Quand un événement est réussi, les participants repartent contents mais bien souvent ils ne soupçonnent pas les heures de travail, les mètres de câbles, la quantité de matériel et la maîtrise technique qu’il a fallu déployer pour assurer cette réussite. Garantir le bon fonctionnement du son, de la lumière et de la vidéo pour tout type d’événement est paradoxalement un métier de l’ombre, que la société Apex pratique depuis 25ans et auquel son manager a donné de nouvelles perspectives en investissant en 2019 dans un nouveau local de 4.000 m2 à Contern. Tout est donc prêt pour une montée en puissance du carnet de commande dès que l’organisation d’événements sera revenue à son rythme habituel. En attendant, la société s’est adaptée avec quelques nouvelles offres, comme nous l’explique Marc Molitor, fondateur et directeur.
Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Apex ?
C’est une activité que j’ai démarrée quand j’étais encore au lycée car j’avais fait le constat que la fourniture de techniques de son et lumière pour des événements n’existait pratiquement pas au Luxembourg. Il y avait quelques entreprises sur le marché mais bien souvent elles proposaient des produits obsolètes et des services moins complets que ceux que j’ai pu voir en dehors du Luxembourg. J’ai d’abord proposé nos services dans la sphère récréative, pour des soirées. Puis, comme cela ne suffisait pas à assurer le développement de l’entreprise, j’ai décliné mon offre pour le secteur professionnel, pour les entreprises qui avaient des besoins de communication événementielle comme par exemple pour des lancements de produits. J’ai créé formellement la société, en 1996. J’étais encore étudiant.
Vous avez monté ce business from scratch sur un marché où vous étiez précurseur, quelles difficultés avez-vous rencontrées à l’époque ?
Le métier que j’étais en train de monter n’existait pas en tant que tel donc je n’ai pas eu d’aides à la création d’entreprise. De leur côté, les banquiers, très frileux, n’étaient pas prêts à me prêter de l’argent. Quant aux clients, ils préféraient s’adresser à des fournisseurs étrangers qui avaient déjà acquis une réputation. Mon entreprise était jeune et inconnue. Je m’entendais répondre : « je préfère travailler avec quelqu’un qui a de l’expérience ». Heureusement, aujourd’hui c’est le contraire, les entreprises prennent des risques pour travailler avec des startups.
Et aujourd’hui, quelles sont vos difficultés ?
Au quotidien, pour le moment c’est la crise Covid qui nous ennuie le plus car elle entraîne des vagues d’annulations d’événements. Cela devient très difficile à supporter car les clients annulent parfois très tard, à un moment où certains coûts sont déjà engagés de notre côté et ne sont plus annulables. La prévisibilité est devenue très courte. Nous nous sommes organisés pour y faire face mais c’est difficile de gérer une entreprise avec une visibilité d’une semaine ! À chaque fois, il faut réorganiser le planning des équipes. Celles-ci en souffrent car c’est bien souvent au détriment de leur vie privée. Je voudrais d’ailleurs les remercier ici pour leur flexibilité et leur engagement dans cette période difficile. Nous espérons vraiment que les clients reprendront l’habitude d’anticiper davantage quand les choses reviendront à la normale.
Une autre difficulté est de trouver du personnel qualifié, d’autant plus que, pendant la crise, certains ont changé de métier car l’événementiel était sinistré. Le problème existait déjà avant la crise mais il s’est amplifié. Il n’existe pas de formation de technicien d’événementiel au Luxembourg. Dans les pays limitrophes la formation existe mais ces pays veulent garder les jeunes qu’ils ont formés. Il faut dire que notre métier est particulier, avec des pics d’activités et des périodes plus creuses. Cela ne convient pas à tout le monde. Heureusement que nous avons constitué un bon réseau d’intermittents passionnés avec lesquels nous travaillons régulièrement. C’est une de nos forces.
Revenons sur les conséquences de la crise. Quel a été l’ampleur de l’impact négatif ?
Il n’a pas fallu plus d’une semaine après l’annonce du confinement en mars 2020 pour voir notre carnet de commande se vider. C’était assez vertigineux ! Au début, les aides n’avaient pas encore été annoncées et le chômage partiel existait pour d’autres métiers mais pas encore pour le nôtre. Par la suite, c’est la mesure qui nous a le plus aidés. La reprise n’a pas encore complétement eu lieu pour notre secteur. Il y a eu de petites reprises pendant les périodes d’accalmie, courant 2020 et 2021. Septembre et octobre 2021 ont été plutôt bons mais ensuite le variant Omicron a commencé à déferler et les clients se sont remis à avoir peur d’organiser des événements.
Dès le début, la prudence nous a dicté de freiner tous les investissements et de limiter les frais courants. Et surtout, nous avons offert des alternatives aux clients. Nous avons été les premiers à proposer un studio digital, dans nos murs, prêt à l’emploi, où les clients pouvaient venir « streamer » et enregistrer des prises de paroles ou des conférences, sans perdre de temps en installation. On a aussi pu faire des événements digitaux ou hybrides et compenser ainsi un peu de perte de chiffre d’affaires. Ensuite, pour rassurer les clients, nous avons installé une cabine de désinfection fonctionnant à la lumière pulsée, permettant de désinfecter l’ensemble de notre matériel, après chaque utilisation, avec une plus grande efficacité qu’un nettoyage manuel.
Vous êtes l’un des membres fondateurs de la Luxembourg Event Association (LEA). Est-ce que sa création a aidé le secteur à traverser la crise ?
Très certainement car avant, le secteur n’avait pas de porte-parole, sur un petit marché où nous avions tendance à considérer nos confrères d’abord comme des concurrents. La crise Covid-19 a donc été, de ce point de vue, une occasion unique de créer de la solidarité. Le gouvernement n’avait pas identifié notre secteur comme étant à risque donc il fallait affirmer notre existence et expliquer nos contraintes. Grâce à cela le ministre Lex Delles a reconnu notre situation et nous est venu en aide. L’action de la LEA a donc été cruciale pour la survie du secteur.
Depuis vos débuts, votre offre s’est beaucoup diversifiée. Comment l’avez-vous fait évoluer ?
J’ai effectivement commencé en proposant le son et la lumière uniquement. Dans les années 2000, avec le développement des écrans plats, les clients ont commencé à demander de plus en plus de projections vidéo en plus des captations caméra que nous assurions déjà. C’est donc tout naturellement que nous avons ajouté la vidéo à notre catalogue de services. Nous gérons de plus en plus de configurations complexes avec des événements hybrides (présentiel, distanciel) d’autres à 100 % en digital, certains rassemblant des participants locaux et d’autres basés dans différents pays, qui impliquent de la traduction en temps réel, des injections vidéo au cours d’événement etc.
L’informatique prend de plus en plus d’importance. Or les plateformes permettant ce type d’événement sont pour la plupart des produits américains. En termes d’échange avec les fournisseurs, surtout en cas de besoin de support, c’est assez compliqué. Donc tout repose sur l’expérience que nous avons acquise ces derniers mois. Parfois le client recommande une plateforme mais il ne réalise pas qu’elle n’est pas adaptée à son besoin. C’est notre rôle de le conseiller pour que tout se déroule bien.
Comment vous tenez vous informés des nouvelles techniques en son, lumière et vidéo ?
Nous sommes tous des passionnés. Nous suivons les évolutions sur des forums, des salons, des revues techniques et surtout grâce aux échanges entre les gens du métier. D’où l’importance de nous retrouver le plus souvent possible au bureau. Dans notre métier, le télétravail n’est pas très convaincant, il crée de l’isolement et est un frein à la communication. Les rencontres de hasard dans les couloirs font partie des éléments informels qui font avancer une entreprise.
Pouvez-vous nous dire quels ont été le plus petit et le plus grand événement que vous ayez eu à gérer ?
Nos plus petits événements tournent autour de 20 personnes et nous sommes déjà monté jusqu’à 20.000. Dans notre actualité récente, nous sommes très fiers d’avoir été le seul fournisseur luxembourgeois de technique événementielle sur l’événement de lancement d’Esch2022, European capital of Culture, qui s’est déroulé le 26 février dernier. Cela a été un bel objectif, un bel horizon tout au long de 2021. Ce fut un véritable challenge pour les équipes mais une formidable opportunité de montrer notre savoir-faire.
Sur certains événements, les installations sont complexes, voire périlleuses. Que mettez-vous en place pour garantir la sécurité des équipes ?
Nous mettons l’accent sur l’excellence. C’est notre fil rouge, pas seulement en ce qui concerne la satisfaction des clients. Cela se traduit aussi par le souci de ne mettre personne en danger et, au-delà, nous sommes sans cesse attentifs à l’ergonomie de travail en nous posant les bonnes questions - Qui va installer le matériel ? Comment ? - pour adapter l’organisation et minimiser les risques d’accident. Je vous donne un exemple. Nous recevons le matériel sans emballage. C’est nous qui concevons les caisses de transport pour qu’elles soient le plus maniables et ergonomiques possible, en termes de poids et d’encombrement, en fonction de l’équipe utilisatrice. Il nous arrive même de fabriquer des emballages nous-même. Les recommandations du Service de la Santé au Travail Multisectoriel (STM) sont une bonne source d’information.
L’environnement, la conjoncture vous paraissent-ils plus ou moins risqués qu’il y a 26 ans lorsque vous avez fondé l’entreprise ?
Je dirais que la conjoncture est plus favorable aujourd’hui. La demande a augmenté, le marché s’est développé et professionnalisé. Il y a une augmentation permanente des besoins grâce au dynamisme économique du pays. Plus personne ne conteste le fait qu’il faut faire appel à des professionnels pour réussir un événement, même si aujourd’hui la digitalisation galopante donne une fausse impression de simplicité car beaucoup de gadgets et de moyens techniques envahissent la sphère privée.
Ce qui est problématique c’est quand le client va sur internet et trouve des solutions qui lui semblent faciles et pas chères sans comprendre réellement de quoi il s’agit. Alors il faut expliquer la différence entre ce que nous proposons et ces solutions disponibles en ligne. Nous ne nous contentons pas de louer du matériel. Nous mettons tout un savoir-faire au service du client. Le matériel que nous mettons à disposition est de qualité supérieure et garantit le bon déroulement de l’événement, ce qui nous permet d’afficher le slogan : « Enjoy de fest, we do the rest »..
Quelles sont vos perspectives d’avenir ?
Nous réfléchissons à comment produire des événements plus écologiques. Par exemple, en remplaçant certains consommables par des produits durables. Nous cherchons entre autres une alternative biodégradable aux attaches câbles à usage unique, traditionnellement fabriqués en plastique. Ou encore nous cherchons à remplacer les tapis et moquettes jetables par des solutions en location, réutilisables ou par des tapis en matière recyclée.
Nous avons confiance en l’avenir car l’envie des gens de se rencontrer est très forte. On le voit dès que les mesures Covid sont relâchées. Certains prédisent une ambiance « années folles » lorsque nous en sortirons. J’aimerais assez voir ça !
Plus d'informations : www.apex.lu
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize