Cinq propositions pour rendre notre système de pensions viable: la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers s’opposent au projet de loi et dénoncent la fuite en avant face au besoin d’une réforme en profondeur

Avis commun de la Chambre de Commerce et de la Chambre des Métiers

Dans leur avis commun sur le projet de réforme du régime d’assurance pension, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers déplorent le caractère technique et insuffisamment incisif des mesures proposées par le Gouvernement pour soutenir durablement le financement du régime de retraites pour les prochaines décennies. Les ajustements proposés par le Gouvernement ne permettront ni d’assurer un équilibre du régime d’assurance pension, ni de poser les fondements d’un contrat intergénérationnel juste et équitable, mais - au contraire - grèveront davantage encore le budget de l’Etat tout en détériorant la compétitivité de l’économie. Par conséquent, les deux Chambres professionnelles s’opposent aux mesures de “réforme” esquissées dans le projet de loi et invitent les auteurs du texte à revoir leur copie en tenant compte des propositions formulées dans leur avis commun.

 

Tout en souscrivant à l’objectif affiché du projet de loi de procéder à une réforme du régime d’assurance pension, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers estiment que les ajustements techniques proposés sont insuffisamment incisifs pour soutenir durablement le financement du régime de retraites.

 

Si le projet de loi effectue, notamment, des adaptations progressives (sur une période de 40 années) en vue de freiner la progression des dépenses de l’assurance pension, ces mesures - de l’aveu même des auteurs du projet de loi - n’éviteront pas un déséquilibre financier du régime d’assurance pension, et ce malgré des projections pour le moins optimistes puisque reposant sur l’hypothèse d’une croissance économique annuelle de 3% durant les cinquante prochaines années, ce qui équivaut à un quadruplement du PIB sur cette période. 

 

Un modèle de financement basé sur des projections de croissance peu réalistes

 

Etant donné les crises successives auxquelles l’Europe et le Luxembourg font face depuis 2008, d’une part, et un contexte global dans lequel des pays émergents, soumis à moins de contraintes réglementaires, ont démontré leur capacité à mieux se positionner sur l’échiquier mondial que les pays de la « vieille Europe», d’autre part, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers estiment que la croissance passée ne peut pas constituer une certitude pour l’avenir. Elles auraient apprécié que des simulations basées sur des fourchettes de croissance haute, moyenne et basse soient prises en compte, et ce d’autant plus qu’une faible croissance économique a des effets immédiats sur les recettes du régime d’assurance pension, alors que les dépenses restent relativement figées à court et à moyen termes.

 

Selon les deux Chambres professionnelles, à supposer que la reprise de la croissance économique soit à nouveau aussi dynamique qu’au cours de la dernière décennie, il faudrait attendre l’année 2029 pour atteindre une croissance économique annuelle moyenne de 3%. Le Luxembourg devrait donc renouer, au plus tard dans les prochaines années, avec une succession de taux de croissance économique très élevés, un nouvel âge d’or économique, s’il veut minimiser les effets de la catastrophe annoncée en termes de financement du régime d’assurance pension. 

 

737.000 affiliés en 2060 ne suffisent pas à équilibrer le régime d’assurance pension

 

Le projet de loi se base, par ailleurs, sur une progression annuelle de l’emploi à hauteur de 1,5%. Les auteurs du projet de loi estiment ainsi qu’en 2060, 737.000 personnes devraient être affiliées au régime d’assurance pension luxembourgeois, dont 476.000 non-résidents (65%), soit le double du nombre actuel d’affiliés. Les deux Chambres professionnelles font appel au Gouvernement pour qu’il s’attèle à résoudre les problématiques de cohésion sociale auxquelles notre société est déjà confrontée aujourd’hui en termes d’infrastructures, de transports et de logements, et qui ne feront que s’aggraver si rien n’est fait pour accompagner une telle croissance démographique. Le projet de loi se base, en outre, sur un taux de croissance annuel de 1,5% de la productivité, ce qui constitue un taux supérieur à la moyenne historique du Luxembourg et de ses pays voisins.

 

Les cinq recommandations de la Chambre de Commerce et de la Chambre des Métiers

 

Convaincues que le projet de loi dans sa version actuelle ne parviendra pas à limiter l’envolée future des dépenses du régime général des pensions, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers estiment que seule une réforme basée sur les principes fondamentaux relevés dans leur avis commun pourrait permettre de maintenir en place un régime d’assurance pension à vocation sociale et soutenable pour les générations futures. 

 

1) Veiller au maintien dans l’emploi des salariés âgés

 

L’avis commun relève comme premier levier d’action la concrétisation de mesures de maintien dans l’emploi des salariés âgés. Leur objectif serait de générer des contributions financières au système de pension et d’amener une prolongation de la durée des carrières d’assurance en fonction de l’évolution de l’espérance de vie. Les deux Chambres professionnelles s’étonnent que les auteurs du projet de loi proposent seulement une extension de 3 ans de la durée de la carrière d’assurance sur 40 ans face à un allongement supposé de l’espérance de vie de presque 7 ans d’ici 2050. Cela signifie qu’en moyenne 3 à 4 années de pension seront versées sans qu’il n’y ait eu de cotisations prélevées pour les couvrir, et qu’elles seront, partant, supportées par la solidarité collective. Par conséquent, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers insistent pour que le Gouvernement accélère, sur une durée de 20 ans au lieu de 40, la réduction du facteur multiplicateur des « majorations proportionnelles », et ce pour les pensions actuelles et futures et abolisse les « majorations proportionnelles échelonnées ».

2) Sauvegarder la cohésion sociale et la finalité sociale du régime d'assurance pension

 

La Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers proposent, en deuxième lieu, de sauvegarder la cohésion sociale et la finalité sociale du régime d’assurance pension. Le projet de loi devrait respecter ce principe élémentaire tout en reconsidérant les décisions politiques prises dans le passé («Rentendësch») ayant débouché sur des augmentations démesurées des prestations de pensions. Partant, l’abrogation de l’allocation de fin d’année ne devrait pas être remise aux calendes grecques (au plus tôt en 2029 selon les auteurs du projet de loi) mais devrait être réalisée dès 2013. La sauvegarde de la finalité sociale du régime général devrait se faire par ailleurs par la diminution du plafond cotisable à 4 fois le salaire social minimum et, corrélativement, du montant maximal de la pension. Les deux Chambres professionnelles s’interrogent en effet sur la justification sociale qu’une pension financée par la solidarité collective au sein du premier pilier puisse s’élever à près de 7.500 EUR par mois pour des personnes ayant perçu des salaires élevés durant leur carrière professionnelle et se trouvant ainsi dans une situation financière qui leur permet de se constituer une retraite confortable par d’autres moyens. Aux yeux de la Chambre de Commerce et de la Chambre des Métiers, le premier pilier du régime d’assurance pension devrait garantir à tout un chacun de percevoir une retraite décente lui permettant de vivre dans la dignité. Les deux Chambres professionnelles proposent également d’encourager le développement de la prévoyance professionnelle complémentaire contre la vieillesse, ainsi que l’épargne pension. Elles sont d’avis qu’il serait en effet irresponsable de miser exclusivement sur un premier pilier fragilisé. Dès lors, il importera d’inciter les entreprises et les particuliers à investir dans des plans de pension en créant un cadre légal favorable à l’épanouissement de cette branche. 

 

3) Déterminer les prestations en fonction des ressources financières disponibles

 

Comme troisième mesure, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers proposent une modulation des dépenses, et partant des prestations, du régime d’assurance pension en fonction du niveau des recettes disponibles selon le principe que “toute prestation soit générée par une cotisation”. Ce principe peut être mis en œuvre notamment à travers l’introduction de coefficients de durabilité et de longévité dans la formule de calcul des pensions. Les deux Chambres professionnelles insistent, également eu égard aux leçons tirées de la crise des dettes souveraines, sur le fait que le régime d’assurance pension devrait respecter la règle d’or du zéro déficit et limiter strictement ses dépenses aux recettes collectées. Partant, il importe de reconsidérer également les dispositions trop généreuses relatives à l’achat des périodes au titre de l’assurance volontaire.

 

4) Limiter la progression des dépenses par des mesures plus incisives 

 

La quatrième recommandation avancée dans l’avis commun concerne la mise en œuvre de mesures incisives limitant la croissance des dépenses, basées sur l’équité intergénérationnelle et le versement de pensions raisonnables, notamment à travers la suppression du mécanisme de réajustement (tout en maintenant le cas échant l’indexation des pensions jusqu’à un certain niveau). Les deux Chambres professionnelles sont d’avis que le mécanisme de réajustement fait bénéficier les pensionnés d’avantages résultant de la création de valeur ajoutée nationale et de la productivité du facteur travail auxquelles ils ne contribuent pas. Ne remplissant aucun objectif de redistribution sociale, il conviendrait d’abolir le mécanisme de réajustement dès 2013.

 

5) Maintenir la compétitivité de l’économie luxembourgeoise

 

Finalement, la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers insistent sur le maintien de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise, laquelle favorise la croissance économique et la création de nouveaux emplois nécessaires à l’équilibre financier du régime d’assurance pension. Toute hausse du taux des cotisations de pension serait en effet de nature à affecter gravement la compétitivité des entreprises, l’évolution des finances publiques et le pouvoir d’achat des salariés. Il en résulterait un cercle vicieux qui réduirait la croissance économique du Luxembourg et qui accélérerait ainsi le caractère déficitaire du système. Les deux Chambres professionnelles s’opposent ainsi, au titre de la solidarité intergénérationnelle, à toute augmentation du taux de cotisation à l’assurance pension, alors que l’augmentation des cotisations requerra des efforts de la part des seuls contributeurs à l’assurance pension, et non de ses bénéficiaires. 

 

Une générosité bien intentionnée mais qui sonnera le glas de notre modèle socio-économique 

 

La Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers sont d’avis que le problème principal du régime d’assurance pension est son caractère excessivement généreux en comparaison avec celui des autres pays de l’OCDE. Le niveau élevé des pensions résulte d’une croissance économique et démographique exceptionnellement favorable de la population active des dernières décennies, d’une part, et de nombreux « cadeaux » faits depuis vingt ans et auxquels les deux Chambres professionnelles se sont toujours opposées, d’autre part.

 

Un grand nombre de salariés actuels payent des pensions élevées à un nombre proportionnellement plus faible de bénéficiaires. Toutefois, ceux qui contribuent aujourd’hui n’auront pas la chance de bénéficier, à leur tour, à l’avenir de la même générosité. Le régime d’assurance pension actuel se caractérise en effet par une promesse de pension dont le montant global est très significativement supérieur à ce qui est cotisé par un assuré durant l’ensemble de sa carrière. Comme il a été soulevé dans le projet de loi, « les nombreux cotisants d’aujourd’hui deviendront de toute évidence les nombreux pensionnés de demain », ce qui signifie qu’à politique inchangée, il faudra doubler la population active tous les 30 à 40 ans pour pouvoir continuer à payer les pensions des retraités de demain, puis celles de la génération suivante. 

 

Pour une réforme qui mérite cette appellation

 

Certains estiment que face à des dépenses toujours plus élevées, il suffit d’augmenter purement et simplement les recettes (p.ex. doublement de la taxe d’abonnement, doublement de l’impôt de solidarité, déplafonnement de l’assiette cotisable, taux de cotisation à 30%), et démontrent par leurs propres projections que les dépenses seront supérieures aux recettes dès 2022.

 

La Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers s’opposent à une telle fuite en avant, qui est d’ailleurs contraire à l’esprit de solidarité intergénérationnelle qui devrait fonder le régime d’assurance pension dont la stabilité financière réside assurément, à long terme, dans l’équilibre entre la diminution des dépenses et l’allongement de la durée du travail. Sur ces éléments, le projet de loi reste malheureusement extrêmement flou et indécis, preuve qu’une réforme future est d’ores et déjà implicitement nécessaire.