Projet de loi relatif aux soins palliatifs et à l’accompagnement en fin de vie (2817BJE)
Par sa lettre du 12 février 2004, Monsieur le Ministre de la Santé a bien voulu solliciter l’avis de la Chambre de Commerce concernant le projet de loi sous rubrique.
Le présent projet de loi consacre la médecine palliative aussi bien en milieu hospitalier qu’en milieu extrahospitalier et pose le principe d’un droit aux soins palliatifs pour toute personne atteinte d’un mal incurable et qui est en phase finale de vie.
Le projet de loi prévoit également la prise en charge des dépenses relatives aux soins palliatifs dans le cadre de l’assurance maladie et de l’assurance dépendance.
Enfin, le présent projet de loi vise à éviter l’« acharnement thérapeutique ». A cette fin, il est prévu expressément de soustraire à toute poursuite pénale et à toute action civile en dommages-intérêts le médecin qui s’abstient des examens qu’il juge inappropriés par rapport à l’état du malade. Il est également prévu, de donner au patient la faculté d’exprimer de manière anticipée sa volonté de ne pas subir d’acharnement thérapeutique à travers un document écrit, la « directive anticipée ».
Pour rappel, le thème de l’accompagnement en fin de vie est présent dans le débat public national depuis plusieurs années. Préalablement au dépôt du présent projet de loi, ces questions ont fait l’objet d’un rapport de la Commission spéciale d’Ethique[1] et d’une proposition de loi[2].
D’une manière générale, la Chambre de Commerce accueille favorablement la volonté du Gouvernement de légiférer afin d’améliorer les conditions de vie ou de survie des personnes atteintes de maladies incurables et qui sont en phase finale de vie. La Chambre de Commerce aimerait cependant souligner un certain nombre de points au sujet du détail des articles du présent projet de loi.
Commentaire des articles
Concernant l’article 1er
L’article 1er du présent projet de loi instaure un droit à des soins palliatifs pour les malades atteints d’une maladie ou d’une infection incurable.
En milieu hospitalier, l’accès aux soins palliatifs est garanti par l’article 37 de la loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers qui énonce que « Tout patient a accès aux soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requiert son état de santé, conformes aux données acquises par la science et à la déontologie »[3].
L’accès aux soins palliatifs en milieu extrahospitalier serait garanti par l’article 5 du présent projet de loi, lequel introduit dans la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l’exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin-vétérinaire la disposition suivante : « Le médecin prodigue aux patients dont il a la charge les soins préventifs, curatifs ou palliatifs que requiert leur état de santé, conformes aux données acquises par la science et à la déontologie. »
Bien que ces deux dispositions suffisent à garantir l’accès aux soins palliatifs, les auteurs du présent projet de loi jugent nécessaire et utile de consacrer le droit des patients aux soins palliatifs dans une législation-cadre destinée à rassembler les différentes dispositions relatives aux soins palliatifs et à l’accompagnement en fin de vie.
La Chambre de Commerce constate que la reconnaissance d’un « droit à des soins palliatifs prodigués conformément aux bonnes pratiques en la matière » fait suite à la recommandation 1418(1999) du 25 juin 1999 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants[4]. Cette recommandation encourage les Etats membres du Conseil de l’Europe à consacrer et à protéger « le droit des malades incurables et des mourants à une gamme complète de soins palliatifs »[5] et à prendre les mesures nécessaires « pour que les soins palliatifs fassent partie des droits individuels reconnus par la loi »[6]. Des dispositions consacrant le droit des malades en fin de vie à des soins palliatifs ont déjà été adoptées par les Etats voisins du Luxembourg[7].
Dans cette optique, la Chambre de Commerce se déclare favorable à l’orientation choisie par les auteurs du présent projet de loi et à la reconnaissance du droit des patients aux soins palliatifs.
En ce qui concerne la définition des soins palliatifs, l’article 1er du présent projet de loi donne des informations sur le contenu de tels soins (« le traitement de la douleur, y compris la souffrance psychologique »), sur les caractéristiques des soins palliatifs (« des soins actifs, continus et coordonnés »), les personnes qui prodiguent de tels soins (« une équipe pluridisciplinaire »), les objectifs poursuivis (« couvrir l’ensemble des besoins physiques, psychiques et spirituels de la personne protégée et à soutenir son entourage »).
Cette définition est extrêmement proche de celle retenue par l’article 43 de la loi sur les établissements hospitaliers[8]. La Chambre de Commerce est en mesure d’approuver la définition retenue par les auteurs du présent projet de loi.
La Chambre de Commerce note cependant que le présent projet de loi n’aborde pas les problèmes d’organisation et de fourniture de soins palliatifs. Le présent projet de loi « se limite aux seuls aspects de l’organisation de la prise en charge des soins palliatifs par la sécurité sociale »[9].
Certaines questions pratiques, telles que l’organisation des structures de soins palliatifs, le rôle des bénévoles dans les structures de soins palliatifs ou encore la formation des équipes pluridisciplinaires chargées de prodiguer de tels soins, devraient être abordées plus en détail.
Dans cette perspective, la Chambre de Commerce suggère de tenir compte de la recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 12 novembre 2003 sur l’organisation des soins palliatifs[10]. Cette recommandation présente de nombreuses pistes de réflexions en matière d’évaluation des besoins et d’appréciation de la qualité des soins prodigués, en matière de programmation des soins et d’organisation des équipes soignantes ou encore en matière de communication avec le patient et sa famille.
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Concernant l’article 2
Sans qu’il n’y soit jamais fait de référence directe, l’article 2 du présent projet de loi vise, en substance, à dépénaliser l’abstention thérapeutique.
Pour rappel, l’acharnement thérapeutique est abordé en droit luxembourgeois par l’article 43 de la loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers, lequel énonce : « En cas d’affection incurable et terminale, le médecin traitant hospitalier doit apaiser les souffrances physiques et morales du patient en lui donnant les traitements appropriés, en évitant tout acharnement thérapeutique sans espoir et en maintenant pour autant que possible la qualité de la survie. »
Du point de vue de la déontologie médicale, ce texte de loi est complété par l’article 45 du code de déontologie, lequel prévoit : « En cas d'affection incurable et terminale, le médecin doit apaiser les souffrances physiques et morales du patient en lui donnant les traitements appropriés, en évitant tout acharnement thérapeutique sans espoir et en maintenant autant que possible la qualité d'une vie qui s'achève. Le médecin doit assister le mourant jusqu'à la fin et agir de façon à permettre au patient de garder sa dignité. »
Selon les auteurs du présent projet de loi, il existe une incertitude concernant l’étendue exacte de la responsabilité pénale du médecin en cas d’abstention thérapeutique. C’est pourquoi l’article 2 du présent projet de loi prévoit expressément que le médecin qui s’abstient de tout acharnement thérapeutique bénéficie d’une immunité contre toute action pénale et contre toute action en dommages-intérêts.
Si, d’une manière générale, la Chambre de Commerce accueille favorablement le principe d’une dépénalisation de l’abstention thérapeutique, les modalités pratiques de sa mise en œuvre suscitent quelques observations.
En premier lieu, il convient de signaler qu’il est extrêmement difficile de déterminer à quel moment un traitement est inapproprié par rapport à l’état du malade. Dans son rapport de 1999, la Commission spéciale d’Ethique rappelle « qu’il est souvent difficile de dire à partir de quel moment il s’agit d’acharnement thérapeutique, ou bien si la mise en place ou la continuation d’un traitement de survie sont vraiment utiles, inutiles, adéquates, inadéquates, justifiées ou non »[11].
Le caractère extrêmement large vague et imprécis du caractère inapproprié d’un traitement confère une grande importance à l’appréciation personnelle d’une seule personne : le médecin.
La Chambre de Commerce est d’avis que l’exonération pénale dont pourrait bénéficier le médecin en cas d’abstention thérapeutique devrait être soumise à un certain nombre de conditions minimales. Notamment, il serait souhaitable que la décision de s’abstenir de fournir certains traitements inappropriés ne soit pas prise individuellement par le médecin. Il serait au contraire souhaitable que la décision soit prise après consultation d’au moins un autre médecin compétent, en concertation avec l’équipe médicale et conjointement avec le patient ou ses proches.
Prévoir explicitement que la décision d’abstention thérapeutique sera prise de manière collégiale et concertée constituerait par ailleurs une véritable garantie permettant de s’assurer du bien fondé et de l’objectivité d’une telle décision.
En second lieu, il semble que la rédaction actuelle du présent projet de loi exonère le médecin de toute poursuite pénale et civile sans tenir suffisamment compte des droits et de la volonté du patient.
Comme le rappelle la Commission spéciale d’Ethique dans un avis de 1999, le patient demeure le mieux placé pour peser les avantages et les inconvénients d’un traitement sur sa santé et sur son bien-être. Notamment, il peut arriver que dans certaines circonstances « une personne malade peut parfaitement, pour des raisons dont elle est seule juge, réclamer des médecins les soins les plus acharnés et les plus intensifs pour survivre à tout prix, quelles que soient ses souffrances et ses dégradations »[12].
D’après la Commission spéciale d’éthique, la décision du médecin de s’abstenir de prodiguer au patient certains traitements qu’il juge médicalement inappropriés ne devrait être permise que si cette décision ne va pas à l’encontre de ce que le patient veut et décide.
Dans cette perspective, la Chambre de Commerce suggère qu’il ne soit pas permis au médecin de « refuser » au patient en fin de vie un traitement, même si ce traitement est jugé médicalement inapproprié par le médecin. L’exonération de toutes poursuites civiles et pénales ne devrait concerner que la décision de s’abstenir de fournir certains traitements inappropriés au regard de l’état du patient.
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Concernant l’article 3
L’article 3 du présent projet de loi instaure une « directive anticipée », document par lequel un patient atteint d’une maladie incurable peut exprimer de manière anticipée sa volonté de ne pas subir de traitements inappropriés à son état. Ce document doit permettre aux patients de refuser à priori toute forme d’acharnement thérapeutique.
Dans la pratique, l’association oméga 90 propose déjà d’assister les patients dans la rédaction de tels documents, qualifiés de « testaments de vie »[13].
La Chambre de Commerce accueille favorablement l’officialisation des « directives anticipées ». De tels documents sont des éléments importants d’aide à la décision dans le cas où l’équipe médicale serait amenée à s’interroger sur le caractère approprié ou non de certains traitements par rapport à l’état de patients incurables et en fin de vie.
La Chambre de Commerce souligne également que le présent projet de loi prend soin de préserver les convictions du médecin puisque, dans le cas où les dispositions de la directive anticipée seraient contraires aux convictions du médecin, celui-ci peut transférer son patient à un confrère disposé à la prendre en considération (article 3, paragraphe (6)).
Concernant l’article 4
L’article 4 du présent projet de loi modifie le Code des assurances sociales afin de permettre la prise en charge des soins palliatifs au titre de l’assurance maladie et de l’assurance dépendance.
La Chambre de Commerce est favorable à la prise en charge des soins palliatifs de manière suffisante et appropriée par la sécurité sociale.
La Chambre de Commerce relève cependant que les modalités concrètes d’attribution et d’ouverture du droit aux soins palliatifs ne seront précisées qu’ultérieurement par règlement grand-ducal. De même, les procédures d’agréments des centres d’accueil pour les personnes en fin de vie devront être précisées ultérieurement. Ceci empêche une appréciation complète des effets et de l’envergure la prise en charges des soins palliatifs.
Concernant l’article 5
L’article 5 du présent projet de loi vise à consacrer la médecine palliative en milieu extrahospitalier en insérant un article 6bis dans la loi modifiée du 29 avril 1983 concernant l’exercice des professions de médecin, de médecin-dentiste et de médecin vétérinaire.
La Chambre de Commerce n’a pas d’observation particulière à formuler à ce sujet.
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Sous réserve de la prise en compte des observations qui précèdent et après consultation de ses ressortissants, la Chambre de Commerce est en mesure d’approuver le projet de loi sous rubrique.
[1] L’encadrement en fin de vie, Rapport de la Commission spéciale d’éthique en vue du débat d’orientation sur la médecine palliative, l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, doc. Parl. 4408, 2 février 1999, 44 p.
[2] Proposition de loi sur le droit de mourir en dignité, doc. Parl. 4909, 5 février 2002 (dépôt L. Err et J. Huss). Cette proposition a donné lieu à un avis de l’association des médecins et médecins-dentistes sur la proposition de loi sur le droit de mourir en dignité ( doc. Parl. 4909-1, 18 juin 2002) et à un avis du Collège médical (disponible à l’adresse suivante :
http://www.collegemedical.lu/Download/droitdemourirendignite.pdf).
[3] Mém. 1998, 1564.
[4] Texte adopté par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 25 juin 1999 (24e séance), disponible à l’adresse : http://assembly.coe.int/documents/adoptedtext/ta99/frec1418.htm#1
[5] Ibid. Point 9. a.
[6] Ibid. point 9. a. i.
[7] « Toute personne dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement », article 1er A, Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, JO n°132 du 10 juin 1999, p. 8487.
[8] « En cas d’affection incurable et terminale, le médecin traitant hospitalier doit apaiser les souffrances physiques et morales du patient en lui donnant les traitements appropriés, en évitant tout acharnement thérapeutique sans espoir et en maintenant pour autant que possible la qualité de la survie.
Le médecin doit assister le mourant jusqu’à la fin et agir de façon à permettre au patient de garder sa dignité.
De même il offrira aux proches du patient l’assistance adéquate pour soulager leurs souffrances en rapport avec cette situation.
A l'approche de la mort, le patient a le droit d'être accompagné en permanence par au moins une personne de son choix dans des conditions respectant sa dignité. », Article 43, Loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers (mém. 1998, 1564).
[9] Exposé des motifs, p.3.
[10] Rec (2003)24
[11] L’encadrement en fin de vie, Rapport de la Commission spéciale d’Ethique, précité, p. 22.
[12] Ibid. p.22.
[13] Association Omega 90 : www.omega90.lu
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