Ce titre emprunté à une chanson de Véronique Sanson convient parfaitement à l’activité de la société Apateq qui a développé des technologies innovantes permettant de transformer les eaux usées en eaux « neuves » susceptibles d’être réutilisées dans un circuit de production ou d’être réinjectées dans la nature. Les applications sont multiples, comme nous l’explique Bogdan Serban, co-fondateur et CEO de l’entreprise.
Pourquoi et comment avez-vous fondé Apateq ?
Je suis ingénieur électronicien de formation. J’ai travaillé dans le secteur automobile pendant 19 ans, puis j’ai rejoint le secteur du traitement de l’eau. Là, j’ai constaté que les innovations sont rares dans ce domaine. Cela s’explique par un double phénomène. D’une part les clients, qui n’ont pas l’expertise de l’eau en interne, ne sont pas spécialement demandeurs d’innovation et d’autre part, les bureaux d’études préfèrent proposer des systèmes déjà éprouvés. Par ailleurs, j’ai constaté qu’il y avait une demande grandissante pour le traitement des eaux difficiles. Je me suis donc dit qu’il y avait sans doute des opportunités à saisir pour servir des marchés de niche grâce à des innovations. A ce moment-là, j’ai fait la connaissance de personnes qui se sont montrées intéressées et nous nous sommes associés pour créer Apateq en 2013. C’était le bon moment pour moi. Quand on est plus jeune, on devient parfois entrepreneur par méconnaissance ou inconscience des risques, puis on réalise la complexité du fonctionnement d’une entreprise et on se met à hésiter. Enfin, quand on a acquis suffisamment de connaissances et d’expérience cela redevient le bon moment. C’est ce qui s’est passé pour moi et je ne regrette absolument pas d’être devenu entrepreneur, même si je n’ai plus pris de vrai congé depuis des années.
D’où vient le nom Apateq ?
« Apa » signifie eau en roumain et je suis d’origine roumaine. Ensuite il y a la dimension technologique avec le « Teq » que nous avons tenu à écrire avec un Q comme qualité, une valeur très importante pour nous.
Estimez-vous que votre entreprise est encore une startup ou déjà une success story ?
Si on regarde les chiffres nous ne sommes plus du tout une startup. À nos débuts en juin 2013, nous n’étions que six et maintenant nous sommes 70. Notre chiffre d’affaires s’élève à 25 millions d’euros. Cependant l’esprit et la culture de l’entreprise sont ceux d’une startup. Nous sommes toujours prêts pour les projets fous. Nous devons être un peu fous pour nous confronter comme nous le faisons aux plus grands concurrents ! Et cet esprit combatif et conquérant, nous réussit. Nous avons remporté tous les appels d’offres auxquels nous avons souhaité répondre. Pour réussir il faut être concentré sur son objectif et savoir dire non à certains projets. C’est ce que nous faisons. Nous ne répondons pas à tousles appels d’offres mais faisons tout pour remporter ceux qui nous tiennent à coeur.
Quels sont vos concurrents ? Qu’apportez-vous de différent ?
Le paysage concurrentiel dépend du type de projets. Il existe des milliers de sociétés dans notre secteur mais la plupart ne sont pas nos concurrents car nous nous concentrons sur les eaux difficiles, que peu de sociétés acceptent de traiter. Par exemple, nous traitons l’eau qui nettoie les gaz d’échappement des grands navires. Sur ce créneau nous avons quatre à cinq concurrents dans le monde et malgré cela, nous estimons que nous avons déjà conquis un tier du marché, après seulement quatre ans, grâce à une technologie très innovante et convaincante. Sur un autre de nos créneaux, le traitement de l’eau qui provient des forages de pétrole et de gaz, il n’y a que deux ou trois sociétés qui proposent une solution similaire, mais la nôtre est plus performante et nous permet de proposer des tarifs inférieurs. Un autre de nos métiers est le traitement des lixiviats (eaux de ruissellement des décharges, mélange de fluides s’échappant de certains déchets et d’eaux de pluies, ndlr). Peu de sociétés se positionnent sur ce marché spécifique. Or, ce qui nous intéresse est justement ce qui est difficile et qui nous donne l’occasion d’imaginer des solutions innovantes.
Quelle est la part de votre chiffre d’affaires à l’export ?
En 2019, quasi 100%. Dès le lancement de la société, nous savions que nos marchés seraient plutôt situés à l’étranger. Cela se reflète dans notre organisation. Nos commerciaux ne sont pas au Luxembourg. Sur chaque marché, nous avons choisi des agents qui nous représentent et qui sont payés au succès. En tout, nous avons plus de 25 entités de représentation sur les 5 continents. La majorité travaille en exclusivité pour nous. Le processus est parfois long pour trouver la bonne personne. Nous approchons des gens sur des foires ou des rencontres internationales. D’autres nous contactent directement. Bien choisir nos partenaires fait partie intégrante de notre savoir-faire.
Où et comment trouvez-vous les collaborateurs nécessaires à votre développement ?
C’est notre difficulté numéro un. C’est devenu très, très difficile. Nous serions prêts à embaucher 20 personnes demain matin mais nous avons beaucoup de mal à trouver des « doers », des gens qui sont prêts à se battre et à travailler dur pour obtenir des résultats et des profils qui soient aussi à l’aise dans leur bureau que sur le terrain. Nous travaillons avec cinq cabinets de recrutement et je fais personnellement trois à quatre entretiens par semaine. Nous trouvons des candidats à l’étranger mais nous avons beaucoup de mal à les faire venir au Luxembourg. Les jeunes diplômés se trouvent encore relativement facilement mais nous ciblons plutôt des jeunes ayant une dizaine d’années d’expérience. Or ces personnes ont entre 30 et 40 ans et privilégient souvent leur vie de famille au détriment de leur mobilité. La possibilité de mieux gagner sa vie au Luxembourg ne suffit pas à les attirer ou alors ils ont des prétentions salariales bien supérieures à ce que nous pouvons offrir. Il faut dire que les prix élevés de l’immobilier au Luxembourg ne nous aident pas. Et comme nous recherchons des candidats anglophones, nous subissons la concurrence de Londres qui reste attractive malgré le contexte du Brexit. La difficulté concerne surtout les ingénieurs, les automaticiens, les chefs de process ou de produit. Pour notre atelier, nous avons aussi du mal à trouver des ouvriers plasturgistes. Beaucoup viennent d’Allemagne, parfois de très loin. Nous avons organisé le temps de travail de manière à leur permettre de concentrer leur présence hebdomadaire sur quatre jours et être chez eux pendant trois jours. Nous sommes obligés d’avoir recours à la sous-traitance et à l’intérim. Mais ces difficultés ne sont pas propres à Apateq. J’ai eu la chance de participer au forum de Davos en 2017. Tous les patrons se plaignaient de la même chose.
Votre entreprise a remporté de nombreux prix, dont tout récemment le prix de l’environnement de la Fedil pour une solution révolutionnaire de production d’eau potable mise en oeuvre en Suède. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Ces prix, nous les gagnons grâce aux équipes et au courage de nous attaquer à des marchés de niche sur lesquels les autres acteurs hésitent à aller. Ils représentent la reconnaissance de ce que nous sommes avec notre pouvoir d'innovation, notre engagement et notre travail et enfin nos choix stratégiques et nos décisions. Nous n’aurions pas obtenu le projet réalisé en Suède qui nous a valu un prix environnement de la Fedil sans innovation. La technologie que nous avons vendue est tout à fait particulière puisqu’elle consiste à traiter avec un dispositif unique des eaux de mers et des eaux industrielles pour en faire de l’eau potable. Des capteurs et un logiciel intelligent reconnaissent la nature des eaux entrantes et adaptent le traitement en conséquence. Nos concurrents proposaient tous des dispositifs séparés pour les deux types d’eau.
En quoi vos solutions peuvent-elles contribuer à prévenir les problèmes de pénuries d’eau ?
Nos solutions contribuent à épargner énormément d’eau car elles se basent sur les principes de l’économie circulaire. Nous traitons les eaux usées ou polluées pour pouvoir les réutiliser. Par exemple, nous avons un client en Italie dont le métier est le conditionnement de pommes destinées aux grandes surfaces. Avant notre intervention ce client jetait l’eau ayant servi au nettoyage des fruits. Maintenant que nous la traitons, l’eau devient réutilisable, en circuit fermé, quasi à l’infini. Cela leur a permis de réaliser une économie d’eau de 95%. Il y a une demande de plus en plus importante pour des solutions comme celle-ci.
Vous avez un bureau aux Etats-Unis. Quand l’avez-vous ouvert et pourquoi ?
Nous avons ouvert un bureau près de Houston (Texas) pour préparer l’avenir car le continent nord-américain représente un gros potentiel pour le traitement des eaux issues des exploitations pétrolières et gazières. Nous avons planifié de prospecter ce territoire en 2015- 2016. Mais entretemps, une législation internationale a rendu obligatoire le traitement des gaz d’échappement des gros navires et cette opportunité représente des volumes tels que nous avons décidé de nous concentrer sur ces produits pendant quelques temps. Nos carnets de commandes sont pleins jusqu’en décembre 2020.
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize