Perspectives économiques pour 2015
L’économie luxembourgeoise est une parfaite illustration d’économie ouverte et, par conséquent, dépendante des décisions externes mais également de l’état de santé de ses partenaires économiques. Il en découle une forte volatilité des principaux indicateurs macroéconomiques du Grand-Duché qui éprouvent des difficultés à retrouver leur niveau enviable d’avant-crise : le taux de croissance moyen au Luxembourg entre 2009 et 2013 fut de +0,8% contre +3,6% entre 2002 et 2008. Le salut ne venant pas, du moins à moyen terme, de la conjoncture internationale, le moment est venu pour le Luxembourg d’accélérer la mise en œuvre de ses réformes et de réinventer son business model, pour éviter le « surplace » économique. Vu les marges de manœuvre budgétaires limitées de l'Etat, le Luxembourg doit avancer sur les réformes structurelles s'il veut éviter une période à croissance moyenne très faible, trop faible pour résorber le chômage, qui, en 20 ans, a progressé de 270% alors que les emplois créés ont augmenté de 90%, et trop faible pour assurer le financement d’un modèle social coûteux. Le Grand-Duché a en outre la possibilité de jouer un rôle important dans l’implémentation de réformes structurelles au sein de l’Union européenne lors de sa présidence débutant en juillet 2015.
La crise économique et financière a changé irrévocablement le paysage économique : alors que l’économie mondiale semblait sortie de sa période de fortes turbulences en début d’année 2014, le regain récent de tensions géopolitiques et l’affaiblissement de la demande internationale ont conduit à une forte révision à la baisse des projections macroéconomiques au Luxembourg ; les chiffres de naguère ne sont plus atteints et les taux de croissance pré-2008 semblent hors de portée.
Il est dès lors essentiel, dans l’ensemble des principaux blocs économiques, d’employer tous les leviers des politiques macroéconomiques et structurelles pour soutenir autant que possible la croissance :
- Des réformes structurelles ambitieuses s’imposent immédiatement en Europe pour stimuler l’emploi et consolider la croissance potentielle à moyen terme. Des réformes favorisant l’investissement public et privé pourraient aussi avoir à court terme des effets positifs sur la confiance des entreprises, qui est actuellement à un niveau relativement bas, au Grand-Duché comme ailleurs. Un accent particulier doit être mis sur la recherche et l’innovation. La mise en œuvre du plan d’investissement de 315 milliards EUR, proposé par la Commission européenne, devra être assortie de mesures structurelles visant à rendre plus efficient le fonctionnement du marché intérieur. Les barrières existantes qui empêchent les PME de déployer tout leur potentiel, doivent être levées. Les PME luxembourgeoises pourraient également bénéficier de telles mesures « pro business ».
- Les impératifs de politique monétaire diffèrent d’un pays à l’autre : les Etats-Unis ont commencé à réduire leur effort de relance monétaire en 2014 et le Royaume-Uni devrait suivre, tandis que cet effort devra se poursuivre dans la zone euro et, comme déjà décidé, au Japon. Inévitablement, ces différences engendreront une volatilité accrue sur les marchés de la dette et des changes, tout comme, couplées à la chute des prix pétroliers, elles finiront par avoir un impact négatif sur les perspectives de croissance des économies émergeantes. La baisse de l’euro et des prix pétroliers soutient la croissance européenne, alors qu’en même temps, le spectre de la déflation plane toujours sur la zone euro.
- Les impératifs de politique budgétaire diffèrent également selon les économies, en fonction de l’état de leurs finances publiques et de la nécessité de soutenir la demande. Les pays de la zone euro doivent, dans le cadre des règles budgétaires européennes, enrayer l’actuel essoufflement de la croissance. Le plan d’investissement de la Commission européenne est un pas dans la bonne direction, à condition d’être appuyé par des investissements opérés par les Etats membres, et particulièrement dans des domaines à effet multiplicateur élevé en termes de stimulation économique et de création d’emplois (cf. « expenditure shift » favorisant les dépenses publiques les plus productives au détriment des autres postes budgétaires).
L’année 2015 devra donc être marquée par les actions visant à éviter le « surplace » économique au Luxembourg, voire la déflation en zone euro.
Contexte mondial : « Le passé est-il derrière nous ? »
Six ans après l’éclatement de la bulle des subprimes et la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, la croissance mondiale n’a toujours pas retrouvé son rythme d’antan, et la forte reprise enregistrée en 2010 n’aura été qu’un rebond technique de courte durée.
Le marché hypothécaire reste le point faible de l’économie américaine et la croissance ne bénéficie qu’insuffisamment au reste du monde puisque cette dernière est portée avant tout par les investissements et les exportations. Mais l’économie américaine tourne actuellement à plein régime, en raison notamment des faibles prix de l'énergie. La baisse du prix du pétrole devrait en outre avoir un impact positif sur la consommation.
Englué dans une stagnation chronique, le Japon avait vu, dans l’ « Abenomics », des espoirs de renouveau ; il n’en est rien. Les « trois flèches » de l’ « Abenomics », le nom donné à la politique économique prônée par Shinzo Abe, le Premier ministre du Japon, semblent avoir raté leur cible. Le Japon traverse actuellement sa 6e période récessive depuis le début de la crise.
Les pays émergents connaissent un ralentissement structurel de leur croissance du fait de difficultés propres, de la faiblesse de la demande mondiale, etc. A cela s’ajoutent pour certains des risques géopolitiques et pour les pays exportateurs de pétrole la faiblesse des cours du baril, alors que des cours pétroliers plus élevés sont nécessaires à de nombreuses économies émergeantes pour « boucler » les budgets. En Chine, le 12e plan quinquennal (2011-2015) a entériné la volonté de la République populaire de rééquilibrer son économie, en misant non plus sur une croissance intensive en capital fixe, mais sur le développement de la consommation domestique. Ce nouveau « paradigme » s’accompagne d’un ralentissement orchestré de la croissance chinoise, qui progressivement converge vers un taux de 7%. Ce nouveau régime de croissance modifie le rôle de la Chine dans l’économie mondiale.
L’Europe (et la zone euro en particulier) reste en 2014 le principal frein à l’évolution conjoncturelle internationale. La croissance en 2015 pourrait toutefois dépasser celle de 2014, grâce, d’une part à l’évolution de l’euro (une dépréciation de l’euro, évaluée à 5% sur un panier des devises mondiales, fournirait un apport de 0,5 % au PIB en 2015), et d’autre part, dans une moindre mesure, à la baisse du prix du pétrole (contribution de l’ordre de 0,15% à 0,2% à la croissance européenne).
Bien que sa croissance se soit quelque peu érodée, notamment suite aux difficultés de ses partenaires économiques (zone euro, Russie, Chine), l’Allemagne reste le bon élève européen. Parangon de vertu budgétaire, sa dette publique tend vers ses niveaux d’avant-crise et le déficit public a laissé place à un excédent - ce tableau étant, il est vrai, obscurci par un faible niveau d’investissements publics. La France est l’un des rares pays de la zone euro à voir son déficit public augmenter en 2014 et elle devrait, en 2015, connaître sa 4e année consécutive de croissance inférieure à 1%. En Belgique, les perspectives demeurent fragiles compte tenu de l'état dégradé de la confiance entre partenaires sociaux, de la faiblesse de la compétitivité et d’un assainissement budgétaire relativement rapide, sur toile de fonds d’un « dernier avertissement » envoyé à Bruxelles par les gardiens européens des finances publiques.
En synthèse, le Grand-Duché ne pourra guère compter sur un anticyclone conjoncturel international favorable pour pallier le manque de vigueur de son économie et doit plutôt se mettre à l’œuvre afin de doper sa croissance potentielle, dont le niveau a baissé de moitié dans le sillage de la crise.
Economie luxembourgeoise : des risques qui persistent et des entrepreneurs qui doutent
Une croissance qui reste fluctuante, de faibles gains de productivité des entreprises et une érosion de leurs marges bénéficiaires (notamment dans l’industrie), un taux de chômage qui poursuit sa hausse et des prix à la consommation qui augmentent régulièrement plus rapidement que chez les principaux partenaires commerciaux - malgré l’importante décélération récente des prix - continuent à plomber l'économie luxembourgeoise.
L’enquête Eurochambres 2015, qui a notamment sondé les chefs d’entreprises sur leurs anticipations pour l’année à venir, montre des divergences prononcées entre l’industrie et les services. Le plus grand écart est observé pour ce qui concerne le « climat des affaires en 2015 » : les attentes des entreprises de services sont meilleures que pour 2014, tandis que celles des entreprises industrielles connaissent une nette dégradation. La demande intérieure et les exportations semblent également peu porteuses en 2015 pour l’industrie, contrairement aux services. Les perspectives en termes d’emplois suivent quant à elles des évolutions parallèles, mais à la baisse. Enfin, les investissements, miroirs de la confiance des entreprises en l’avenir, devraient croître dans le secteur des services et baisser dans l’industrie.
Il ressort de cette enquête Eurochambres que les PME « traditionnelles » luxembourgeoises sont particulièrement inquiètes quant à l’avenir. Or, ces entreprises constituent la colonne vertébrale de l’économie luxembourgeoise et, par conséquent, des mesures de soutien doivent être développées pour aider les entreprises locales à surmonter cette période de faible demande.
De grands travaux à entamer sans délai : un train de réformes structurelles pour libérer le potentiel de croissance du Luxembourg
Différentes études évaluent les facteurs les plus problématiques pour les entreprises et, bien que les analyses divergent, les conclusions coïncident : difficulté pour recruter de la main-d’œuvre qualifiée, coûts du travail élevés et régulièrement dissociés du coût du travail en raison notamment des automatismes réglementaires, droit du travail peu flexible, charges administratives trop importantes, marges sous pression continue, etc.
La Chambre de Commerce estime que, bien que des actions soient déjà entreprises actuellement, les réformes structurelles doivent être poursuivies. Une condition sine qua non pour que ces réformes puissent produire leurs effets reste l’établissement de finances publiques soutenables et d’un cadre fiscal efficient, pro investissements, pro croissance et pro incitation au travail. Il importe d’entamer sans tarder la préparation et l’élaboration de la réforme fiscale, afin d’éviter les ajustements précipités « de dernière minute ». Pour ce qui est du volet de la fiscalité des entreprises, la Chambre de Commerce recommande d’anticiper les mesures dans un contexte d’élargissement de la base taxable (imposé par BEPS) et d’adapter à la baisse le taux d’affichage de l’impôt sur le revenu des collectivités, et ceci avec effet au 1er janvier 2016.
La Chambre de Commerce estime que 5 grands travaux doivent être entrepris avec vigueur en 2015 :
- Des coûts de production des entreprises à maîtriser : prix des énergies primaires à surveiller (dépendance du Luxembourg vis-à-vis des importations) ; différentiel d’inflation avec les pays voisins à réduire ; évolution défavorable des CSU (coûts salariaux unitaires) et du SSM (salaire social minimum) à juguler ; automatismes réglementaires à revoir.
- Un cadre réglementaire qui manque de flexibilité : simplification administrative à poursuivre (pour un projet de loi « Omnibus II » en matière de simplification administrative[1]) ; droit du travail et organisation du temps de travail à flexibiliser ; système d’incitations au travail à réformer (soutenir l’emploi au lieu de financer l’inactivité).
- Une main-d’œuvre qualifiée difficile à trouver : système d’enseignement à revoir ; formation professionnelle à développer ; paradoxe luxembourgeois (découplage évolution de l’emploi et du chômage) à briser, notamment pour les jeunes sans qualification.
- Une diversification économique sur la bonne voie, mais qui doit s’accélérer : impact de la fin du secret bancaire et répercussions LuxLeaks à surveiller et à contrer ; une véritable montée en puissance de la substance économique à viser ; la RDI à renforcer, avec un effet important en termes de valorisation de la recherche.
- Un carnet d’adresses à l’exportation : des accords commerciaux tels que TTIP et TISA à accompagner et à accueillir favorablement ; marché intérieur à approfondir (marché intérieur des services à parfaire, principe de la « reconnaissance mutuelle » à développer, etc.).
Cette feuille de route de réformes structurelles doit nécessairement s’inscrire dans une politique budgétaire responsable et soutenable (y compris pour ce qui est du volet de la sécurité sociale).
Le Luxembourg dans le « driving seat » de l’Europe
Si le Luxembourg doit se réformer, l’Europe n’est pas en reste et doit agir via un triptyque coordonné de politiques structurelle, monétaire et budgétaire.
Le Luxembourg prendra la tête du Conseil de l'Union européenne en juillet 2015 pour une durée de 6 mois. La Chambre de Commerce estime que, si le Luxembourg veut contribuer à moderniser l’Europe, les priorités devraient notamment être les suivantes :
- Une politique structurelle visant à donner des impulsions nouvelles aux réformes de l’Union européenne, visant notamment le soutien des PMEs en Europe et l’achèvement du marché intérieur.
- Une politique budgétaire qui veille à la soutenabilité à terme des finances publiques (réformes des pensions, des régimes de santé, enrayer l’accroissement de l’endettement public, etc.) sans pénaliser une économie européenne déjà bien affaiblie. Cette « quadrature du cercle » passe par un effort d’investissements publics et par un accroissement de la « qualité » des dépenses publiques.
Les personnes souhaitant davantage de renseignements ou commenter le contenu de ce communiqué peuvent s’adresser aux Affaires Economiques de la Chambre de Commerce (tél. : 42 39 39 - 350, e-mail : eco@cc.lu).
[1] L’avis de la Chambre de Commerce sur le projet de loi « Omnibus » est disponible sur son site Internet : www.cc.lu.