Nouveau règlement européen sur le géoblocage : ce qui va changer en matière de commerce en ligne

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Affaires juridiques – Géoblocage, changement commerce en ligne

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Le 28 février 2018, le règlement (UE) n°2018/302 visant à contrer le géoblocage géographique injustifié et d’autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients dans le marché intérieur (ci-après le « Règlement (UE) n°2018/302 »), encore appelé règlement sur le géoblocage a été adopté.

Ce règlement, qui s’inscrit dans le cadre de la volonté de l’Union européenne (ci-après l’«Union ») de favoriser le commerce électronique dans un marché unique numérique garantissant que tous les clients de l’Union bénéficient d’un accès identique aux biens et services proposés dans l’ensemble de l’Union, obligera les commerçants à revoir un certain nombre de pratiques en matière de commerce en ligne.

La Chambre de Commerce propose de faire le point sur les changements occasionnés par ce nouveau règlement européen en 10 questions.

1) Qu’est-ce que le géoblocage ?
Le géoblocage est une pratique consistant à empêcher un acheteur en ligne d’avoir accès et/ou d’acquérir des produits ou services proposés sur un site web établi dans un autre Etat membre que celui de résidence ou de situation de l’acheteur.

Aux termes de l’article 1er du Règlement (UE) n°2018/302 on peut définir le géoblocage comme étant une discrimination « fondée, directement ou indirectement, sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d’établissement des clients ».

Cette pratique peut notamment consister à bloquer l’accès à un contenu en ligne en raison du lieu de situation de l’utilisateur ou de le rediriger vers un autre site disponible dans son état de résidence, à empêcher le client de finaliser son achat ou obliger celui-ci à payer avec une carte de débit ou de crédit émanant d’un certain Etat membre.

2) Qui sera tenu d’appliquer ces nouvelles dispositions ?
Le Règlement (UE) n°2018/302 concerne tout professionnel, c’est-à-dire « toute personne physique ou morale qu’elle soit publique ou privée qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une autre personne agissant au nom ou pour le compte du professionnel, aux fins qui entrent dans le cadre de l’activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale du professionnel[1] ».

Seront donc tenus d’appliquer ces nouvelles dispositions tous les professionnels proposant des biens ou services en ligne au sein de l’Union européenne.

3) Qui sera protégé par ces nouvelles dispositions ?
Il est à noter que le Règlement (UE) n°2018/302 ne se limite pas à la seule relation entre un consommateur et un professionnel mais que le législateur européen a plutôt opté pour une référence à la relation existant entre un « client »  et un professionnel.

La référence à cette notion de « client » implique ainsi l’application des dispositions du Règlement (UE) n°2018/302 à un cercle élargi de personnes. En effet, le Règlement (UE) n°2018/302 définit la notion de client comme étant : « un consommateur qui possède la nationalité d’un Etat membre ou y a son lieu de résidence, ou une entreprise qui a son lieu d’établissement dans un Etat membre, et qui reçoit un service ou achète un bien, ou tente de la faire, dans l’Union, dans le but unique de son utilisation finale ».

Ainsi, le géoblocage se trouvera non seulement interdit dans le cadre de relations B2C mais également dans le cadre de relations B2B lorsque le professionnel acquiert un bien ou un service en ligne dans le but unique de son utilisation finale. Le professionnel acquérant un bien ou un service dans le but de son utilisation finale bénéficiera par conséquent lui aussi de la protection conférée par le Règlement (UE) n°2018/302.

4) L’interdiction du géoblocage sera-t-elle absolue ?
Le Règlement (UE) n°2018/302 fait une distinction selon que le géoblocage consiste en des restrictions à l’accès aux interfaces en ligne ou à des restrictions à l’accès aux biens et services proposés sur ces interfaces en ligne.

a) L’interdiction des restrictions à l’accès aux interfaces en ligne[2]
Le Règlement (UE) n°2018/302 interdit de manière absolue au professionnel de bloquer ou de limiter l’accès d’un client à un site web ou autre pour des motifs liés à la nationalité, au lieu de résidence ou au lieu d’établissement d’un client[3]. Il est également interdit, sauf consentement exprès du client, de rediriger celui-ci vers une version de l’interface en ligne qui est différente de la version à laquelle le client a initialement voulu accéder.

Ces interdictions ne seront toutefois pas applicables lorsque le blocage, la limitation de l’accès ou la redirection du client seront nécessaires en vue de satisfaire à une obligation légale applicable aux activités du professionnel.

b) L’interdiction de la limitation de l’accès aux biens et services proposés en ligne
Le Règlement (UE) n°2018/302 prévoit qu’un professionnel ne pourra pas appliquer des conditions générales d'accès aux biens ou services qu’il propose différant en fonction de la nationalité, du lieu de résidence ou du lieu d'établissement du client, dans les cas où le client cherche à:

a) acheter des biens auprès d'un professionnel et que soit ces biens sont livrés en un lieu situé dans un État membre vers lequel la livraison est proposée dans les conditions générales d'accès du professionnel, soit ces biens sont retirés en un lieu défini d'un commun accord entre le professionnel et le client dans un État membre pour lequel le professionnel propose une telle option dans les conditions générales d'accès;

b) obtenir des services fournis par un professionnel par voie électronique (par exemple: services cloud, stockage de données, hébergement de site internet),

c) obtenir des services d'un professionnel autres que des services fournis par voie électronique, en un lieu situé sur le territoire d'un État membre dans lequel le professionnel exerce son activité (par exemple: hébergement hôtelier ou location de voiture prestés dans l’Etat membre d’établissement du professionnel). 

Il est toutefois à noter que les services fournis par un professionnel par voie électronique dont la principale caractéristique est de permettre un accès à des œuvres protégées par le droit d'auteur ou d'autres objets protégés ou de permettre leur utilisation, y compris la vente sous une forme immatérielle des œuvres protégées par le droit d'auteur ou des objets protégés, sont exclus du champ d’application de ces dispositions.

5) Les transactions nationales seront-elles concernées par ces dispositions?
Les transactions purement nationales, c’est-à-dire réalisées entre un professionnel et un client situés dans le même Etat membre sont exclues du champ d’application du Règlement (UE) n°2018/302[4].

6) Un professionnel pourra-t-il encore déterminer librement où il souhaite livrer ses biens ?
Oui, le Règlement (UE) n°2018/302 impose une obligation pour le professionnel de permettre l’accès à ses biens, mais aucunement une obligation de livraison dans le chef du professionnel vers un Etat membre dans lequel il ne propose habituellement pas la livraison. 

Un client étranger devra donc pouvoir acquérir les biens proposés par les professionnels établis dans l’Union aux mêmes conditions qu’un résident de l’Etat membre d’établissement du commerçant, mais il ne pourra pas exiger du professionnel la livraison du bien dans son Etat de résidence et devra peut-être s’organiser pour les retirer lui-même ou en un lieu convenu d’un commun accord avec le professionnel.

Pour éviter toutes discussions sur ce point, il sera néanmoins vivement conseillé aux professionnels d’indiquer clairement sur leur site internet les pays dans lesquels ils assurent la livraison.

7) Un professionnel pourra-t-il encore déterminer librement les modalités de paiement qu’il accepte pour des transactions transfrontalières ?
Le Règlement (UE) n°2018/302 n’oblige pas les commerçants à accepter tous les moyens de paiement.

Cependant, les moyens de paiement acceptés par le commerçant doivent être disponibles et proposés à des conditions non discriminatoires pour tous les clients, quels que soient la nationalité, le lieu de résidence, le lieu d’établissement du client, la localisation du compte de paiement, le lieu d’établissement du prestataire de services de paiement ou le lieu d’émission de l’instrument de paiement[5].

8) Le Règlement (UE) n°2018/302 a-t-il une influence sur la question du droit applicable au contrat ?
Le Règlement (UE) n°2018/302 ne contient aucune disposition particulière relative à la question du droit applicable au contrat qui sera ainsi conclu en ligne.

Il convient dès lors sur ce point de se référer aux principes généraux et notamment à l’article 6 du règlement (CE) 593/2008[6], dit règlement « Rome 1 », qui prévoit que dans le cadre d’un contrat conclu entre un consommateur[7] et un professionnel, le contrat est régi par le droit du lieu de résidence du consommateur à condition que : (i) le professionnel exerce son activité dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence, ou (ii) par tout moyen dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays dont celui-ci.

En dehors de ces deux hypothèses, un tel contrat sera, en vertu des dispositions générales relatives aux contrats[8], régi par la loi librement désignée par les parties ou, à défaut de choix exprimé dans le contrat de vente, par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle.

Concernant plus particulièrement la notion « d’activité dirigée vers le pays dans lequel le consommateur a sa résidence », il convient de noter que le Règlement (UE) n°2018/302 précise à juste titre que le simple fait pour un professionnel de se conformer au Règlement (UE) n°2018/302 ne peut être interprété comme impliquant que celui-ci dirige ses activités vers l'État membre de la résidence habituelle ou du domicile du consommateur, au sens de l'article 6, paragraphe 1, point b), du règlement (CE) n°593/2008[9]

9) Quelles seront les sanctions encourues en cas de non-respect de ces dispositions ?
Le Règlement (UE) n°2018/302 prévoit que chaque Etat membre devra désigner un ou plusieurs organismes chargés du contrôle adéquat et effectif de l’application des dispositions[10].

Les Etats membres devront également déterminer les sanctions applicables en cas de violation des dispositions du Règlement (UE) n°2018/302. Il convient dès lors d’attendre pour le moment les mesures nationales déterminant les sanctions applicables.

10) A partir de quand faudra-t-il se conformer aux nouvelles dispositions ?
L’article 11 du Règlement (UE) n°2018/302 prévoit une entrée en vigueur des nouvelles dispositions à partir du 3 décembre 2018. S’agissant d’un règlement européen, ses dispositions seront directement applicables dans l’ensemble de l’Union sans qu’aucune mesure de transposition nationale ne soit nécessaire.


[1] Article 2 paragraphe 18 du Règlement (UE) n°2018/302

[2] Aux termes de l’article 2 du Règlement (UE) n°2018/302 on entend par interface en ligne : «tout logiciel, y compris un site internet ou une section de site internet, et des applications, notamment des applications mobiles, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux clients d'accéder aux biens ou aux services qu'il propose en vue de réaliser une transaction portant sur ces biens ou services ». 

[3] Article 3 du Règlement (UE) n°2018/302

[4] Article 1er paragraphe 2 du Règlement (UE) n°2018/302

[5] Article 5 du Règlement (UE) n°2018/302

[6] Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles

[7] Pour rappel, la notion de « consommateur » est différente de la notion de « client » utilisée dans le Règlement (UE) n°2018/302. En effet, la législation européenne définit le consommateur comme étant : «toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » (article 2 de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs).

[8] Article 3 et 4 du règlement Rome 1

[9] Article 1er paragraphe 6 du Règlement (UE) n°2018/302

[10] Article 7 du Règlement (UE) n°2018/302