Cela fait 100 ans que Chaussures Léon habille les pieds de toute la famille. Les habitants du quartier Gare de la Capitale, mais aussi du Grand-Duché ont l’impression d’avoir toujours connu ce magasin, qui offre un choix très étendu de modèles pour femmes, hommes et enfants, particulièrement apprécié de ceux qui ont du mal à se chausser. Ils savent qu’ils y trouveront la bonne taille, même extrême, ou le modèle qui leur garantira un bon confort tout au long de la journée. Selon Corinne Cahen, propriétaire, les trois éléments les plus importants pour garantir le succès d’un magasin de chaussures sont le service, la qualité et le choix. Sa famille ainsi que des générations de personnels de vente attentifs veillent depuis longtemps au respect de ces fondamentaux.
Quelle est l’histoire de Chaussures Léon et quel est le lien entre Léon Cahen, le fondateur et André Cahen, votre père?
Léon Cahen a ouvert son magasin de chaussures en octobre 1924. Il était un très bon ami de mon grand-père qui, par hasard, s’appelait Cahen également, alors qu’ils n’avaient aucun lien de parenté. Léon n’avait pas d’enfants. Lorsque mon grand-père est mort prématurément, laissant mon père orphelin à l’âge de 18 ans, c’est très naturellement que Léon a proposé au fils de son ami d’entrer en apprentissage au magasin. À partir de ce moment-là, mon père s’est vraiment passionné pour l’univers des chaussures. Je me souviens que lorsque nous partions en vacances en famille, il nous emmenait visiter des magasins ou des usines de fabrication de chaussures dès que l’occasion se présentait. Plus tard, avec ma mère, ils avaient coutume de dire qu’ils avaient trois enfants : deux filles et un magasin. D’ailleurs, ce magasin était un peu ma maison. J’y suis née pour ainsi dire et j’y ai passé plus de temps qu’à mon domicile. J’y allais chaque après-midi après l’école et j’y faisais mes devoirs. Pour autant, je ne pensais pas le reprendre. Je voulais faire des études de journalisme et exercer ce métier que j’avais choisi. Ce que j’ai fait. Mais, il se trouve qu’à la radio, je travaillais très tôt le matin car j’assurais la matinale. Et donc, le reste de la journée, j’avais du temps et, tout naturellement, je me rendais de nouveau au magasin. J’aime le contact; c’est le point commun entre tous les métiers que j’ai exercés. Donc le virus de la vente m’a rattrapé. Répondre aux besoins des gens est mon moteur et leur reconnaissance ma récompense.
Vous avez deux magasins, un en ville et l’autre en centre commercial? Quand et pourquoi avez-vous décidé d’ouvrir un point de vente à la Belle Étoile?
À nouveau, c’est une histoire de hasard. Quand les magasins ont rouvert après le confinement de la période Covid, un magasin de chaussures du centre commercial s’est retrouvé en situation de faillite. On m’a proposé de reprendre cette surface et j’ai répondu : « s’ils laissent les meubles, je veux bien y réfléchir !». Cela s’est fait comme ça, sans préméditation mais aussi parce qu’il fallait saisir cette opportunité.
Quelles sont les principales différences entre un magasin de centre-ville et un magasin de centre commercial ?
Les deux ont des avantages et des inconvénients. Mis à part le fait que le quartier Gare souffre en ce moment d’un manque d’attractivité pour cause d’absence de vie de quartier et en attendant des aménagements pour améliorer les choses, il y a quand même plus de monde tout le temps en centre commercial. En ville, juste après les soldes de janvier et de juillet, nous connaissons toujours une période plus creuse. Dans un centre commercial, il y a d’autres contraintes. Par exemple, nous ne pouvons pas choisir nos heures d’ouverture. Mais en contrepartie, les commerçants d’un centre commercial forment une communauté solidaire appréciable. C’est moins le cas en ville. La localisation est importante dans les deux cas et de ce point de vue, je suis très satisfaite de nos emplacements, que ce soit en ville ou à la Belle Étoile. Un autre avantage des centres commerciaux est leur résilience à la météo. Quand il pleut, les clients viennent volontiers y flâner, y prendre un café. Bref, c’est un véritable lieu de vie. Pour résumer, je dirais que les deux formes de commerce sont nécessaires et complémentaires. Les gens ont des besoins et des envies différents selon les jours et ils fréquentent les deux. La chaussure peut être un achat de besoin ou d’envie. Il faut être là où les gens passent et susciter l’envie par des collections attractives et de belles vitrines.
Vous avez aussi eu un magasin en villehaute, avenue de la Porte-Neuve…
Là aussi, ce fut une opportunité qui s’est présentée en 2013 même si le magasin était petit. Il ne faisait que 30m2. C’est pourquoi nous avions décidé de nous concentrer à cet endroit sur une niche très spécifique : la chaussure haut de gamme pour hommes. Quand nous avons ouvert notre magasin de la Belle Étoile, le magasin de la ville-haute arrivait en fin de bail. Plutôt que le renouveler, nous avons préféré mobiliser le personnel sur le nouveau point de vente.
Vous n’avez pas d'e-shop en revanche. Est-ce en projet ?
Non, pas du tout, ce n’est pas un projet. Je devrais plutôt dire que ce n’est plus un projet. Quand j’étais étudiante, j’étais très intéressée et attirée par les nouvelles technologies. Mon mémoire portait sur l’“internet”. Je connaissais le langage html et je savais programmer. Donc pour moi, se doter d’un site marchand était une évidence. Mais en regardant le projet de plus près, je me suis aperçue qu’il s’agissait d’un métier très différent, dans lequel la logistique est centrale. De plus, la législation n’est pas la même pour le commerce et le e-commerce. Il faut notamment gérer la très grande problématique des retours, etc. À ma connaissance, les commerces en ligne dédiées à la chaussure ne sont pas trop lucratifs. Ils font du chiffre d’affaires mais la rentabilité n’est pas vraiment au rendez-vous. De toute façon, ce que j’aime le plus, la raison de ma vocation de commerçante, c’est le contact avec les clients. Je préfère donc me concentrer sur le commerce physique.
Vous proposez environ 80 marques de chaussures. Comment les choisissez-vous?
Bien sélectionner les marques et les modèles est toujours un défi pour un commerçant. Notre mission est de faire en sorte que chacun puisse trouver chaussure à son pied. Aujourd’hui, il n’y a plus de décalage entre les goûts des Luxembourgeois et les tendances internationales, celles-ci se répandent très vite et sont adoptées partout dans le monde quasi en même temps. Pour connaître les tendances et rencontrer les marques, nous visitons des foires spécialisées et nous recevons les représentants de nombreux fabricants. Parfois, grâce à ces rencontres, nous découvrons des pépites, de toutes petites marques, fabriquées dans de petites usines, en Italie par exemple. Nous nous efforçons de donner la priorité aux fabrications européennes. Beaucoup d’usines sont localisées en Europe du Sud, jusqu’en Tunisie et en Europe de l’Est. Certaines marques connues, incontournables, comme la marque américaine Skechers, sont fabriquées en Chine. Nous devons les avoir dans nos assortiments même si nous préférons le Made in Europe. Il y a des marques que nous suivons depuis leurs débuts. C’est le cas de Mephisto, qui a été lancée à Sarrebourg en 1965. C’est un choix de cœur pour nous car c’est un fabricant de la Grande Région. Gabor, Lloyd, Waldläufer et Geox figurent aussi parmi nos meilleures ventes depuis longtemps.
Est-ce que la météo a un fort impact sur les ventes ?
Incontestablement. Cette année par exemple, le printemps et le début de l’été ont été très difficiles pour tous les commerçants en raison de la météo morose. Nous essayons d’atténuer cet effet en proposant un peu tous les modèles, toute l’année, mais la psychologie du consommateur fait qu’il est difficile de vendre des sandales en septembre car il se dira que cela ne vaut plus le coup, même s’il se met à faire très beau à ce moment-là. L’évolution de la consommation est d’une manière générale de plus en plus compliquée à prévoir. Un tas de facteurs peut l’impacter. Mais le fait que nous fêtions nos 100 ans d’existence cette année est très encourageant. Cela montre qu’une entreprise familiale traditionnelle peut connaître une belle réussite et une belle longévité, malgré les périodes plus difficiles. Je pense que le secret de la longévité, en ce qui nous concerne, c’est la qualité du service grâce à un personnel compétent, à l’écoute de nos clients.
Dans le commerce de chaussures, le stock est un point clé. Comment le gérez-vous ?
En début de saison, nous avons besoin de toutes les pointures pour chaque modèle. Cela nécessite beaucoup de surface. De plus, il faut un système de rangement très efficace et logique afin que les vendeurs, même nouveaux, puissent s’y retrouver très vite. Nous avons mis en place un classement par couleur, par modèle et par hauteur de talons. Les périodes de soldes et les braderies sont les moments clés de l’année pendant lesquels nous déstockons afin de libérer des espaces nous permettant de nous réapprovisionner en nouveautés.
Quels sont vos principaux défis?
D’un côté les frais annexes qui explosent et de l’autre la législation qui est de plus en plus contraignante pour les PME. En ce qui concerne les frais, nous faisons face à l’augmentation très importante des prix de l’énergie et à l’indexation des loyers et des salaires. Ce dernier point ne me pose pas de problème. Je trouve normal de bien payer les gens afin que leur pouvoir d’achat soit maintenu. Mais ceci s’ajoute aux autres hausses. En termes de législation, le droit du travail devrait être réformé. Par exemple, l’obligation de respecter un repos de 44 heures consécutives nous empêche d’accorder à nos employés qui le souhaitent la possibilité de prendre leurs mardi et jeudi après-midi afin de s’occuper de leurs enfants. Le commerce fait face à pas mal de défis. Aussi, je voudrais faire passer un message aux consommateurs : si le commerce de proximité vous est important, soutenez-le! Achetez local!
Comment se différencier de la concurrence dans votre secteur ?
La concurrence a changé de nature. Lorsque mon père a rejoint l’entreprise, il y avait encore 14 magasins de chaussures à la Gare. Maintenant, ils se comptent sur les doigts d’une main. La concurrence est donc surtout online et mondiale. La concurrence en soi n’est d’ailleurs pas mauvaise. Dans un quartier de ville, avec plusieurs magasins de chaussures par exemple, elle a même du bon car elle crée du passage, les gens choisissant ce quartier afin de trouver chaussures à leurs pieds. Outre la qualité de conseil et de service ainsi que le grand choix que nous proposons, ce qui nous différencie, ce sont certaines niches que nous proposons : les chaussures pour semelles orthopédiques, les tailles extrêmes (du 32 au 45 pour les dames et du 38 au 55 pour les hommes) et les chaussures bio, c’est-à-dire dont le cuir est tanné sans produits chimiques.
Comment avoir une image mode quand on est une enseigne centenaire?
Nos collections sont toujours très actuelles. En fait, cela fait 100 ans que nous sommes à la mode ! Nous vendons de la mode et du confort. Mon père disait : «il y a deux choses importantes dans la vie: avoir un bon matelas et de bonnes chaussures car si on n’est pas sur l’un, on est dans les autres ». Notre interprétation de la mode va donc de pair avec le confort. Des chaussures qui font mal ne nuisent pas seulement aux pieds mais à l’ensemble de la posture et peuvent donc créer d’autres douleurs, notamment au dos.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir de l’entreprise?
De marcher vers nos 200 ans ! Plus sérieusement, nous avons un nouveau projet très concret, celui d’offrir un troisième magasin à nos clients, dans la région Nord. Ce troisième point de vente devrait ouvrir à la fin de ce mois de septembre. Nous avons saisi l’opportunité de profiter de l’agrandissement du centre commercial de Marnach. Nous serons situés à côté d’un magasin de vêtements et juste en face d’un centre médical et proches du supermarché Cactus. Les bons ingrédients pour assurer le passage de nombreux clients !
Plus d'informations: www.leon.lu
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize