Projet de loi portant réforme de l’enseignement secondaire
Si la globalisation de l’économie et l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont profondément transformé le monde du travail et les modes de vie de nos sociétés modernes, les lois et règlements régissant l’enseignement secondaire, ainsi que les méthodes d’enseignement ont fort peu évolué au Luxembourg depuis les années quatre-vingts. Pour remédier à cette situation, le Gouvernement vient de présenter une proposition de loi visant à réformer l’enseignement secondaire. Dans l’avis qu’elle vient de publier, la Chambre de Commerce approuve la plupart des mesures proposées, mais estime que la réforme ne pourra pleinement porter ses fruits qu’à condition que l’enseignement rigide des langues soit enfin adapté à la réalité démographique et ce dès l’école primaire, que l’acquisition de compétences soit davantage valorisée par rapport à la simple accumulation du savoir et que l’école s’ouvre davantage au monde professionnel.
Si l’Internet, les ordinateurs et les téléphones portables ont largement transformé notre façon de vivre, de penser et de travailler, ils ont également eu et continuent à avoir un impact considérable sur la manière de transmettre le savoir et de conférer des compétences. Il apparaît dès lors tout à fait inéluctable que la modernisation de nos sociétés et modes de vie soit accompagnée d’une modernisation équivalente des méthodes et structures d’enseignement. Le projet de loi que le Gouvernement vient de présenter pour réformer l’enseignement secondaire entend répondre à ce besoin de renouvellement en ambitionnant de doter le pays d’un système d’éducation moderne, proche des besoins de la société et de valoriser la performance au détriment d’un nivellement vers le bas quasi généralisé.
Bien que la Chambre de Commerce émette quelques réserves quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif ambitieux, elle partage entièrement l’analyse selon laquelle une réforme en profondeur de l’enseignement secondaire est tout à fait impérative. Aussi, dans sa prise de position, elle rappelle que le cadre légal et réglementaire régissant l’enseignement au Luxembourg date de la fin des années 1960 et – malgré certaines modifications et adaptations – n’a jamais été soumis à une réforme extensive. Or, la société luxembourgeoise a considérablement évolué au cours des 4 dernières décennies et a notamment connu une forte immigration et croissance démographique. Ainsi, depuis l’année 1991, la population a augmenté de 127.600 citoyens, dont quelque 108.300 étrangers, portant la quote-part d’étrangers à 43%.
Pour un enseignement des langues adapté à la réalité démographique
Le système d’enseignement devra forcément tenir compte de cette évolution démographique, d’autant plus qu’elle va se poursuivre dans les années à venir. Aujourd’hui déjà, plus de 40% des élèves fréquentant les écoles et lycées du pays sont non-luxembourgeois et plus de 60% des enfants en première année de l’école primaire ne parlent pas la langue luxembourgeoise chez eux. Le système scolaire luxembourgeois devra apporter des réponses adaptées à cette nouvelle réalité. Il faudrait donc renoncer aux pratiques rigides d’enseignement des langues étrangères, qui sont directement responsables d’une grande partie des échecs scolaires. En effet, le système actuel de l’apprentissage des langues exige que chaque élève maîtrise parfaitement au moins trois langues, à savoir l’allemand, le français et le luxembourgeois. Or, cet objectif est rarement atteint. Soit les jeunes ont des lacunes importantes en allemand (c’est souvent le cas pour les jeunes issus de familles romanophones) soit en français (c’est souvent le cas pour les jeunes à la fin du lycée classique). Le tout sans que l’anglais ne puisse trouver une place suffisante tel que l’exigerait le fait que c’est bien cette langue qui domine de plus en plus dans les relations diplomatiques et économiques internationales.
La Chambre de Commerce propose donc de privilégier une voie d’enseignement flexible et souple assurant la bonne maîtrise d’une des langues administratives pratiquées au Luxembourg, respectivement d’une deuxième mais à un niveau moindre. Une telle approche resterait compatible avec le multilinguisme, qui constitue un des atouts du Luxembourg, tout en réduisant le risque d’exclusion. Elle pourrait être appliquée dès l’école primaire, en donnant à l’écolier, puis à l’élève, le choix de la langue principale dite primaire (soit l’allemand ou le français), respectivement de la langue dite secondaire qui sera fonction du choix précédent. Par ailleurs, l’accent devrait être mis davantage sur la pratique orale et l’atteinte de niveaux de compétence opérationnels. Finalement, la Chambre de Commerce estime que l’enseignement de l’anglais débute bien trop tardivement dans le parcours scolaire. Or, la maîtrise de la langue anglaise est absolument indispensable pour la réussite professionnelle.
Contre la simple accumulation de savoir et pour l’acquisition de compétences
Un autre reproche essentiel que la Chambre de Commerce fait dans son avis au système d’enseignement luxembourgeois est qu’il accorde bien trop d’importance à la simple transmission du savoir en privilégiant son accumulation et en négligeant sa mise en œuvre. Trop de savoir et trop peu de savoir-faire. Or, la seule maîtrise du savoir, même très pointue, n’est aujourd’hui plus suffisante pour répondre aux exigences d’un monde professionnel et d’une société de plus en plus complexes.
Aux yeux de la Chambre de Commerce, la réforme de l’enseignement secondaire doit davantage favoriser l’acquisition de compétences conjointement à une culture générale dont le niveau ne devrait cependant pas constituer un facteur récurrent d’échec scolaire. Dans ce contexte, la Chambre de Commerce plaide pour l’interdisciplinarité, la révision générale des programmes enseignés englobant notamment une consolidation des compétences de base linguistiques et une place majeure pour l’enseignement de l’économie. Elle renvoie dans ce contexte au concept de « compétences clés » que la Commission européenne est en train d’élaborer avec les Etats membres et qui englobent l’ensemble des connaissances, des compétences et des attitudes qui aident les personnes à s’épanouir sur le plan personnel et à accroître leur employabilité et leur intégration dans la société. Le cadre national des certifications (CNC), qui prévoit le développement de certifications basées sur une approche d’acquis de l’apprentissage fondée sur les compétences, est cité par la Chambre de Commerce comme exemple à suivre.
Pour un renforcement de la relation école-entreprise
Une importance particulière devrait en outre revenir à la sensibilisation des élèves et des enseignants au monde professionnel. En effet, le lycée n’est pas à considérer comme une entité close, mais bien au contraire comme un lieu d’échange perméable aux aléas de la vie quotidienne et aux réalités de la sphère professionnelle. Beaucoup de lycées mettent en œuvre des initiatives parfaitement louables à cet égard dans le cadre de projets d’établissement (« mini-entreprises »), mais il importe d’amplifier cette dynamique, voire de l’instaurer dans certains programmes de formation comme partie intégrante (visites d’entreprises, guest-speakers, chargé de cours invité et autres). A cet égard, la Chambre de Commerce s’inspire des solutions adoptées par les universités en général, encourageant des professionnels dotés d’un sens pédagogique avéré à intervenir dans le cadre de cursus universitaires bien déterminés. Elle-même propose d’ailleurs des services dans ce contexte, parmi lesquelles des visites d’immersion en entreprises pour enseignants, ou encore l’organisation d’exposés portant sur l’esprit d’entreprendre dans les lycées.
De manière plus générale et à l’instar de ce qui est pratique courante notamment en France, la réforme de l’enseignement secondaire devrait aux yeux de la Chambre de Commerce viser à promouvoir une « culture économique de base » et ceci pour tous les élèves et tous les niveaux d’âge, afin de doter les jeunes des savoirs indispensables pour mieux comprendre le fonctionnement de la société d’un point de vue économique et financier.
Réduire la pratique abusive du redoublement grâce au tutorat
Dans son avis, la Chambre de Commerce s’inquiète également du taux élevé de redoublements dans l’enseignement luxembourgeois. Avec 36 % des élèves de 15 ans qui indiquent avoir déjà redoublé au moins une fois dans leur carrière scolaire, le Grand-Duché se place en effet à la 6ième place du hitparade des pays avec les taux de redoublement les plus élevés. Or, il s’avère que le redoublement systématique ou bien le transfert vers un autre établissement d’élèves présentant de faibles résultats n’améliore pas la performance globale de l’étudiant, mais risque au contraire d’accentuer les inégalités socio-économiques. Le redoublement engendre par ailleurs des coûts financiers non négligeables pour la société toute entière, des coûts que la Chambre de Commerce estime à quelque 110.000.000 € par année scolaire.
Une amélioration continuelle des mesures d’orientation, dès la fin de l’école fondamentale, respectivement tout au long de l’enseignement secondaire pourrait contribuer à diminuer sensiblement le taux de redoublement. Tout comme l’introduction d’un accompagnement personnalisé (tutorat) non seulement pour les élèves, mais également pour les enseignants qui en expriment le besoin. La technique du tutorat est aujourd’hui pratique courante dans beaucoup de pays, notamment au Royaume-Uni qui en a fait un de ses atouts majeurs. Il va de soi qu’un tel changement d’approche en matière organisationnelle et pédagogique impliquerait d’importantes mesures de formation continue pour les professeurs éventuellement disposés à le faire, voire le recours à des tuteurs professionnels.
A côté d’un recours plus systématique au tutorat, d’un renforcement des relations école-entreprise, d’une valorisation générale de l’acquisition de compétences et d’un enseignement plus flexible des langues, la Chambre de Commerce soutient dans son avis plusieurs autres pistes de réflexion pour augmenter l’efficacité du système d’enseignement, telles que l’optimisation de la gestion des lycées, la construction de passerelles entre l’enseignement secondaire et secondaire technique ou encore l’introduction de critères de performance objectifs et mesurables. Dans sa conclusion, la Chambre de Commerce estime que les mesures proposées par le Gouvernement ne pourront réussir que si tous les acteurs du système scolaire prennent leurs responsabilités et s’engagent activement dans une réforme qui de nécessaire est devenue inéluctable.
L’avis intégral de la Chambre de Commerce peut être téléchargé en suivant ce lien.