OCSiAl, dont le nom est composé des symboles de quatre éléments chimiques (O pour oxygène, C pour carbone, Si pour silicium et Al pour aluminium), est une société d'origine russe établie sur le sol luxembourgeois depuis ses débuts en 2009. L'élément fabriqué par cette société est très petit en taille - il s'agit de nanoparticules - mais très grand par les promesses de transformation de nombreuses industries qu'il recèle. Preuve de ce potentiel, à peine 10 ans après son lancement, OCSiAl compte plus de 420 employés dont 70 scientifiques, une présence dans 20 pays, 3 centres de R&D et de nombreux projets de développement. Rencontre avec Konstantin Notman, CEO enthousiaste et passionné.
Quelle est l'origine de l'entreprise OCSiAl ?
L'histoire commence en 2009 avec trois investisseurs russes qui veulent changer le monde. Et ce n'est pas une simple formule ! Ils souhaitaient vraiment que leur argent serve à accomplir quelque chose de très novateur. Ils ont rencontré le professeur Mikhail Predtetchenski qui maîtrisait une technologie très prometteuse autour du graphène (l'une des formes du carbone, ndlr), additif universel ayant la particularité d'améliorer considérablement les propriétés de toutes sortes de matériaux. Cette technologie semblait capable d'apporter des changements historiques dans bien des domaines industriels. Les trois investisseurs ont donc fait le pari de fonder une société entièrement dédiée à la fabrication industrielle de nanotubes de graphène, chose qui n'avait encore jamais été tentée.
Pourquoi avoir choisi le Luxembourg pour fonder la société ?
Le Luxembourg a été choisi dès le début pour sa réglementation sur la propriété intellectuelle, très avantageuse pour les détenteurs de brevets. Ce point était donc la raison initiale de l'établissement au Luxembourg de notre maison mère. Par la suite, il y a environ six ans, nous avons décidé de développer notre présence et nos activités sur le sol luxembourgeois, pour plusieurs bonnes raisons. Tout d'abord, nous avons trouvé ici un climat véritablement " business friendly " très appréciable et une grande facilité à entrer en contact avec les autorités gouvernementales. Le côté multiculturel du pays est aussi un atout certain selon nous. La localisation du Luxembourg nous est aussi apparue comme idéale puisque 60 % de nos clients potentielsse trouvent en Europe de l'ouest, dans un rayon de 500 km autour du Luxembourg. Enfin, notre société grandit vite et ici, nous avons la possibilité de trouver ou d'attirer les profils qu'il nous faut pour assurer notre croissance. La qualité de vie et le sentiment de sécurité sont de très bons arguments pour convaincre des candidats et leurs familles.
Quelles sont exactement vos activités au Luxembourg ?
Nous avons d'abord notre siège social, soit un bâtiment de 1.000 m2 situé à Leudelange. Tout le top management de l'entreprise y est rassemblé, que ce soit la direction générale, les ventes, le marketing, la finance, l'ensemble des fonctions de support, etc. Luxembourg héberge le plus important de nos bureaux de vente européens. Enfin, nous avons à Foetz un centre de R&D spécialisé sur la recherche à long terme sur les thermoplastiques et les élastomères. La mission de ce centre de recherche est de déterminer comment apporter de la valeur ajoutée à ces matériaux très demandés par l'industrie automobile, grâce à nos nanotubes de graphène. Le meilleur exemple d'application est l'allègement des matériaux. Grâce à une infime quantité de nanotubes de graphène, ils deviennent beaucoup plus résistants et peuvent donc être amincis tout en étant plus solides. Or, on sait qu'une voiture plus légère permet de réduire considérablement la quantité d'énergie nécessaire pour la déplacer. Cela a donc un impact direct sur la consommation de carburant ou le temps de charge pour les véhicules électriques. Nos installations actuelles ne sont que le début de notre présence au Luxembourg. Nous sommes en plein processus de demande d'autorisation pour établir un véritable " campus " à Differdange, sur 4.000 m2, incluant une unité de production et un nouveau centre de recherche.
Qui sont vos clients ? Où sont-ils situés ?
Pour le moment, 80 % de nos clients sont liés à l'industrie automobile. Par exemple, l'ensemble du top 10 des fabricants de batteries au lithium figure parmi nos clients. Les 20 % restants sont très divers. À l'heure actuelle, nous avons 250 clients mais nous sommes en contact très actif avec environ 3 .000 prospects intéressés par nos produits. Avec la plupart d'entre eux, nous sommes déjà en train d'étudier les processus industriels qui permettraient d'intégrer nos produits dans leurs chaînes de fabrication. 95 % de nos recherches sont consacrés à la façon d'intégrer les nanotubes de graphène dans divers matériaux. Nous estimons que ce n'est pas aux clients de travailler sur cette question car ce n'est pas leur cœur de métier et l'intégration des nanotubes de graphène ne doit pas nécessiter un changement de leur processus de fabrication. C'est à nous de trouver les meilleures solutions. Reprenons l'exemple de la transition écologique du secteur automobile qui est très porteuse pour nous. Nous allons pouvoir contribuer à la durabilité des pneus, des batteries, et de la plupart des équipements. Ce segment de marché va devenir très important et pour le moment, nous sommes le leader mondial sur la technologie des nanotubes de graphène. Grâce à nos brevets et à notre savoir-faire très pointu en matière d'accompagnement des clients pour l'intégration des nanotubes de graphène dans leurs matériaux, nous pensons le rester pour au moins sept à neuf ans pendant lesquels la demande va exploser. C'est pour cela que notre future usine de Differdange est une de nos priorités absolues.
Quel est le lien entre les nanotubes de graphène, la propriété des matériaux et la réduction d'émission de gaz à effet de serre ?
Comme on l'a vu précédemment, la réduction du poids des véhicules est très importante pour arriver à réduire leur consommation d'énergie. Ensuite, pour épargner les ressources, il est nécessaire, à l'échelle globale de fabriquer moins mais aussi mieux. Et cela est possible en fabricant des matériaux plus résistants, plus efficients et donc plus durables. Cet objectif est la raison d'être de notre entreprise et cela peut avoir un impact énorme sur la préservation de l'environnement. C'est ainsi que nous sommes un acteur de pointe dans la transition qui se prépare de l'industrie automobile traditionnelle vers une industrie plus moderne, notamment avec les véhicules électriques. Si je prends l'exemple des batteries, notre procédé peut permettre de stocker jusqu'à 75 % d'énergie en plus dans un même volume ou de réduire la taille de la batterie pour une capacité équivalente. Réduire la quantité de matière est intéressant aussi en fin de vie du produit car cela fait moins de matière à recycler. Les matériaux recyclés (matières premières secondaires, ndlr) sont généralement de moins bonne qualité que les matières premières initiales. Grâce à l'apport des nanotubes de graphène, nous pouvons aussi améliorer leur qualité. Ainsi, les applications de ces nanotubes sont quasi infinies. Nous pensons pouvoir améliorer les propriétés d'au moins 70 % des matériaux existants. Mais nous pouvons aussi en créer de nouveaux. Par exemple, nous avons mis au point un filtre antivirus utilisable pour la fabrication de masques, qui filtre les virus de façon bien plus efficace que les matières existantes tout en permettant une respiration bien plus aisée.
Vous avez créé la société OCSiAl en 2009 et la première unité de production a été opérationnelle en 2014. Que s'estil passé pendant 5 ans ? Quels conseils pouvez-vous délivrer aux entrepreneurs qui s'engagent dans le lancement d'activités ayant un long processus de développement ?
Il faut du temps pour développer de vraies innovations révolutionnaires. En plus du temps, il faut également de l'argent pour ne pas faire de compromis par rapport à l'idée initiale. Avant le lancement du procédé définitif, nous avons testé dix autres solutions en grandeur réelle car on ne peut pas tester un procédé de fabrication sur une maquette. À dix reprises, nous avons donc construit une unité pilote et à dix reprises, nous l'avons détruite et recommencée, car cela ne fonctionnait pas comme nous le souhaitions. D'où l'importance d'avoir à ses côtés des investisseurs ayant une vision à long terme et qui ne soient pas des spéculateurs financiers. Nos investisseurs ont consacré beaucoup d'argent au projet mais maintenant, ils sont satisfaits car la société est très bien valorisée. Pour convaincre des investisseurs de se lancer dans une telle aventure entrepreneuriale, le meilleur conseil que l'on peut donner est la transparence. Il faut répondre à toutes leurs questions, y compris les plus complexes et leur montrer chaque étape, que ce soit un succès ou un échec. Et j'insiste encore sur la nécessité de ne pas faire de compromis avec son idée initiale. Ceci est valable pour tous les business très innovants ; les investisseurs veulent souvent accélérer le processus. Pourtant, nous sommes convaincus que le développement prend du temps et doit se faire de façon complète. C'est pourquoi nous avançons pas à pas. Je pense que c'est à notre détermination et au fait que nous avons pris le temps de bien faire les choses que nous devons notre succès actuel. Nous nous considérons toujours comme une startup mais à la différence des débuts, maintenant, les portes s’ouvrent toutes seules, car la force de notreproduit est mondialement reconnue.
L'un de vos facteurs clés de succès est la recherche scientifique. Mais la recherche et l'innovation, seules, ne suffisent pas. Comment articulez-vous ce cœur de métier avec les autres fonctions de l'entreprise ? Comment trouvez-vous un langage commun ?
Il y a deux courants très forts dans la société. Le premier est la demande du marché qui est identifiée par les équipes commerciales. Et le second est initié par la recherche interne. Il est en effet très rare que le marché réclame quelque chose qui n'existe pas du tout. Ces deux courants sont très importants pour nous. Les équipes du département "développement produits" sont en quelque sorte les traducteurs qui font le lien entre les commerciaux et les chercheurs. Les personnes qui constituent cette équipe viennent de différents secteurs. Ils connaissent bien les attentes des clients mais sont aussi capables de mesurer la faisabilité des demandes et peuvent refuser celles qui paraissent irréalistes ou proposer de revoir certains aspects des projets. Ensuite, les scientifiques se mettent au travail.
Avoir des équipes de recherche multiculturelles, est-ce un plus ou une difficulté ?
C'est un bénéfice même si c'est plus difficile à manager. Nous avons trois centres de R&D dans le monde, avec des chercheurs qui viennent de différentes cultures. C'est intéressant pour s'adresser à des marchés différents car cela permet de concevoir les produits et le discours autour des produits (matériel de vente, mode d'emploi...) de façon adaptée. Pour la vente c'est encore plus crucial. L'Asie est notre marché le plus dynamique avec 70 % des ventes mais les États-Unis et l'Europe progressent beaucoup. Donc il faut nous adapter à ces différentes cultures.
Menez-vous des recherches en lien avec la 5G et les objets connectés ?
Pas directement mais la 5G requiert certains changements pour les matériaux qui peuvent représenter des opportunités pour nous. Par exemple, il peut y avoir la nécessité de se protéger des fréquences radio ou au contraire de rendre certaines surfaces perméables aux fréquences. Nous avons des projets en cours avec des géants de l'automobile sur ces questions, en utilisant les propriétés de conductivité des nanotubes de graphène.
Quelles sont vos projets pour l'avenir ?
Outre notre grand projet de développement prévu à Differdange, ce qui nous tient à cœur est de développer la communication avec le grand public. Pour cela, nous allons rendre notre site web plus interactif pour que chacun puisse y poser des questions. Mais à plus court terme, nous allons organiser un grand événement le 4 octobre prochain, pour montrer tout ce que l'on peut faire avec nos produits. Beaucoup de nos scientifiques seront présents pour des explications. Nous voulons que les gens soient fiers de vivre dans un pays où une telle aventure scientifique et entrepreneuriale est possible. Ensuite, nous travaillons sur des projets communs avec le Luxembourg Science Center et nous aimerions collaborer plus étroitement avec l'Université du Luxembourg, comme nous le faisons déjà avec l'Université de Novosibirsk en Russie. Nous y avons créé un master pour former les scientifiques dont nous avons besoin. Chaque année, nous recrutons les 2 à 3 meilleurs étudiants. Nous avons en effet la conviction qu'il est plus efficace de former de jeunes talents que d'essayer de les trouver. Nous leur proposons de contribuer à changer le monde avec des produits révolutionnaires. Peu d'entreprises peuvent proposer cela. Chez nous vous pouvez entrevoir le futur !
Et que pensez-vous de la période actuelle et de ses bouleversements ?
Tout changement est porteur. Cela crée de l'attractivité pour l'innovation. En période calme, le changement, l'adaptation et donc l'innovation sont moins nécessaires. Au contraire, les périodes de bouleversement sont très riches. Beaucoup d'acteurs doivent s'adapter et sont à la recherche de solutions.
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize et Ocsial (photos 9,10 et 11)