Cyrille Gerhardt, gérant de Niche Fragrance Distribution et amoureux des parfums haut de gamme d’origine naturelle, a créé fin 2013 Smell-Marketing, une agence de marketing olfactif. Au départ du Luxembourg, la start-up répand des senteurs pour mieux convaincre.
Pourquoi avoir lancé Smell-Marketing et quels services offrez-vous ?
« Smell-Marketing est une société spécialisée en marketing olfactif. Nous proposons des parfums réalisés sur mesure et adaptés aux clients. Des diffuseurs d’odeurs peuvent être utilisés pour favoriser la qualité de l’expérience client, renforcer l’image d’une enseigne par la diffusion d’une odeur en relation avec son univers. Nous créons la ‘signature olfactive’ de nos clients en associant les compétences de la parfumerie à un service marketing. Le but est que le client vive une expérience sensorielle et émotionnelle particulière et qu’elle lui reste agréablement en mémoire. Vous retenez en moyenne 5 % de ce que vous entendez, 15 % de ce que vous voyez et… 35 % de ce que vous sentez ! L’odorat a une action forte, voire la plus forte. Voyez la célèbre madeleine de Proust.
Avant, le marketing était surtout visuel ou sonore. Aujourd’hui, le marketing sollicite les cinq sens : la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat. C’est ce qu’on appelle le ‘marketing sensoriel’. Dans une société saturée d’images, se différencier par l’odeur est une approche originale qui peut s’avérer très efficace ! Les champs d’application sont multiples. Nos senteurs peuvent être élaborées à base de molécules de synthèse ou à base d’essences naturelles et biologiques uniquement. C’est ce qui fait notre différence. Il existe 4.000 molécules de synthèse. La palette permet une diversification énorme. À titre de comparaison, nous sommes limités à 800 matières premières biologiques et naturelles et nous sommes à des prix totalement différents. C’est plus compliqué à faire et donc, plus onéreux. Nous sommes aussi exposés aux aléas de la nature : catastrophes naturelles, canicules, inondations, tempêtes, etc. qui vont moduler le prix des récoltes.
Comment procédez-vous pour créer une signature olfactive ?
« Mon travail consiste à créer un briefing, basé sur le profil du client, son image de marque, sa philosophie et ce qu’il souhaite véhiculer. Nous passons en revue les éléments techniques de l’espace (taille, passage, secteur d’activité…) et nous parlons avec des couleurs, moins complexes à décrire que les odeurs. Ce briefing deviendra une source d’inspiration pour l’artiste parfumeur en charge d’élaborer un ‘jus’ qui correspond au client. Les signatures olfactives sont uniques et propres au client. Ce dernier reste l’exploitant exclusif de la signature et l’artiste parfumeur, le propriétaire intellectuel. La démarche pour l’élaboration d’un parfum d’ambiance est la même que pour un parfum corporel. Il y a une note de tête, de coeur et de fond. Les molécules de la note de tête, par exemple, vont disparaître très vite pour laisser place aux notes de coeur et de fond.
Comment et où ces senteurs sont-elles diffusées ?
« La question de la diffusion est un point crucial ! Une diffusion trop soutenue peut rapidement devenir désagréable, une diffusion trop faible s’avère inefficace. Dans la restauration, en particulier, la démarche doit rester subtile. La signature olfactive sera utilisée dans le lounge ou dans l’annexe de l’hôtel, mais jamais dans le restaurant, pour permettre de savourer ce qu’il y a dans l’assiette, ni même dans les chambres, qui doivent rester un environnement neutre.
Pour un couloir menant à un spa, par exemple, une odeur procurant une sensation de bien-être pourra vous accompagner agréablement. Il est également possible de décliner des produits cosmétiques (bougie, crème relaxante, gel douche, savon, etc.) sur la même note parfumée. Une solution technique adaptée au lieu s’impose. Smell-Marketing utilise la technique de ‘nébulisation’. Un petit appareil diffuse une brume sèche et très fine et permet une répartition homogène du parfum. Ce principe de diffusion à froid n’utilise pas de source de chaleur et n’altère donc pas les molécules. L’essence naturelle, parfois visqueuse ou grasse, n’est pas non plus diluée dans des solvants. Les budgets restent très abordables.
En dehors de la création d’une signature olfactive et des solutions parfumées dérivées, exigeant un budget plus conséquent en fonction des exigences de la demande, le service Smell-Marketing est proposé en solutions mensuelles pour diffuser la fragrance. La première offre est accessible pour moins de 100 euros par mois, pour des espaces allant jusqu’à 300 m2.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
« Après des études en école de commerce, j’ai eu l’opportunité de travailler dans le secteur de la cosmétique en Suisse pour une société qui se positionne comme une parfumerie dite de niche. Ces parfums de niche privilégient les matières premières et les compositions audacieuses, tout en insistant sur le caractère très confidentiel et ‘secret’. C’est ainsi que je suis entré en contact avec des fournisseurs d’exception, notamment en Provence, à Grasse, la capitale mondiale des parfums, où j’ai passé quelques mois. J’ai pu voir et comparer les matières utilisées. L’industrie des parfums étant en proie à une guerre des prix et un marketing de masse, l’idée m’est venue de faire de l’exceptionnel. La qualité des matières premières fait toute la différence.
Je ne fais aucune publicité et je me fais connaître essentiellement sur recommandation. Comme il s’agit d’un secteur de niche, le milieu est faiblement exploité. Certains acteurs du marché n’ont aucune connaissance de la parfumerie. Nous leur apportons le conseil en plus. J’ai aussi la chance d’être très bien entouré. Ce sont toutes des personnes passionnées et c’est ça qui est passionnant ! Annick Le Guérer, anthropologue et philosophe, historienne, chercheuse et écrivain spécialiste de l’odorat, des odeurs et du parfum, compte parmi mes amis. Elle a notamment démontré que les parfums et les odeurs avaient des vertus et une influence sur le psychisme.
Pourquoi le Luxembourg ?
« Je suis au Luxembourg depuis 14 ans, avec une parenthèse lorsque j’étais en Suisse, puis à Grasse. Je suis revenu au Grand-Duché en premier lieu pour des raisons géographiques. Lorsque j’étais dans le sud de la France, tout était compliqué pour se déplacer. Ici, Paris, Bruxelles et les villes en Allemagne sont facilement accessibles. Je peux fixer mes rendez-vous à une cadence plus élevée. C’est un gain de temps énorme. Les démarches administratives sont plus simples et les chemins sont courts et peu contraignants au Luxembourg, un pays qui soutient aussi l’innovation.
Français d’origine, j’ai grandi en Allemagne, et en plus du français et de l’allemand, je maîtrise l’anglais, j’ai appris le luxembourgeois et j’ai quelques notions de russe, du côté maternel. Je me sens parfaitement intégré au milieu de cette pluralité culturelle et ce multi linguisme propres au Luxembourg. C’est un laboratoire qui permet de se préparer, d’adapter des concepts avant de se lancer. Le Grand-Duché a été pour moi une source d’inspiration. D’ailleurs, l’idée de fonder ma société est née au Luxembourg !
Devez-vous faire face à certaines difficultés ? Et lesquelles ?
« Les difficultés auxquelles je dois faire face sont essentiellement d’ordre financier. Aujourd’hui, je suis obligé de m’autofinancer. Les banques ne prêtent pas, même si mon plan d’affaires est crédible. Si vous n’êtes pas bénéficiaire dès la première année, on vous demande de tenir le coup… Heureusement pour moi, j’ai dépassé mes objectifs fixés pour la première année et mon chiffre d’affaires pour 2015 est en hausse par rapport à 2014 à la même période. Bien que le niveau de risque varie, le projet à risque zéro n’existe pas. Or aujourd’hui, les banques ne veulent financer que des projets à risque zéro. Le rôle d’une banque devrait être d’accompagner. Une simple ligne de crédit suffirait ! J’ai bien pensé à me financer par une plateforme de crowdfunding (financement participatif, ndlr), mais par manque de temps je suis dans l’obligation de subvenir à mes propres besoins et d’avancer comme je peux.
Travaillez-vous en partenariat avec certains organismes ou réseaux au Luxembourg ?
« J’ai eu quelques contacts avec Luxinnovation. Je suis membre fondateur du Business Club France-Luxembourg (BCFL) inauguré le 24 juin dernier à Paris par Xavier Bettel. Parrainé par la Chambre de Commerce et l’Ambassade du Grand-Duché en France, ce club d’affaires compte déjà une centaine de membres et est destiné à susciter des partenariats entre décideurs français et luxembourgeois. C’est un support avantageux en matière d’échanges et de conseils. J’accepterais volontiers de conseiller une entreprise qui souhaite s’installer en France ou au Luxembourg. Je suis aussi membre de la Fédération des jeunes dirigeants d’entreprise de Luxembourg, ce qui me permet d’élargir mon réseau de connaissances et de trouver de nouvelles sources d’inspiration. Enfin, je figurais parmi les trois finalistes du concours Creative Young Entrepreneur Luxembourg (Cyel), organisé chaque année par la Jeune Chambre économique du Grand-Duché (la JCI Luxembourg) - un réseau international visant à encourager les projets de jeunes entrepreneurs.
Que préférez-vous dans votre métier ?
« La variété des rencontres… et le plaisir de pouvoir ‘déborder’ un peu sur le milieu artistique et culturel, en restant spécialisé en marketing. Les contacts avec les clients sont enrichissants. Mes clients ont des profils très différents, allant du grand groupe à la petite boutique de 15 m2. Je propose du sur mesure pour des secteurs d’activité variés : boutiques, chaînes de magasins, restaurants, spas, hôtels, lieux publics, lieux de travail, ainsi que le monde culturel et artistique… Je peux aussi intervenir dans une stratégie événementielle. Je ne regrette rien et je vis ma passion ! Ça se voit, non ? (rires). »
Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Gaël Lesure