Entre ces deux-là, la complicité est palpable. Ils communiquent un vrai bonheur à diriger ensemble l’entreprise familiale qui porte leur nom, considérant tous deux leurs différences comme une richesse. Honnêteté, professionnalisme et respect sont au menu quotidien, entre eux mais aussi envers toutes les équipes qui composent le groupe Steffen (boucherie, traiteur, salaison et restauration).
Frank, le point de départ du groupe Steffen, c’est la boucherie de Steinfort, que vous avez ouverte en 1989. C’est quoi l’histoire de cette première activité ?
« Mes grands-parents étaient bouchers. L’attirance pour ce métier a ensuite sauté une génération et j’en ai hérité. Pour être né dedans, j’étais sensible à sa dimension créative. Après des études de commerce et de gestion, j’ai donc décidé de préparer un brevet de maîtrise en boucherie au Lycée technique de Bonnevoie. Après un premier poste de commis et cinq années d’expérience chez un patron, j’ai voulu ouvrir mon propre commerce. J’ai embarqué mon épouse et mon père dans l’aventure. Nous avons assez vite proposé une petite gamme traiteur que l’on ne trouvait pas dans les autres boucheries, des quiches, des pâtésen croûte… puis un véritable party service. J’avais dès le départ l’envie d’offrir plus que ce que l’on peut attendre d’une boucherie traditionnelle.
Tom, pour vous, rejoindre l’entreprise de votre père était une évidence ?
« Pas du tout. À 14 ans, je rêvais de devenir architecte. Mon père m’a d’ailleurs soutenu dans cette voie. Puis je me suis rendu compte que le dessin industriel m’ennuyait et que le milieu de la boucherie-traiteur, dans lequel j’avais grandi, m’attirait vraiment. J’ai eu la chance de pouvoir aller me former à Lyon, à l’Institut Paul Bocuse. C’est une excellente formation avec des professeurs remarquables, qui m’a permis de faire des stages dans des maisons prestigieuses, dont le restaurant Clairefontaine à Luxembourg ou le Carlton à Cannes. À l’Institut, j’ai choisi la filière gestion / management et avant d’entrer chez Steffen en 2009 j’ai fait mes premières armes chez Raynier Marchetti (traiteur haut de gamme créé à Paris en 1968, ndlr) pendant plusieurs années. Le métier de traiteur est très technique. Je voulais le comprendre dans les moindres détails.
La boucherie des origines s’est très vite développée pour donner naissance à un groupe. C’est une histoire de vision ou d’opportunités ?
Frank : « C’est avant tout une histoire de gestion des risques. Dans les métiers de bouche, nous sommes régulièrement confrontés à des crises alimentaires. Si l’on a une activité unique, on est beaucoup plus vulnérable que si l’on s’est diversifié. Avoir plusieurs activités est beaucoup plus intensif au niveau du travail mais aussi beaucoup plus prudent. J’ai eu la chance de pouvoir m’appuyer sur une équipe solide dès le début, ce qui m’a permis de pouvoir franchir des étapes. À chaque fois que l’on maîtrise un métier supplémentaire, on est prêt pour l’étape suivante. La croissance permet en outre d’offrir des perspectives et des opportunités à l’équipe et de la retenir dans l’entreprise.
Vous parliez de crises alimentaires. Sans être véritablement une crise, la défiance vis-à-vis de la viande est-elle préjudiciable à votre activité de boucherie ?
Frank : « La viande n’a jamais été d’aussi bonne qualité que de nos jours, avec une excellente traçabilité. Se nourrir sainement n’est pas incompatible avec la consommation de viande. Notre intérêt est que nos clients restent en bonne santé le plus longtemps possible, pas qu’ils consomment le plus de viande possible. Nous militons d’ailleurs pour une alimentation saine au travers de notre soutien au mouvement Slow Food Luxembourg ou encore à travers notre initiative Guerilla Food qui vise à proposer une offre fast-food de qualité sur le festival Rock-A-Field.
Tom : « L’excès de viande est préjudiciable, comme tous les excès. La viande n’est pas un aliment qui est fait pour être consommé matin, midi et soir. Notre objectif n’est pas de vendre le plus possible, mais le meilleur produit possible. Et nous pensons que la sécurité du consommateur passe d’abord par la confiance qu’il peut avoir en son commerçant, plutôt que par une batterie de lois censées le protéger.
Pouvez-vous me citer chacun un élément déterminant qui vous a fait progresser dans votre métier ?
Frank : « Le métier de traiteur me fait rencontrer en permanence des personnes très exigeantes, cela me fait avancer. J’ai aussi la chance de pouvoir accéder à des lieux exceptionnels, formidables sources d’inspiration.
Tom : « Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir participer au programme mis au point par la Banque de Luxembourg pour les jeunes qui rejoignent une entreprise familiale. Ce programme s’étale sur une période d’un an et ne concerne pas seulement des aspects financiers. Les intervenants sont des personnes de la banque mais aussi des professeurs de la chaire Familles en entreprises de l’Ichec (Bruxelles). C’est une formidable opportunité d’affiner sescompétences tout en étant un espace de réflexion et de partage.
En ce qui concerne l’activité traiteur, est-il plus facile de travailler pour desparticuliers ou pour des entreprises ?
Tom : « Dans le cas d’une fête familiale, je compare souvent l’activité à un roman que l’on veut mettre en film. Il faut beaucoup d’écoute et de dialogue pour comprendre et interpréter les rêves et les idées que les clients ont dans la tête. Dans le cas de la clientèle corporate, l’émotionnel est aussi très souvent présent. Donc les deux métiers se rejoignent ; c’est à chaque fois une histoire écrite sur mesure.
Frank : « Dans les deux cas nous n’avons qu’une seule chance de bien faire et dans les deux cas il s’agit de transformer l’éphémère d’un événement en souvenirs durables. Nous nous impliquons encore souvent personnellement sur les événements. Nous mettons parfois la main à la pâte, mais surtout nous allons à la rencontre des clients.
La qualité est une notion essentielle pour vous. Trouvez-vous facilement les compétences dont vous avez besoin ?
Tom : « Nous avons un haut niveau d’exigence en effet car chaque salarié est ambassadeur de notre marque. Trouver de très bons éléments est difficile. La boucherie n’est pas une filière qui attire les jeunes. Elle n’est pas vue comme valorisant alors que pour quelqu’un qui se donne la peine de bien faire son métier, la dimension de contact et de conseil peut être tout à fait gratifiante.
Frank : « Trouver des jeunes motivés par le métier est compliqué, mais les garder est encore plus difficile car bon nombre d’entre eux recherchent des horaires de fonctionnaires que nous ne pouvons offrir dans l’univers des produits de bouche. On forme ces jeunes, parfois en y mettant beaucoup de moyens, je pense en particulier à un jeune à qui j’avais fais faire un stage en Allemagne, et ensuite il arrive qu’ils préfèrent quitter l’entreprise pour une carrière dans la fonction publique à la première opportunité qui se présente.
Tom : « Les processus de recrutement sont assez longs. Nous sommes souvent obligés de passer nos annonces à l’international et nous allons jusqu’à aider nos recrues à se loger au Luxembourg car la difficulté à trouver un toit à un prix abordable est vécue comme un frein pour les candidats étrangers.
Quel est le secret de votre motivation, votre moteur ?
Tom : « Personnellement, je me lève chaque matin en ayant la volonté de faire la différence.
Frank : « J’estime que j’ai deux clients, l’interne et l’externe. Ils sont aussi importants l’un que l’autre à mes yeux.
Quelles sont les perspectives du groupe Steffen ?
Frank : « Nous avons investi au début de l’année 2015 dans un centre logistique à Niederkorn où nous pouvons gérer l’ensemble du matériel dont nous avons besoin pour l’activité traiteur, des nappes au mobilier en passant par la vaisselle et les denrées alimentaires. Nous avons choisi cet endroit car il y a un terrain suffisamment grand pour y construire un site unique où rassembler toutes nos activités.
Tom : « Pour le moment nos activités sont éclatées sur quatre communes : Niederkorn avec le centre logistique ; Steinfort avec le restaurant la Table de Frank, l’épicerie fine, la Maison Steffen, la production pour les boucheries, les pâtisseries et le head office ; Kleinbettingen pour tout le segment cuisine et événementiel ; Hagen pour la préparation des salaisons agréées et le stockage des jambons Lisanto, sans oublier le département du contrôle de qualité qui se déploie sur l’ensemble des sites. Notre projet phare est de regrouper l’ensemble de la production et des services administratifs dans un lieu unique sous la nouvelle appellation Manufacture Steffen pour insister sur le côté manuel de nos métiers qui leur donne toute leur noblesse. »
Steffen en chiffres :
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5 boucheries, implantées à Luxembourg- Cents, Pétange, Dudelange, Steinfort et Esch-sur-Alzette
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150 employés
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50 % du chiffre d’affaires réalisé par l’activité traiteur
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1.000 événements par an assurés par le service traiteur
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100.000 couverts par an
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Événements pour 4 à 2.000 personnes
Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude / Focalize