Prolingua, avec près de 40 ans d’existence, est la plus ancienne école de langues du Luxembourg. Aujourd’hui, avec 75 collaborateurs (salariés et freelances) et 10 langues enseignées, l’entreprise continue à aider ses clients à acquérir de nouvelles compétences linguistiques avec des objectifs de plus en plus précis. Suite à la pandémie de Covid-19, l’école s’est réorganisée et réinventée pour assurer la continuité du service, avec l’objectif de retrouver une croissance annuelle de 5 à 8 %, comme avant la crise, dès que les activités reprendront normalement pour les entreprises clientes.
Pouvez-vous brièvement nous rappeler l’histoire de l’entreprise et nous dire quelles ont été les évolutions majeures dans votre secteur depuis votre lancement ?
Marc Kesch: L’entreprise a été fondée en 1983 sous le nom International Language Centre par le linguiste Fernand Wolter, auteur du livre d’enseignement du Luxembourgeois Alles an der Rei. Aujourd’hui, Fernand a quitté la direction opérationnelle mais il est toujours administrateur délégué et on peut dire qu’il est l’âme de Prolingua, qu’il a dirigée avec passion jusqu’en 2018. À l’époque où il a créé l’école, il était précurseur. Il n’y avait pas d’autre école consacrée à l’apprentissage des langues. Même l’INL (Institut National des Langues) n’a été créé qu’après. Le concept a tout de suite fonctionné. Beaucoup de gens voulaient apprendre des langues. Au début, Prolingua ne proposait que des cours de langue générale collectifs trimestriels ou intensifs. Ils étaient ouverts au grand public en matinée et en soirée. À l’époque, on enseignait essentiellement deux langues. Les expatriés nouvellement arrivés dans le pays souhaitaient apprendre le français et les Luxembourgeois et les frontaliers voulaient améliorer leur anglais. Ensuite, nous enseignions quelques autres langues comme le danois ou le suédois. C’était une époque où les gens apprenaient les langues comme un loisir ou pour pouvoir communiquer avec des amis ou leur belle-famille... Mais, très vite, la demande a changé. L’anglais est devenu prédominant et, avec l’essor de la place financière, les cours sur mesure à orientation professionnelle sont devenus très importants.
Naouelle Tir : Aujourd’hui, le niveau de compétence en anglais est élevé et les clients ont des demandes très spécifiques. Ils veulent apprendre à faire des présentations impactantes et efficaces, à s’exprimer de façon fluide pour tel ou tel public, à acquérir de l’aisance. Ils ont donc besoin d’être accompagnés, rassurés et les enseignants deviennent de véritables coaches.
Quelles sont les principales différences entre l’enseignement professionnel et l’enseignement scolaire d’une langue ?
M.K. : Les apprenants ne sont pas du tout les mêmes et ils ont des besoins différents. Dans l’enseignement scolaire, les cours sont complétés de notions d’histoire et de culture. Les professionnels, eux, disposent de moins de temps et ont des objectifs pragmatiques. Nous adaptons donc la pédagogie à ces impératifs.
N.T. : L’attente des DRH qui nous commandent des cours de langue pour leurs salariés est que ceux-ci atteignent un niveau opérationnel le plus rapidement possible. La première étape est de définir très précisément l’objectif avec eux puis nous proposons des méthodes que nous appelons « actionnelles participatives ». L’enseignant ne parle que la langue qui est en cours d’apprentissage et s’appuie sur beaucoup de visuels pour se faire comprendre. De toute façon les groupes sont constitués d’apprenants de toutes les nationalités quin’ont pas de langue commune sur laquelle l’enseignant pourrait s’appuyer.
Il y a beaucoup d’écoles de langues au Luxembourg. Comment vous différenciez-vous et quels sont vos facteurs de succès ?
M.K. : La méthode Prolingua bénéficie depuis 12 ans du label Eaquals, l’un des plus prestigieux qui soit dans l’enseignement des langues. La seule autre entité à bénéficier de ce label dans la Grande Région est l’Université de Louvain. Ce label est accordé pour 3 ans mais il implique le maintien de standards élevés de qualité et une démarche d’amélioration continue vérifiée au cours d’audits ayant lieu tous les 18 mois.
N.T. : En raison des spécificités de la clientèle professionnelle, nos enseignants sont obligés de s’adapter aux secteurs des clients, avec des champs linguistiques différents. Nous bâtissons donc le calendrier des formations le plus en amont possible pour que chaque enseignant puisse adapter son cours à la demande du client. Il s’agit d’intégrer, par exemple, le vocabulaire légal ou celui du secteur Horeca. Nous leur laissons du temps pour cela et il arrive qu’ils aillent en immersion chez les clients.
M.K. : Chaque enseignant crée des supports de cours pour tel ou tel secteur et peut ensuite capitaliser sur ce travail. Certains ont une double compétence, issue d’expériences professionnelles antérieures. Et si nous ne trouvons pas, parmi nos enseignants, la personne adéquate, il nous arrive de faire des recrutements sur mesure.
N.T. : Ce qui fait aussi notre succès est l’accompagnement administratif de nos clients, grâce à une équipe dédiée de 11 personnes qui fait en sorte de décharger de ce volet les équipes RH des entreprises clientes.
Comment choisissez-vous le panel des langues enseignées ?
N.T. : C’est la demande qui dicte l’offre. Les langues les plus demandées sont les trois langues officielles du pays (luxembourgeois, allemand et français) et bien sûr l’anglais.
M.K. : Depuis 5 à 6 ans, on observe un boum du luxembourgeois. Celui-ci est de plus en plus demandé dans les annonces d’emploi et les personnes souhaitant s’intégrer ou tout simplement comprendre leurs enfants scolarisés dans le système luxembourgeois sont très demandeuses. Avant, l’usage de la langue était surtout oral mais avec les nouveaux modes de travail distants, le luxembourgeois est utilisé dans les mails et les messageries instantanées et il devient donc plus important de travailler l’écrit et la grammaire.
Vous ne proposez pas le chinois.
M.K. : En effet car il n’y a quasi pas de demande. Il s’agit d’une langue qu’il faut apprendre très jeune pour espérer la maîtriser. Et les nombreux chinois qui arrivent au Luxembourg pour leur travail souhaitent apprendre le français ou l’allemand.
Comment se répartit votre chiffre d’affaires entre clientèle professionnelle et clients particuliers ?
N.T. : Le ratio est de 60/40. Par le passé, quand il y avait des périodes de crises économiques, ce sont toujours les cours collectifs qui nous ont permis de nous en sortir. La crise Covid est la première pour laquelle les cours individuels pour professionnels sont restés à un bon niveau et nous ont permis de passer le cap. Comme l’école a dû purement et simplement fermer ses portes lors du premier confinement, les cours collectifs ont été stoppés net. Encore maintenant, nous n’avons récupéré que 40 % du chiffre d’affaire sur ce créneau. Les cours « sur mesure » en revanche, pour les particuliers ou nos clients professionnels, assurés à distance, marchent très bien.
M.K. : Peu avant la crise nous avons augmenté drastiquement la fréquence d’un produit qui se vend particulièrement bien : les cours intensifs sur trois semaines qui permettent de finaliser un module en 27 heures (exemple le niveau A 1.1). Comme de plus en plus de clients courent après le temps pour se former, cette formule a beaucoup de succès. De plus, les outils pédagogiques mis à disposition par Zoom, Teams ou autres enrichissent l’expérience d’apprentissage.
Quel levier de croissance pouvez-vous actionner pour l’avenir ?
N.T. : Nous anticipons la période post-Covid et nous allons bientôt proposer des classes en « phygital » qui permettront aux apprenants d’assister au cours aussi bien en présentiel qu’en distanciel. Pour cela, nous avons investi dans un concept de tableaux interactifs sur lesquels aussi bien les élèves présents que distants peuvent interagir. La technique permet également d’organiser des sous-groupes pour faire des jeux de rôles afin de pratiquer la langue.
M.K. : Cela va nous permettre d’accueillir à nouveau des élèves tout en respectant les nouvelles jauges des classes. De plus, certains clients souhaiteront rester en distanciel pour gagner le temps du trajet ou parce qu’ils seront plus rassurés d’un point de vue sanitaire. Nous ne reviendrons plus en 100 % présentiel. Les habitudes ont changé durablement. C’est à nous de nous adapter.
Quels sont les principaux challenges ou difficultés de l’enseignement des langues ?
N.T. : Comme nous l’avons déjà évoqué, les besoins des clients sont très variés et de plus en plus précis. Cela exige que nos enseignants aient souvent, à côté de leurs capacités pédagogiques, de bonnes notions du métier du client. C’est ainsi que les départements commercial et pédagogique sont en permanence à l’écoute des clients pour leur garantir le meilleur produit possible, adapté à leurs objectifs.
M.K. : Le challenge est donc d’avoir des formateurs qui soient capables de répondre aussi bien à la demande de l’industrie, que du secteur de l’entretien, de l’Horeca ou encore de la finance. Le recrutement est donc l’un de nos gros défis.
N.T. : Les clients sont de plus en plus exigeants ; ils veulent du sur-mesure et des résultats rapides. Ils veulent toujours plus de performance pour des tarifs contenus. Or, la qualité a son juste prix. Nous devons faire comprendre cela aux clients. Chez nous, ils achètent un enseignement délivré par des diplômés supérieurs, que nous formons en continu et un service complet jusqu’à la délivrance des documents nécessaires pour obtenir le cofinancement de 15 % de l’INFPC. Souvent, la complexité administrative pour récupérer 15 % des frais est vécue comme un frein par les petites et moyennes entreprises. Nous les sensibilisons à l’existence de cette aide et les motivons à déposer leur dossier. M.K. : En 2018, l’État a diminué sa participation de 20 à 15 %. Depuis, les clients discutent les prix plus âprement mais les arguments de la qualité et du service que nous apportons portent leurs fruits. Ils sont entendus et compris.
Quel a été l’impact de la Covid sur votre activité ?
M.K. : Les cours collectifs ont dû être arrêtés dans un premier temps. Mais nous avions la chance d’avoir beaucoup d’enseignants qui étaient déjà familiarisés au digital et qui ont formé leurs collègues dans un bel esprit de solidarité. En quelques semaines, tout le monde était au point et les cours ont pu reprendre.
N.T. : Entre mars et juin, l’activité a été très ralentie. La vraie reprise a eu lieu en octobre 2020 mais nous ne sommes toujours pas revenus au niveau de 2019. Nous avons dû arrêter notre collaboration avec quelques professeurs freelances mais, grâce aux mesures de chômage partiel, nous avons pu garder tous nos salariés. Notre réactivité nous a quand même aidés à garder nos marchés et à signer de nouveaux contrats. Nous nous sommes aperçus que les cours de langue étaient très importants pour aider les gens à garder du lien social.
Quel est le statut de vos enseignants ?
N.T. : Prolingua a toujours privilégié le statut de salarié qui garantit une meilleure stabilité. Dès que nous le pouvons, nous proposons un CDD ou un CDI. Ainsi, nous occupons 33 salariés. Sur certaines langues peu demandées, le faible volume ne nous permet pas de payer un salarié et nous avons recours aux freelances.
M.K. : Un challenge dont nous n’avons pas parlé tout à l’heure est la difficulté à recruter des enseignants de luxembourgeois. Très peu de gens suivent la formation existante et ceux qui obtiennent finalement le certificat privilégient de travailler pour les communes ou l’INL. Ceci nous amène à former nous-même nos équipes d’enseignants.
Vous-même proposez à vos enseignants un programme de formation continue. Pouvez-vous nous en dire plus ?
N.T. : Nous avons en effet un département pédagogique qui travaille pour les clients mais aussi pour nos propres besoins. Il établit un programme de formation sur l’année. Ces ateliers ou séminaires sont dispensés par nos professeurs ou des intervenants extérieurs selon les besoins. Par exemple, l’un de nos enseignants a écrit un livre en anglais sur l’assurance. Il pourra former ses collègues professeurs d’anglais aux spécificités de ce secteur. Nous avons récemment organisé des formations à la ludopédagogie (utilisation du gaming en formation, ndlr) ou à la neuropédagogie. Il peut s’agir de cours de bureautique ou de nouvelles technologies également. Le programme est élaboré à partir des demandes des clients et d’une bourse aux idées des formateurs. Cela représente un coût que nous budgétisons chaque année.
En septembre 2020, vous avez participé à la création de la Fédération des Centres de Formation privés agréés (FCF). Pourquoi ?
N.T. : Il nous fallait une entité pour nous représenter, notamment pour être éligibles aux aides de l'État. Au début de la pandémie, les traducteurs étaient reconnus comme profession vulnérable mais pas les organismes privés de formation dont nous faisons partie. Il nous est apparu que nous serions plus et mieux entendus en parlant d’une seule voix. La nouvelle fédération est un vrai succès. En 6 mois, elle a rassemblé une quarantaine de membres, soit environ 20 % du secteur des centres de formation privés. Nous nous sentons écoutés. Le ministre Delles nous a reçus et nous sommes désormais reconnus comme secteur vulnérable et éligible aux aides. Ainsi, nous avons par exemple droit aux autotests gratuits. Quand les choses reviendront un peu plus à la normale, nous commencerons à organiser des événements d’échange de best practices.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir de l’entreprise ?
N.T. : Nous voudrions continuer à grandir et à recruter, conquérir plus de clients dans le secteur de l’industrie et continuer à offrir des services de qualité, achetés à leur juste prix par les clients.
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize