sont tout autant nécessaires.
« Au final, les entreprises doivent pouvoir travailler. Les aides de l’Etat ont été nécessaires face à la crise du Covid et aux chocs énergétiques. Désormais, il nous faut toutefois avoir un cadre structurel pro-business, stimulant et propice au développement de l’activité économique plutôt qu’un système sous perfusion », résume Carlo Thelen.
Pour nourrir les réflexions et en vue des élections législatives de 2023, la Chambre de Commerce réalisera six livrets thématiques avec des mesures concernant les grands domaines suivants : marché du travail, emploi, talents et attractivité, transition environnementale, nouvelles technologies / digitalisation / R&D, aménagement du territoire, attractivité et compétitivité du modèle économique et enfin finances publiques, pensions et protection sociale. Des tables rondes réunissant les chefs d’entreprises et les représentants des partis politiques permettant de discuter ces documents de réflexion seront organisées pour animer le débat public sur ces thématiques hautement importantes pour le développement futur de la société.
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