Merkur avait déjà rencontré la société Tadaweb (technologie qui imite l’intelligence humaine pour trouver et analyser des informations sur internet), fin 2014, pour inaugurer la rubrique Startup de la nouvelle formule du magazine. Pour ce numéro spécial startups, la rédaction est retournée voir les deux fondateurs de la société, qui est devenue une véritable success-story.
Que s’est-il passé en trois ans ?
François Gaspard : « En fait, beaucoup de choses ont évolué ; l’équipe a grandi, nous avons changé de locaux, ouvert des bureaux à l’étranger, renforcé nos partenariats avec des géants d’Internet comme Microsoft, mais le plus important à nos yeux est que nous avons fait un gros travail de recentrage de notre activité. Quand vous démarrez, beaucoup de gens vous donnent leur avis et vous disent quoi faire. On a aussi tendance à être rivé sur ce qu’on appelle les vanity metrics, comme le nombre de followers ou de likes sur les réseaux sociaux, ou le nombre de personnes qui utilisent votre plateforme mais qui sont souvent juste curieux. Or, cela nous éloigne de la raison d’être de l’entreprise. Nous avons donc décidé de moins communiquer et de moins écouter les avis des gens, pour revenir à des considérations plus solides. Cette sélectivité a pu générer un peu d’incompréhension, mais nous étions sûrs de nos décisions et nous étions soutenus par nos actionnaires.
Genna Elvin : « Parallèlement, nous n’avons plus recruté que des ingénieurs et des designers pour vraiment nous focaliser sur le produit. Nous nous sommes rendu compte que notre business n’avait pas besoin de publicité pour grandir. Par contre, nous avons mis le paquet sur l’expérience utilisateur en soignant particulièrement l’interface, en lui donnant un look futuriste. Notre technologie est de plus en plus puissante et l’interface utilisateur est de plus en plus user-friendly. Nos clients adorent ça, d’où la nécessité d’avoir de bons designers.
Fin 2014, vous étiez neuf. Maintenant, l’équipe compte 35 personnes. Comment maintenez-vous la cohésion dans une telle équipe ?
G. E. : « Nous choisissons nos nouvelles recrues en fonction de leurs connaissances techniques mais également de leur potentiel à s’intégrer dans l’équipe. Nous refusons pas mal de gens dont on sent qu’ils n’ont pas l’esprit Tadaweb. Si l’on s’en tient à ça, l’équipe peut grandir vite sans problème, nous sommes d’ailleurs en train de recruter une vingtaine de personnes au Luxembourg. La cohésion passe avant tout par le fun, une de nos devises étant : ‘Work hard, play hard.’ Nous avons toujours voulu construire une entreprise où les gens s’amusent en travaillant. Ceux pour qui c’est le premier job trouvent cela tout à fait normal. Ceux qui ont déjà travaillé ailleurs sont parfois un peu surpris par l’ambiance décontractée de l’entreprise.
Fin 2015, vous avez quitté le Technoport qui vous hébergeait depuis trois ans. Comment avez-vous vécu cette étape ?
F. G. : « Nous étions arrivés à la fin de la durée normale d’hébergement et l’équipe avait énormément grandi. Les locaux étaient devenus trop petits pour nous. Par contre, nous voulions absolument rester à Belval, dont nous apprécions beaucoup l’énergie et les différents voisinages, ainsi que la proximité avec la France et la Belgique, ce qui est un plus pour nos salariés frontaliers qui évitent ainsi les bouchons. Nous avons eu la chance d’y trouver exactement ce que nous cherchions : un plateau entier de 500 m² d’espaces bruts, situé en étage élevé, donc très clair. Tout était à faire et nous avons tout fait nous-mêmes, du sol au plafond. Nos bureaux sont aménagés en open space et nous y avons intégré tout ce qu’il faut pour que l’équipe s’y sente chez elle : une table de tennis de table, une borne d’arcade, une salle de meeting décorée sur le thème de Star Wars ou encore un bar avec une pompe à bière ! Nous avons aménagé un espace à notre image.
D’année en année, votre entreprise gagne en maturité. Quels sont les risques que l’on rencontre une fois passées les premières étapes ?
F. G. : « Pour nous, le principal risque serait de nous disperser, de céder à la tentation constante d’appliquer notre technologie à d’autres marchés trop tôt. Nous sommes sollicités de toute part, nous avons les capacités de servir d’autres marchés, mais nous devons garder notre cap.
G. E. : « L’autre challenge est le recrutement. Nous utilisons beaucoup LinkedIn et d’autres plateformes de recrutement en ligne pour sourcer des talents, nous avons également un programme interne offrant une prime à nos salariés qui nous mettent en contact avec de bons profils. Nous faisons de moins en moins appel à des cabinets spécialisés car la réputation de Tadaweb grandit et nous recevons de plus en plus de candidatures spontanées, aussi bien du Luxembourg que de l’étranger. Notre environnement de travail est très décontracté, l’ambiance de type Silicon Valley et les technologies sur lesquelles nous travaillons sont très attirantes, et malgré le fait que nous soyons encore une startup, nous proposons un package salarial avantageux. Avec ça, nous arrivons à attirer les profils qu’il nous faut, y compris des anciens de chez Google ou Microsoft. Nous avons d’ailleurs récemment engagé l’ancien directeur de Google Play Europe, qui après avoir passé 12 ans chez Google nous a rejoints. C’est un vrai succès pour une startup luxembourgeoise de notre taille ! Nous ne pouvons pas rivaliser avec la Silicon Valley en termes de salaires, mais la première motivation des gens qui veulent travailler chez nous, c’est le challenge. Pour les candidats qui viennent de loin, nous faisons un maximum pour les aider à se relocaliser au Luxembourg. Nous offrons des cours de langue et nous mettons à leur disposition un appartement qu’ils peuvent occuper le temps de trouver un logement.
Vous nous aviez parlé de vos difficultés à mettre en place un système de stockoptions.
F. G. : « Concernant les stock-options, la réglementation évolue très lentement au Luxembourg. Or, pour nous, ça a toujours été une volonté de pouvoir donner une part de l’entreprise à nos employés et de pouvoir les intéresser directement aux résultats. Si l’entreprise marche bien, c’est grâce à toute l’équipe, donc il est normal que chacun puisse avoir sa part. Nous sommes finalement arrivés à monter un plan de stockoptions, mais cela n’a pas été facile et nous avons dû nous faire aider par un cabinet d’avocats. Après un an de travail intensif, le modèle est au point. Nous allons d’ailleurs partager cette expérience et cette expertise avec d’autres startups du Luxembourg.
Il y a trois ans, vous disiez : « Il est nécessaire d’avoir une vision d’avenir et de savoir la transmettre à ses employés et aux investisseurs. » Quelle est votre vision d’avenir aujourd’hui ?
« En fait, notre vision n’a pas bougé depuis le début. Notre raison d’être est de développer une technologie qui comprenne et utilise Internet comme un être humain. Pour bien comprendre la démarche, on peut comparer ça à l’évolution de l’industrie automobile. Au départ, les voitures ont été conçues pour être pilotées par un humain et maintenant, on utilise des techniques d’intelligence artificielle pour pouvoir se passer de chauffeur. Dans notre domaine, c’est un peu la même chose, mais avec Internet. Nous avançons bien, mais il y a encore du chemin à parcourir. La recherche est extrêmement importante pour Tadaweb. Nous allons d’ailleurs bientôt aménager un autre étage de 500 m², situé juste au-dessus de nos bureaux, en laboratoire de recherche et développement dédié à l’innovation dans le domaine de l’intelligence artificielle, des objets connectés et de la réalité augmentée. Un peu comme Google avec son laboratoire Google X. »
Texte : Catherine Moisy - Photos : Gaël Lesure