La marque Tontarelli est relativement peu connue du grand public et pourtant il y a de forte chance que chaque foyer possède au moins un produit de cette entreprise qui est l’un des leaders mondiaux de la fabrication d’articles ménagers en matière plastique. Le catalogue complet propose pas moins de 400 références d’objets pour la cuisine, le jardin, le rangement … Le site de Bascharage, ouvert en 2006, emploie 144 personnes et tourne 24h/24 et 7j/7. Entretien avec Attilio Germano, directeur général de la société.
Votre entreprise est présente au Luxembourg depuis 2006 mais n’est pas forcément connue de tous, pouvez-vous nous la présenter ? Quelle est son histoire ?
Il est vrai que notre marque ne fait pas de publicité. La raison en est que nous fabriquons principalement pour des marques de distributeurs et que nous ne vendons que 30% de notre production sous notre propre marque au Luxembourg.
Tontarelli est une grande entreprise internationale, restée familiale. Son histoire est vraiment une success story. Sergio Tontarelli, le fondateur, est né dans une famille pauvre du village italien de Castelfidardo, patrie de l’accordéon. Il doit quitter l’école assez jeune pour travailler et aider sa famille. Mais il a déjà en tête le rêve très italien de posséder un jour une Ferrari rouge ! Il se fait embaucher comme ouvrier mouliste dans une fabrique de pièces destinées aux accordéons. Et, une fois expérimenté dans la fabrication des moules, se demande comment utiliser cette compétence pour devenir riche. Un jour qu’il se promène dans les rues du village, il voit une femme qui étend son linge et laisse tomber une de ses pinces en bois, de celles qui laissent de vilaines traces sur les vêtements à cause du ressort en métal. Cela lui donne l’idée de concevoir une pince en plastique, d’un modèle intelligent et solide. Il dessine une pince monobloc en plastique dont le ressort n’est pas en contact direct avec le linge. Il en dépose le brevet et cette pince remporte très vite un succès énorme et assure sa richesse. Mais Sergio Tontarelli, en vrai entrepreneur, ne s’arrête pas là ; il continue à investir et commence à concevoir une série d’objets en plastique en s’efforçant de créer des solutions qui n’existent pas encore et qui répondent à de vrais besoins. Il ajoute une touche maline dans les objets du quotidien ; d’où le slogan qui est le nôtre : Intelligenza plastica. Aujourd’hui encore, ce qui fait notre force est que nous faisons tout en interne : la conception des produits, le profilage, la réalisation des moules, l’injection et la façon. Peu de plasturgistes fabriquent leurs propres moules. C’est notre valeur ajoutée et cela protège nos modèles.
Pourquoi l’entreprise est-elle venue s’implanter au Luxembourg en 2006 ?
Quand j’ai rejoint le groupe en 1997, 90% de la production étaient exportés hors d’Italie. Nous avons fait le constat de la nécessité de nous rapprocher de nos clients, essentiellement composés de grandes enseignes de distribution, pour minimiser les coûts de transport et maximiser le niveau de service. Le Luxembourg présente le grand atout d’être situé au milieu de l’Europe. Paris et Francfort sont à moins de 400 km et les régions qui avoisinent le Luxembourg représentent un bassin de consommation très important. Le coût de la main d’oeuvre y est élevé mais comme nous améliorons nos technologies en continu, les fabrications sont presque toutes automatisées, ce qui permet de ne pas être pénalisés par les coûts de personnel. Le développement européen était la mission d’origine pour laquelle j’ai été recruté. Maintenant, nous avons trois sites principaux en Europe, notre berceau italien de Castelfidardo, un site à Manchester en Grande-Bretagne et le site de Bascharage au Luxembourg. À cela s’ajoute un site uniquement dédié à des opérations de logistique, en France.
Quelles sont les activités du site luxembourgeois ?
C’est un site essentiellement dédié à la fabrication. L’usine de Bascharage livre tout le centre de l’Europe, ce qui correspond à une vaste zone s’étendant du Portugal à la Russie. Notre site italien pour sa part est situé non loin du port d’Ancône et couvre l’Europe du sud, le bassin méditerranéen, le far east (Asie) et le far west (continent américain).
Au Luxembourg, notre premier plan d’investissements (2007-2010) devait servir à nous doter d’une structure de 12.000 m2. Un second plan d’investissement (2016-2019) a permis de porter notre surface à 25.000 m2. Notre objectif était d’être tranquilles pour dix ans mais nous envisageons déjà un troisième plan d’investissement car la demande pour nos produits augmente rapidement. Notre clientèle est fidèle et nous acquérons de nouveaux contrats. Nous attribuons ce succès à notre stratégie de services personnalisés qui nous permet d’entrer de manière durable sur les marchés. Notre positionnement géographique au centre de l’Europe nous aide à entretenir cette image de service en réduisant les délais de livraison. C’est pour cela que nous sommes si bien au Luxembourg.
Votre développement international a débuté à la fin des années 1990 avec la Grande-Bretagne. Quelles sont vos activités dans ce pays et qu’est-ce qui va changer avec le Brexit ?
Notre site de Manchester est très important pour servir le Royaume-Uni. Cette usine ne produit que pour le marché local qui a encore un important potentiel de développement. Le Brexit va plutôt jouer en notre faveur car nous sommes implantés sur place de longue date et connaissons parfaitement ce marché. D’une manière générale, je dirais que les éléments perturbateurs de l’économie peuvent avoir un impact positif sur les sociétés bien organisées, car ils sont porteurs d’opportunités. La crise Covid par exemple, nous a poussés à inventer de nouveaux produits comme des boîtes où les enfants pourront ranger leur masque et leur gel pour la rentrée des classes…
Vos produits sont fabriqués en Europe. Ne subissez-vous pas une forte concurrence de la part de la Chine ?
En effet, la Chine est le premier producteur mondial de produits en plastique. Mais en réalité les fabricants chinois concurrencent les fabricants européens uniquement sur les petits articles. Pour les produits plus volumineux, les coûts de transports sont trop importants. Comme je vous le disais, nos procédés de fabrication sont largement automatisés et cela nous permet de rester compétitifs, y compris par rapport à la concurrence asiatique.
Tous nos achats sont faits en Europe, quitte à les payer plus cher. La défense de l’Europe fait en effet partie des valeurs de notre société. Nous n’importons rien de Chine mais en revanche nous exportonsen Chine. Notre gamme de meubles, par exemple, y est très appréciée.
Nous avons aussi des concurrents européens, dont certains appartiennent à des fonds d’investissement et suivent une logique financière. Pour notre part, nous sommes fabricants et notre philosophie est de faire de bons produits, à un bon prix. Jusqu’ici cette stratégie s’est avérée gagnante. Les acheteurs des grandes enseignes font un bouche-à-oreille positif sur nos produits.
En matière de débouchés, quels sont les marchés qui se développent le plus ?
Nos marchés les plus importants sont la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas et la Belgique. Nous développons l’Espagne et les pays de l’est de l’Europe. En Italie, nous sommes largement leaders. En Asie, nous vendons surtout nos produits haut-de-gamme, comme les meubles. Sur les marchés industriels (casiers industriels) nous livrons le monde entier et nous développons les Etats-Unis.
Adaptez-vous les produits en fonction des marchés ciblés ?
Oui, nous investissons énormément dans la fabrication de moules pour personnaliser les produits en fonction des demandes des clients. Nous lançons tous les ans une quarantaine de nouveaux articles. Notre force est que tout est modélisé informatiquement. Nous pouvons donc répondre à une demande, en prévoir les moindres détails (spécifications techniques, volume, poids, et délais de livraison…), créer des gammes complètes et signer des contrats, avant même d’avoir acheté l’acier pour les moules correspondants. Nous voulons d’ailleurs augmenter encore notre réactivité en dotant le site du Luxembourg d’un atelier de fabrication et d’entretien des moules. Actuellement ces étapes sont encore assurées par l’Italie.
Qu’est ce qui guide vos processus d’innovation et la création de nouveaux produits ?
La création d’un nouveau produit peut faire suite à une demande d’un client ou à nos recherches internes. Pour nos propres idées, nous observons le marché et les habitudes de vie et de consommation des utilisateurs, ou bien nous avons une idée d’ordre technique et nous étudions les possibilités de développements de produits issus de cette nouveauté technique. Toutes ces démarches sont menées sous la responsabilité directe de Sergio Tontarelli qui est passionné d’innovation et qui s’est entouré d’une équipe talentueuse d’une douzaine de concepteurs-designers.
Le plastique a parfois mauvaise presse…
C’est vrai mais le plastique qui est fortement décrié est celui qui est à usage unique. Nous ne faisons pas de plastique jetable. Nos produits sont faits pour durer car nous ne faisons pas de concession sur la qualité, et en fin de vie, leur matière est entièrement recyclable. Nous avons, par exemple, toute une gamme d’accessoires réutilisables dédiés aux repas nomades, alternative efficace à la vaisselle jetable.
Par ailleurs, nous avons toujours recyclé nos chutes et rebuts de plastique, en les réinjectant dans notre production. Ainsi nous produisons très peu de déchets. Le point problématique est la collecte des produits usagés. Nous sommes capables de réutiliser sur un modèle circulaire, tous les plastiques Polypropylène (PP) mais nous n’avons pas encore trouvé le moyen de collecter ces produits. Nous sommes en négociation avec certaines enseignes de distribution pour qu’elles nous aident à organiser des points de collecte et nous travaillons aussi avec Luxinnovation pour mener des réflexions au sujet de la qualité du tri. Nous sommes en train de développer des chaînes complètes de fabrication à partir de produits recyclés.
Enfin, pour diminuer notre empreinte environnementale nous investissons dans le photovoltaïque. En Italie par exemple, l’ensemble des toits des bâtiments et parkings sont couverts de panneaux qui rendent le site plus qu’autosuffisant en énergie.
À propos d’Italie et de parking, vous ne m’avez pas dit si Monsieur Tontarelli avait pu acheter sa Ferrari rouge ?
En effet. Et oui, dès l’âge de 26 ans il a pu réaliser son rêve. Il habitait à l’époque un petit appartement de 40 m2 mais avec un garage au rez-de-chaussée !
www.tontarelli.com
www.tontarelli.shop
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize