Perspectives économiques 2016
Après avoir été largement revue à la baisse pendant l’année en cours, la conjoncture mondiale et européenne devrait prendre une tournure plus favorable en 2016, avec en toile de fond notamment une sensible reprise de l’économie américaine. Cependant, il ne faut pas oublier que l’économie mondiale baigne depuis plusieurs mois dans l’incertitude et la fragilité qui résultent notamment de circonstances géopolitiques assez tendues. Malgré les annonces positives des principales institutions et un climat d’affaires empreint d’un relatif optimisme au Luxembourg, l’évolution plutôt défavorable du commerce mondial ne sera pas sans incidence sur l’économie luxembourgeoise, fortement exposée aux décisions et aux risques externes en raison de son ouverture. Le Luxembourg devra donc continuer à accélérer la mise en œuvre des réformes, tout en poursuivant sa stratégie de diversification économique et en misant sur une croissance intensive (basée sur des gains de productivité) plutôt qu’extensive (basée sur une hausse élevée de l’emploi). La Chambre de Commerce considère que l’économie luxembourgeoise devra accomplir des efforts particuliers dans 5 domaines prioritaires que sont les réformes en matière de marché du travail et de fiscalité, l’augmentation continue de la productivité des facteurs de production, l’amélioration de l’environnement en faveur des PME, la promotion du libre-échange et du marché unique en particulier et l’amélioration de l’image du Luxembourg.
L’économie mondiale entre éclaircies et brouillard
L’année 2015 a été ponctuée de hauts et de bas. Des hauts notamment au début de l’année. Le cours de l’or noir est ainsi passé sous la barre symbolique des 50 dollars en date du 7 janvier. Il s’agissait d’une bonne nouvelle pour les importateurs et, plus généralement, d’une belle carte à jouer pour l’ensemble des acteurs, le fléchissement des cours pétroliers étant de nature à aider l’économie mondiale à rebondir. Qui dit croissance, dit aussi consommation. Que ce soit aux Etats-Unis, au Japon ou en Europe, la voie adoptée était la même: favoriser la consommation par une politique monétaire accommodante et des taux d’intérêt proches de zéro. Les craintes de déflation semblaient s’éloigner. C’est avec des visages souriants et un grand soupir de soulagement que nous avons également accueilli les bonnes nouvelles printanières de la Commission européenne: 2015 serait la première année depuis la crise financière au cours de laquelle tous les pays de l’Union européenne auraient connu une croissance positive. Le pire était derrière nous.
Or, les premières feuilles se sont fanées plus tôt que nous n’aurions pu l’imaginer, la reprise n’ayant pas été aussi vigoureuse qu’attendue. Tous les Etats membres n’afficheront finalement pas une croissance positive en 2015, singulièrement la Grèce (-1,4%). Bon nombre d’indicateurs sont passés du vert au rouge. Ainsi, l’indice IFO, qui mesure le climat de l’économie mondiale, est passé en novembre 2015 à un niveau bien inférieur à la moyenne des années passées, le Bloomberg Commodity Index a atteint son niveau le plus bas depuis 16 ans et le Baltic Dry Index, soit l’indice des prix pour le transport maritime de matières sèches, a également atteint un plancher historique depuis sa création en 1985.
Parmi les principaux trouble-fêtes : la Chine, qui cherche à abandonner étape par étape son modèle économique traditionnel, reposant sur la production industrielle et l’investissement, pour une croissance plus durable, tournée vers les services et la consommation intérieure. Ce changement de paradigme n’est pas indolore, durant la phase de transition, comme l’atteste notamment l’actuel ralentissement de la croissance dans l’empire du milieu. Tandis que la croissance du PIB s’élevait encore à 14,2% en 2007, l’OCDE ne table plus que sur 6,8% pour l’année 2015 et 6,5% pour 2016... Etant donné que la Chine est l’un des principaux acheteurs des matières premières exportées par les autres économies émergentes, tous ces exportateurs subissent un contrecoup marqué quand la Chine freine ses importations. Les pays dits « émergents », qui étaient d’importants moteurs de croissance à l’issue de la crise, n’émergent donc plus vraiment : ils sont nombreux à avoir du mal à digérer cette phase de transition économique. S’y ajoute la crainte d’un relèvement des taux d’intérêt américains, couplée, dans certains cas, à des problèmes internes à ces économies (sur le plan politique notamment), qui pourraient entraîner une accélération de la fuite de capitaux, d’une part, et une hausse du service de la dette, souvent libellée en dollars, d’autre part.
Croissance anémique, productivité en berne – le « new normal », est-il là pour rester ? Oui et non. La bonne nouvelle pour 2016 est que la croissance mondiale devrait s’accélérer quelque peu, pour atteindre 3,5% en 2016 (contre 3% en 2015). A la faveur notamment des bonnes performances de l’économie américaine, qui devrait afficher en 2015 une progression du PIB en volume d’environ 2,5%, soit sa meilleure performance en cinq ans. Les Etats-Unis renouent en outre avec le plein emploi, une consommation au beau fixe et un déficit budgétaire qui poursuit sa régression ce qui devrait contribuer à une embellie du commerce mondial en 2016.
En Europe, une reprise chahutée par des vents contraires
Sur le Vieux Continent, la reprise poursuivra mollement sa vitesse de croisière, et elle pourrait même être chahutée par des vents contraires. Pour la zone euro, le taux de croissance du PIB réel devrait, selon les projections d’automne 2015 de la Commission européenne, s’établir à 1,6% en 2015, à 1,8% en 2016 et à 1,9% en 2017. Mais tirée par des facteurs exogènes, la croissance est grandement soumise à diverses contingences externes, l’évolution de l’économie chinoise n’en étant pas la moindre. En zone euro, une légère amélioration de la situation du marché du travail est à prévoir, avec un recul du chômage de 11% en 2015 à environ 10,3% en 2017. Par ailleurs, si la situation des finances publiques s’améliore, avec pour l’ensemble de la zone euro un déficit attendu de 2% et une dette passant de 92,2% du PIB en 2015 à 91,3% en 2017 grâce aux efforts d’assainissement consentis, la coordination des politiques économiques et la convergence entre les Etats membres semblent toujours bien insuffisantes malgré les efforts accomplis. Plus inquiétant encore, il semblerait que les inégalités entre Etats membres se creusent.
En outre, le Plan Juncker, qui ambitionnait de relancer l’investissement en Europe, tarde à produire des effets concrets, ce qui est regrettable au vu du recul considérable – de quelque 15% – des investissements européens depuis la crise financière de 2008. L’inflation reste quant à elle apathique, malgré des anticipations de la Commission à la hausse pour 2016. Cette année, l’inflation devrait être en zone euro de 0,1%. Elle passerait à 1% en 2016 et à 1,6% en 2017. Avec le nouvel assouplissement monétaire, les banquiers centraux de Francfort espèrent soutenir la relance en zone euro (en dopant l’inflation, conformément à l’objectif de la BCE d’une inflation inférieure à, mais proche de 2% à moyen terme)[1].
Enfin, l’environnement international plus qu’incertain nous invite à la plus grande prudence dans l’interprétation de telles données. Des frontières de l’Europe aux frontières en Europe : les risques sont multiples et se multiplient. L’Union européenne fait face à un climat de défiance et de méfiance, dans un environnement géopolitique tendu : Grexit évité de justesse, Brexit envisagé, Schengen fréquemment remis « sur le grill » : 2015 s’est caractérisée par une grande incertitude ambiante, qui constitue une sérieuse menace pour une Europe encore convalescente sur le plan économique.
Au Luxembourg: un optimisme prudent
Au Luxembourg, les voyants demeurent plutôt au vert à court terme, avec une croissance de 3,2% en 2015 et de 3,4% en 2016 selon le STATEC, un marché du travail qui conserve son dynamisme (croissance de l’emploi stable aux alentours de 2,5% et diminution du chômage, qui passerait de 6,9% en 2015 à 6,8% en 2016, toujours selon le STATEC). Toutefois, ces données dépendent intimement de plusieurs facteurs, dont une reprise du commerce mondial, une meilleure performance des pays BRIC, l’évolution des bourses et le maintien des anticipations macroéconomiques chinoises. Les entreprises luxembourgeoises semblent toujours manifester certaines hésitations, qui s’expliquent notamment par l’absence de réformes d’envergure ces derniers temps – dans le domaine fiscal par exemple.
Si le Luxembourg est sans doute parmi les pays les plus généreux en termes de modèle social, selon l’étude de référence « Global Competitiveness Report » du Forum économique mondial, il ne se classe qu’au 20e rang mondial parmi 140 pays sur le plan de la compétitivité (perte d’une place par rapport à l’édition 2014-2015). Le maintien durable du haut niveau de qualité de vie et de la générosité sociale tant appréciés au Grand-Duché dépend de la mise en œuvre d’une politique économique favorisant plus systématiquement l’attractivité de notre pays. Néanmoins, nous pouvons nous réjouir d’une excellente première place en matière de « technological readiness », c’est-à-dire l’aptitude des ménages et des entreprises de se servir efficacement des NTIC, qui apporte la preuve que les efforts des entreprises luxembourgeoises et du gouvernement en matière de TIC ont payé et qu’il convient de poursuivre sur cette voie prometteuse.
La confiance des entrepreneurs continue d’ailleurs à remonter timidement la pente, mouvement engagé depuis 3 ans[2]. Tel est en tout cas le principal enseignement à tirer de la récente enquête Eurochambres, dont le volet luxembourgeois a été organisé, pour la 23e fois, par la Chambre de Commerce. Mais si le climat des affaires, notamment dans les services, et le chiffre d’affaires s’amélioreraient en 2016, la situation demeure plus contrastée concernant l’emploi et les investissements. La propension à l’embauche paraît à nouveau positive dans les services et ce pour la première fois depuis la crise. Or, l’évolution anticipée des effectifs est en baisse dans l’industrie manufacturière. La confiance semble globalement au rendez-vous à court terme, mais nos entrepreneurs se montrent encore prudents lorsqu’il s’agit d’embaucher et, surtout, d’investir ; des choix qui s’articulent davantage à moyen terme. Les hésitations sur le front des investissements notamment reflètent un certain attentisme de la part de entrepreneurs et des anticipations quant aux perspectives économiques et entrepreneuriales à moyen terme toujours pas au beau fixe.
Trois grands défis, que l’ensemble des décideurs devront sérieusement prendre à bras le corps pour assurer la croissance de demain, sont avancés par les entrepreneurs : le manque de main-d’œuvre qualifiée, le coût du travail élevé et la demande intérieure atone. Des réformes permettant d’aborder ces défis, identifiés par les entrepreneurs, pourraient améliorer les perspectives d’emploi et d’investissement, qui restent mitigées alors qu’il s’agit des principaux vecteurs permettant de préparer la croissance future de l’économie luxembourgeoise.
Et demain ? Les cinq chantiers prioritaires à achever pour préparer le futur de notre pays
La mise en œuvre de réformes structurelles dans les domaines du droit du travail, de l’immigration et de la formation professionnelle est la première priorité pour valoriser le capital humain. Fidèle à cette logique, la Chambre de Commerce a contribué à la mise en place de la House of Training[3], en collaboration notamment avec l’ABBL, initiative ambitieuse au service de la formation professionnelle continue. L’Institut Supérieur de l’Economie, dont la mise en place est en cours, devrait en outre fournir aux salariés les clés de leur succès en proposant des offres de formation diplômantes au niveau supérieur. Une réforme tout aussi indispensable concerne la fiscalité des entreprises : en toile de fond de l’élargissement des bases d’imposition, qui va sans doute s’imposer suite notamment à l’initiative BEPS de l’OCDE (« Base Erosion and Profit Shifting »), il faut rétablir la compétitivité des entreprises luxembourgeoises en évitant une explosion de leur charge fiscale. Cela passe notamment par un ajustement à la baisse du taux d’imposition nominal des sociétés – ce taux étant bien plus élevé actuellement que chez les concurrents directs de la Place que constituent l’Irlande, la Suisse ou encore le Royaume-Uni. Compte tenu des nombreuses initiatives récemment adoptées par ces derniers pays, l’attentisme ne constitue plus du tout une option pour le Luxembourg.
Ensuite, il conviendrait de continuer à penser aux PME, l’épine dorsale de l’économie luxembourgeoise. A cet égard, outre l’adoption sans tarder du projet de loi « Omnibus » (devant par ailleurs être suivi d’un train de mesures « Omnibus II », notamment dans le domaine environnemental) il convient de supprimer toutes les procédures inutiles, de faciliter les démarches administratives et de procéder à une réforme du droit des faillites, afin d’agir contre la culture d’échec stigmatisante, encore trop répandue au Luxembourg. Sans compter l’indispensable simplification administrative et la « House of Entrepreneurship » - qui ambitionne de rassembler sous un seul toit les acteurs et les services de la chaîne de valeur du soutien à la création d’entreprise et de la promotion de l’esprit d’entreprise.
Aussi sera-t-il essentiel de conserver les quatre libertés fondamentales du marché unique et de tirer parti du libre-échange. En tant que troisième économie la plus ouverte du monde selon l’ « International Chamber of Commerce » et pays du « first move » (aptitude à déceler rapidement des niches prometteuses), le libre-échange fait partie intégrante de l’ADN luxembourgeois. Toute entrave aux échanges commerciaux est donc en même temps une barrière à la croissance luxembourgeoise. Le Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement, connu sous l’acronyme TTIP, ainsi que l’Accord sur le Commerce des Services (TISA) constituent une opportunité unique à saisir pour fixer les règles du jeu du commerce mondial, pour renforcer la compétitivité du Luxembourg et pour en faire une porte d’entrée, un « gateway » privilégié en Europe. Afin de suivre de plus près les grands dossiers européens et de défendre les libertés fondamentales de l’Union européenne, la Chambre de Commerce souhaite par ailleurs ouvrir en 2016 un bureau de représentation à Bruxelles, auprès des institutions européennes.
Si toutes les mesures précitées sont adoptées dans l’objectif de rendre plus résiliente l’économie luxembourgeoise et plus performantes les entreprises luxembourgeoises, il sera tout aussi indispensable de poursuivre les efforts déjà entrepris pour améliorer l’image du Grand-Duché auteur de nos valeurs centrales de la fiabilité, du dynamisme et de l’ouverture, car rien n’est plus volatil qu’une bonne réputation…
La dernière priorité de taille de l’économie luxembourgeoise est la réussite de la Troisième Révolution Industrielle : les résultats de l’étude stratégique, qui vise à rendre notre modèle économique plus interconnecté et soutenable, devront déboucher sur des avancées concrètes et apporter une véritable plus-value pour nos entreprises. Le succès de ce projet pionnier est donc largement tributaire du degré d’implication des entreprises luxembourgeoises. La Chambre de Commerce plaide pour une approche « bottom-up », permettant de donner voix au chapitre à toute entreprise et à tout acteur qui se sent concerné par le processus engagé.
Les personnes souhaitant davantage de renseignements ou commenter le contenu de ce communiqué peuvent s'adresser aux Affaires Economiques de la Chambre de Commerce
(Tél. : 42 39 39 - 350, e-mail : eco@cc.lu).
[1] Mario Draghi a agité le chiffon rouge d’une révision à la baisse de 1% de la croissance en 2016 et 2017, qui se serait imposée en l’absence de ce nouveau coup de pouce monétaire.
[2] Après une détérioration prononcée du climat des affaires en 2008 et 2009 et un second « plongeon » en 2012, les entrepreneurs au Luxembourg se montrent plus confiants en 2015 et ce notamment dans l’industrie manufacturière. Ce gain de confiance se reflète également dans les anticipations pour 2016 pour l’ensemble de l’économie, mais surtout pour les services.
[3] www.houseoftraining.lu.