IL Cosmetics - Au bout des doigts … et jusqu’au bout des cils

Commerce
Success stories
Jean-François Harpes Président, IL Cosmetics Le département marketing conduit des études de tendances dont les résultats sont traduits en Mood Boards et utilisés par le département recherche pour élaborer les concepts et formules les plus adapté

Un géant discret de l’industrie des cosmétiques opère depuis un petit immeuble de bureaux de Livange. D’abord spécialisée dans la fabrication de composants pour vernis à ongles, lors de sa création en 1984 sous le nom International Lacquers, l’entreprise qui se nomme aujourd’hui IL Cosmetics a effectué plusieurs mues pour devenir le leader européen de la fabrication de produits finis de vernis à ongles et diversifier sa fabrication en 2005 pour s’attaquer avec succès à d’autres segments du marché des cosmétiques. Rencontre avec Jean-François Harpes, aux commandes de l’entreprise depuis 30 ans.

Quelle est l’histoire de l’entreprise ? A-t-elle été créée au Luxembourg ?
Oui l’entreprise a été créée au Luxembourg il y a 35 ans. Au milieu des années 1980, certains sous-traitants américains et européens du secteur des vernis à ongles ont souhaité se rassembler pour construire une usine en Europe et ils ont choisi le Luxembourg. La technique de fabrication de composants de vernis que nous utilisons encore aujourd’hui est d’origine américaine. Malheureusement, il y a eu assez vite quelques dissensions entre les différents partenaires de l’époque et pour ne rien arranger l’usine a brûlé en 1992. Pour ma part, j’étais arrivé dans la société deux ans plus tôt, après des études de gestion et de finance. C’était mon premier emploi, je ne pensais pas y faire carrière. Mais l’histoire a voulu que je me suis beaucoup investi dans la reconstruction de l’usine après le sinistre. J’y ai vu un bon challenge à relever et en effet j’ai appris énormément pendant cette période. Ensuite, je n’avais plus envie de partir car je souhaitais récolter les fruits de mes efforts et j’ai donc commencé à racheter des parts de l’entreprise. Au départ nous ne produisions que des composants ; ensuite nous avons commencé à fabriquer des produits finis, donc des vernis à ongles en flacons, prêts à l’emploi et nous continuons à nous diversifier sur d’autres  segments des produits de maquillage, tout cela en sous-traitance des grandes marques de cosmétique.

Si vous deviez « pitcher » votre entreprise aujourd’hui, qu’en diriez-vous ?
Je dirais que notre coeur de métier est la création de formules en accord avec nos études de tendances concernant les vernis à ongle et les produits de soins et de maquillage, pour proposer des concepts très performants, qui remplissent toutes les exigences des normes et certifications en vigueur. Nous fabriquons ces produits en vrac pour l’export hors Europe et surtout en produits finis prêts à l’emploi pour les grandes marques européennes de cosmétique. Nous servons environ 80% des acteurs du marché européen avec nos produits finis et nous livrons le monde entier avec nos composants.

Quelles sont vos activités au Grand-Duché ?
Dans les bureaux de Livange nous avons le service marketing et les fonctions supports de l’entreprise et sur le site de Bettembourg, il y a les chercheurs chimistes du service de R&D qui développent des formules et les usines de fabrication dont sortent chaque année entre 5.000 et 10.000 tonnes de produits en vrac. Nous sommes le numéro un du marché européen du vernis et plutôt que de nous limiter à attaquer le monde entier avec notre produit phare (vernis à ongle), nous avons fait le choix stratégique de la diversification produit. Ce qui s’avère payant car, depuis l’avènement du vernis gel beaucoup plus résistant qu’un vernis ordinaire, les volumes n’ont cessé de baisser.

En termes de débouchés, quels sont les marchés les plus porteurs ?
Nos clients sont les marques cosmétiques. Celles qui se développent le plus sont celles qui sont positionnées sur le mass market, entre autres les marques vendues en grande distribution, en magasins mono brand et les marques de distributeurs. En termes géographiques, l’un des marchés les plus dynamiques du moment est l’Allemagne où beaucoup de nouvelles marques voient le jour et se développent rapidement.

Comment obtenez-vous de nouveaux marchés ou clients ?
Pour notre produit phare qui est le vernis à ongles, compte tenu de notre position de leader, nous sommes quasi systématiquement intégrés dans les appels d’offres. En parallèle, l’équipe marketing analyse les gammes de produits de nos clients et de nos prospects et leur propose de développer avec eux les segments manquants dans leur offre. Nous avons la chance d’avoir une base de clients solide. Quand nous avons diversifié notre offre en 2005, nous nous sommes tout naturellement tournés vers eux en priorité pour leur proposer notre nouvelle gamme.

Qu’est ce qui guide vos processus d’innovation et la création de nouveaux produits ?
La plupart du temps le processus commence au service marketing qui fait une veille de tendances et écrit des briefs pour le département R&D. Par exemple, ils peuvent demander un vernis ou un mascara qui tienne plus longtemps ou un gloss aussi couvrant qu’un rouge à lèvres. A partir de là, le département R&D regarde les matières et technologies disponibles pour répondre au cahier des charges du marketing et il s’ensuit un travail par itérations successives entre les deux départements. Le département R&D mène ses propres recherches en autonomie et quand il trouve quelque chose d’intéressant, réfléchit avec le marketing aux applications possibles. Le marketing et la recherche sont deux équipes qui travaillent ensemble en permanence, par catégorie de produits. Dans la suite du processus, quand une formule est mise au point, celle-ci est testée ; d’abord en laboratoire pour vérifier ses propriétés physico-chimiques, puis par un panel de 250 consommatrices testeuses. Les commentaires et remarques de ce panel remontent au marketing et à la R&D pour apporter les éventuelles modifications nécessaires Et ainsi de suite… Une fois le produit finalisé, il est envoyé au client qui demande encore parfois d’autres adaptations pour coller à son marché local. Le processus complet peut prendre jusqu’à un an et l’un de nos avantages est notre rapidité de développement.

Adaptez-vous les produits en fonction des marchés ciblés ?
Oui, c’est une nécessité. En Europe nous partageons une culture relativement commune mais les goûts de consommation et de mode diffèrent beaucoup d’un pays ou d’une région à l’autre. Donc chaque formule et chaque couleur doit être adaptée au marché cible et au circuit de distribution, massmarket ou réseaux sélectifs. Encore une fois, c’est l’équipe marketing qui travaille avec les clients pour cerner la demande. Dans le domaine des tendances et aussi de la législation cosmétique, on observe que la voie est dictée par l’Europe et les États-Unis et que ces tendances sont adoptées à peu près partout dans le monde. En Asie, la Corée devient un important prescripteur de tendances notamment en matière de soins pour la peau. Globalement, nous sommes de plus en plus souvent amenés à faire du sur-mesure pour chaque marque. La législation devient plus restrictive et la concurrence augmente constamment. Les coûts augmentent et les marges diminuent. C’est pour cela que nous avons été obligés de délocaliser nos activités de conditionnement de vernis en 2015 en Pologne et celles de conditionnement des autres produits de maquillage graduellement à partir de 2018 en Bulgarie. Ce sont en effet des activités très utilisatrices de main d’oeuvre (réception des emballages, remplissage, étiquetage, vérification qualité et conformité et envoi au client ndlr), qu’il aurait été trop onéreux de maintenir au Luxembourg où les coûts de personnel sont parmi les plus élevés au monde.

La tendance actuelle est à la Bio-beauté. Comment cela se traduit dans votre activité ?
En effet nous recevons de plus en plus de brief « green ». Mais cette tendance n’est pas nouvelle. Elle a commencé il y a déjà cinq ou dix ans. C’est une tendance qui nous oblige à revoir en permanence la formulation des produits en accord avec la liste des matières premières autorisées. Dans notre industrie, nous devons composer avec une liste restrictive de matières autorisées et non une liste d’interdictions. Ce qui peux poser un problème lorsque certains composants que nous utilisons disparaissent de la liste. Il est parfois très compliqué de les remplacer par d’autres, tout en gardant ses propriétés au produit. Nous respectons à la lettre les différentes réglementations mais les diktats des clients sont parfois encore plus contraignants.

La crise Covid a-t-elle bousculé les tendances ou le business des cosmétiques ?
La crise a eu pour première conséquence de faire baisser la consommation de cosmétiques de 20 à 40%, en particulier dans les lignes de produits destinés aux lèvres et au teint. Nous avons donc une relative chance dans notre malchance puisque nos produits concernent principalement les yeux et les ongles et sont donc relativement épargnés. Nous avons quand même dû rogner nos objectifs de 15% et fermer l’usine de Bettembourg pendant une dizaine de jours, faute de commandes. Quand aux habitudes de consommation, il est encore un peu tôt pour savoir si elles vont fondamentalement changer. On ne sait pas encore si les tendances observées maintenant à cause de la crise vont s’installer durablement. Mais ce qui est sûr c’est qu’il faudra plusieurs années pour retrouver les niveaux de consommation d’avant crise. Et je pense que la tendance du bio va devenir encore plus forte.

Le calendrier des salons a aussi été perturbé. Par quoi les avez-vous remplacés ?
En effet le salon mondial Cosmoprof qui a lieu chaque année à Bologne en mars ainsi que toutes les autres foires auxquelles nous participons n’ont pas pu se tenir. Mais dans le même temps, toute la chaine de distribution a été complètement arrêtée pendant plusieurs mois donc il y a partout beaucoup de stocks à écouler. Pour les produits haut-de-gamme la situation est plus critique encore avec entre autres la très faible fréquentation dans les boutiques d’aéroport.
La priorité n’était donc pas aux nouveaux développements dans une première phase. La vitesse d’innovation a été sérieusement ralentie, la période n’étant vraiment pas idéale pour lancer des nouveautés. Graduellement nous revenons à une situation plus normale.

Vous avez opéré une diversification importante en 2005 en entrant sur le marché des cosmétiques liquides (gloss, eye liner, mascara…). Envisagez-vous d’autres évolutions dans un avenir plus ou moins proche ?
La seule chose que je peux dire à ce stade est que nous avons des plans assez avancés pour ajouter de nouvelles catégories de produits à notre offre, toujours dans le maquillage. Et nous avons un projet de rachat d’une société qui maîtrise des technologies complémentaires aux nôtres.

Lien utile: www.ilcosmetics.com

 

TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize et IL Cosmetics