La conférence de presse de la Chambre de Commerce de ce jeudi 16 décembre a été l’occasion de dresser le bilan d’une année 2021 marquée par une reprise économique mondiale dynamique après une année 2020 difficile, et de faire le point sur les nombreux et coûteux défis que devront relever les entreprises luxembourgeoises en 2022.
L’économie mondiale fait actuellement face à de nombreux maux. Après une année 2020 marquée par un recul du PIB mondial de 3,1%, le rebond de 2021 frôle les 6%. Cette reprise dynamique n’est pas sans poser certaines tensions : goulets d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement, l’offre ayant du mal à suivre le vif rebondissement de la demande mondiale, hausse des prix des matières premières et de l’énergie, le tout aggravé par une situation sanitaire toujours incertaine et fluctuante. Cette situation se transmet comme une trainée de poudre aux différentes économies, le Luxembourg n’y faisant pas exception. Avec une croissance attendue de son PIB de 7% en 2021, la reprise luxembourgeoise est plus vigoureuse que ce que prévoyaient d’anciens scénarios de prévisions. Néanmoins, de nombreux risques planent sur l’économie grand-ducale, et la reprise pourrait être fragilisée par la hausse des coûts et charges à subir par les entreprises en 2022, suite à l’envolée des prix de l’énergie et des matières premières, et du coût de la main-d’œuvre.
La reprise de l’économie mondiale se poursuit, malgré une légère perte de vitesse en raison des vagues pandémiques qui vont et viennent de manière saisonnière et avec l’apparition de nouveaux variants. Dans ses prévisions économiques d’octobre 2021, le FMI a revu à la marge ses anticipations pour l’année 2021, passant d’une croissance du PIB mondial de 6% à 5,9% en 2021 et un taux de croissance inchangé de 4,9% en 2022.
Si la révision reste modeste, elle masque de fortes différences entre les pays. En effet, l’analyse des perspectives économiques à l’échelle de la planète montre la divergence des perspectives entre les groupes de pays les plus avancés et les pays émergents et en voie de développement. Alors que la production globale du premier groupe devrait retrouver sa trajectoire d’avant-pandémie en 2022 pour la dépasser ensuite de 0,9% en 2024, celle du deuxième groupe – à l’exclusion de la Chine – resterait inférieure de 5,5% aux prévisions pré-pandémie en 2024. Ce monde à deux vitesses est notamment la conséquence de la
« Grande fracture vaccinale » et de fortes disparités en ce qui concerne l’aide apportée par les pouvoirs publics. Alors que la large vaccination dans les pays les plus avancés a permis une reprise des activités économiques, avec des exceptions notables, l’arrivée d’Omicron ainsi qu’une population mondiale inégalement vaccinée (11% de la population vaccinée en Afrique contre plus de 70% en Amérique du Sud) laisse planer un climat d’incertitude constant sur la situation sanitaire.
Le monde face aux nouveaux maux de l’économie
Deux épées de Damoclès pèsent actuellement sur l’économie mondiale, à côté de la pandémie qui s’installe dans la durée.
Le premier danger pour l’économie mondiale se situe au niveau des chaînes d’approvisionnement de certaines matières premières, au bord de la rupture. Les perturbations de l’offre liées à la crise sanitaire, couplées à une demande qui explose suite à la reprise d’une activité à un niveau élevé, pour les métaux, le bois ou les énergies, dont le gaz naturel notamment, fragilisent le commerce mondial de ces denrées essentielles pour certains secteurs économiques, notamment l’industrie automobile ou le secteur des technologies de l’information et de la communication. Ces pressions engendrent des perturbations logistiques, notamment dans le secteur du transport maritime. Les catastrophes naturelles, les fermetures localisées persistantes liées à la pandémie et les pénuries de main-d'œuvre émergentes dans divers secteurs et régions n’ont fait qu’aggraver la situation déjà très tendue.
Le second danger réside dans la hausse exceptionnelle des prix, le décalage entre offre et demande engendrant de fortes tensions, inédites depuis 2008. Les fluctuations des prix de l'énergie ont fortement influencé le profil de l'inflation globale depuis le début de la pandémie. Pendant la majeure partie de 2020, les prix de l'énergie ont eu un effet à la baisse sur le taux d'inflation. Mais depuis le 2e trimestre 2021, période à laquelle certaines économies ont retrouvé leurs niveaux d’activité d’avant-crise, la situation s’est inversée. Rien qu’en octobre 2021, l'inflation énergétique a atteint 24% en glissement annuel, hausse la plus élevée jamais enregistrée depuis 1997.
Au Luxembourg, la reprise se confirme
Après avoir été l’une des économies les plus résilientes en 2020, l’économie luxembourgeoise confirme sa bonne tenue en 2021 avec des indicateurs économiques qui poussent à l’optimisme. Les dernières prévisions du STATEC prévoient ainsi un taux de croissance du PIB en volume de 7% pour 2021, qui devrait se poursuivre en 2022 à un rythme moins soutenu cependant de 3,5%. Le marché du travail, qui a certes été moins affecté que dans d’autres pays, grâce notamment aux soutiens gouvernementaux, retrouve également sa dynamique d’avant-crise sanitaire, tout comme le taux de chômage, qui après avoir atteint un pic de 7% en juin 2020, se situe aux alentours de 5,8% fin 2021. Il retrouve donc le niveau qui était le sien avant la pandémie.
Selon le Baromètre de l’Economie du second semestre 2021 de la Chambre de Commerce[1], ces prévisions optimistes se matérialisent également au niveau de la confiance des entreprises. L’influence attendue de l’environnement économique sur les entreprises en 2022 sera stable pour près de 60% des dirigeants. 25% des dirigeants s’attendent même à un impact favorable sur leur entreprise, soit 15 points de plus que lors de l’enquête menée il y a un an. De même, les entreprises sondées prévoient pour 30% d’entre elles une hausse de leurs effectifs dans les prochains mois et 27%, une hausse de leurs investissements.
Cette confiance reste néanmoins fragile et doit être nuancée sachant que l’enquête a été réalisée en octobre, avant l’arrivée d’Omicron. En effet, s’il faut nécessairement se réjouir de ces chiffres, la croissance économique pour 2022 restera toutefois conditionnée à la situation sanitaire et au taux de vaccination du pays, à la capacité qu’aura le Luxembourg à résorber les goulets d’étranglement qui pèsent sur l’activité économique, ainsi que sa capacité à limiter l’inflation pour l’année à venir, ainsi qu’à la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée. Les coûts engendrés par ces situations joueront également un rôle principal dans la santé financière des entreprises en 2022.
Des coûts, des coûts et encore des coûts pour les entreprises en 2022
Les coûts qui pèseront sur les entreprises en 2022 sont nombreux, souvent fixes et récurrents. Leur concomitance pourrait venir jouer les trouble-fêtes de la reprise.
Ainsi, la flambée record des prix de l’énergie affecte directement les coûts de production des entreprises, mais pourrait également les impacter de façon plus indirecte si les ménages réduisent leur consommation en raison d’un coût énergétique plus lourd à supporter dans leur budget. Via l’indexation automatique et intégrale des salaires, les entreprises subissent une double peine lors du renchérissement des prix de l’énergie, en supportant ces prix en hausse ainsi que la hausse du coût du travail, raison pour laquelle la Chambre de Commerce appelle à une désindexation intégrale de l’économie et à une abolition des automatismes qui mettent à mal la compétitivité des entreprises exportatrices. A titre subsidiaire, elle propose une limitation de l’indexation à un certain niveau de rémunération ainsi qu’une revue de l’indice actuel à la lumière de la transition vers une économie plus verte, car il est paradoxal de proclamer un soutien à une économie décarbonée, tout en continuant à appliquer une indexation qui entérine les modes de consommation les moins vertueux eu égard à la transition écologique.
A cette hausse des prix de l’énergie, s’ajoute celle des matières premières en raison de chaînes d’approvisionnement mondiales sous tension du fait de la forte vigueur de la reprise économique. Les métaux industriels ont ainsi vu leur cours augmenter de 17% depuis janvier 2021. Cette hausse du prix des matières premières s’explique en partie par une pénurie en Europe due à une forte dépendance aux marchés extérieurs, notamment de la production asiatique pour ce qui est de la fabrication de semi-conducteurs, essentiels à la création de produits technologiques. Les matières premières étant plus rares, leurs prix augmentent, entraînant ici encore une hausse des coûts de production pour les entreprises. Au sein de la Zone euro, les coûts de production des biens intermédiaires ont ainsi augmenté de 15% sur un an en septembre dernier. Par conséquent, bâtir une stratégie européenne pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement, via notamment l’European Chips Act, ou encore, encourager les entreprises à passer d’une économie linéaire à une économie circulaire, sont autant de pistes à considérer.
En raison de l’existence au Luxembourg du système d’indexation automatique des salaires mentionné ci-avant, ces deux phénomènes impactent directement le coût du travail, qui souffre déjà d’une tendance haussière en raison d’un problème structurel de manque de main-d’œuvre qualifiée. Cette pénurie ressort d’ailleurs comme le principal défi pour les entreprises luxembourgeoises d’après l’enquête Eurochambres d’octobre 2021[2]. La modulation du système d’indexation, ainsi que la création d’un Observatoire des compétences pour anticiper les besoins et les attentes des entreprises, sont des solutions à envisager.
Le problème du coût de l’immobilier ainsi que celui de la mobilité sont des freins à la compétitivité de l’économie, connus depuis de nombreuses années, mais dont les solutions tardent à émerger. Ainsi, le Luxembourg se classe 49ème sur 64 pays en 2021 pour ce qui est de l’indicateur de compétitivité IMD « Loyer d’entreprises » avec des loyers de bureau qui atteignent 52 euros/m2 par mois[3]. En ajoutant à cela une mobilité de plus en plus complexe au Luxembourg, avec un coût des embouteillages estimé à 1,4 milliard d’euros et 3,3% du PIB par le LIST, le risque à terme est de voir l’attractivité du Luxembourg baisser à la fois pour les entreprises qui souhaitent s’y installer et pour la main-d’œuvre qui souhaite y travailler.
D’autres coûts liés à l’environnement économique actuel risquent aussi de peser sur les entreprises dans les mois à venir. La crise sanitaire plane encore sur l’économie, et plus particulièrement sur les secteurs du tourisme, de la restauration et des agences de voyage qui pâtissent encore d’une situation incertaine et mouvante marquée par des restrictions plus ou moins contraignantes selon les périodes. Alors que certaines aides vont prendre fin dans les semaines à venir, la Chambre de Commerce encourage le Gouvernement à préparer au mieux cette sortie de crise via le maintien des aides financières aux conditions actuelles, via l’exploitation de toutes les marges de manœuvre conférées par l’encadrement européen, ou encore via l’établissement de règles claires pour permettre la poursuite de l’activité économique. Les futures réglementations au niveau de la fiscalité internationale sont par ailleurs empreintes d’une grande incertitude quant à leurs effets et leur portée, obligeant le Luxembourg à redoubler d’effort pour diversifier son économie et attirer ainsi des entreprises innovantes.
Enfin, la transition environnementale, si elle est nécessaire et urgente, induit des coûts supplémentaires pour les entreprises qui doivent allier leurs objectifs de développement durable à ceux de la rentabilité économique. Pour aider au mieux les entreprises dans leur changement de modèle, il convient de les accompagner par l’intermédiaire de nouveaux programmes de financement ou par la mise en place de formations pour acquérir de nouvelles compétences, notamment en matière d’économie circulaire. Ces attentes ressortent clairement du Baromètre de l’Economie du 2nd semestre 2021.
Les vœux de la Chambre de Commerce pour 2022
Tous ces coûts qui affectent les entreprises auront un impact sur l’économie luxembourgeoise dans son ensemble via un véritable cercle vicieux. Ces charges pèsent sur la compétitivité des entreprises, qui voient leurs marges et leur rentabilité fondre et qui disposent dès lors de moins de moyens pour des investissements de plus long terme, ce qui aura un impact sur leur capacité d’innovation et leur compétitivité future. Cela laisse craindre des disparitions d’entreprises entraînant des pertes de recettes fiscales pour l’Etat, une baisse de l’attractivité du Luxembourg, et des difficultés au niveau de la diversification économique.
Le tableau ne doit toutefois pas être dépeint que de manière négative, car le Luxembourg dispose de nombreux leviers d’actions. En cette saison des fêtes de fin d’année, la Chambre de Commerce émet donc quelques vœux.
Tout d’abord, elle appelle à une fiscalité attractive. La Chambre de Commerce propose à ce sujet 10 mesures fiscales phares orientées autour de 3 axes majeurs[4] - la temporalité de la charge fiscale, le renforcement des droits du contribuable et la cohérence juridique - l’introduction d’un mécanisme de super-déduction ou encore l’élaboration d’une feuille de route concernant la baisse de l’impôt sur les sociétés vers le taux médian européen de 21%.
Ensuite, elle prône la digitalisation pour que celle-ci soit un véritable levier de la reprise et des transitions futures. L’année 2022 doit être l’occasion d’accélérer la digitalisation du secteur public, mais aussi d’accompagner les entreprises vers une meilleure intégration des technologies numériques ou d’attirer et de former les talents dont le Luxembourg aura besoin demain.
L’année 2022 doit également être celle qui verra la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée au cœur des actions. Un enseignement de qualité, un écosystème efficace et agile en matière de formation continue et d’apprentissage, une stratégie cohérente de reskilling et d’upskilling sont autant de leviers internes, tandis qu’en parallèle, les efforts d’attraction et de rétention des talents venant de l’étranger doivent être poursuivis, sachant que les flux de frontaliers ne seront plus suffisants pour répondre à la demande croissante.
Enfin, elle espère que 2022 sera l’année de la disparition de cette crise sanitaire aux effets économiques tenaces. En attendant, elle plaide pour la continuité de certaines aides dans leurs conditions actuelles, avant un retrait progressif, et encourage à une meilleure couverture vaccinale pour sécuriser la reprise économique et la situation épidémiologique.
[1] https://www.cc.lu/toute-linformation/publications/detail/barometre-de-leconomie-s2-2021-thematique-economie-circulaire
[2]https://www.cc.lu/toute-linformation/actualites/detail/des-entreprises-plus-optimistes-sur-leurs-perspectives-economiques-mais-des-difficultes-persistantes