En 2017, la résidence Nesto est née à Wiltz, un concept de construction durable, circulaire et abordable. Une première au Luxembourg! À l’origine de cette réalisation innovante, la société HelioSmart, spécialisée dans les projets durables depuis sa création. Les immeubles qu’elle conçoit sont sains, déconstructibles, déplaçables et fabriqués à partir d’éléments pré-usinés par des fournisseurspartenaires, proches géographiquement, pour limiter l’impact du transport. Il s’agit peut-être d’un exemple à suivre et d’une solution d’avenir pour le Luxembourg en quête de clés pour diversifier les offres de logements. Charles-Antoine de Theux, CEO de la société, nous en dit plus sur cette nouvelle façon de concevoir l’habitat et les perspectives de développement de nouveaux projets selon les mêmes principes respectueux de ressources limitées.
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Quelle est l’origine d’HelioSmart ?
La société a été fondée il y a 10 ans avec une vision durable. Nous avons commencé par l’implantation de centrales photovoltaïques de grosse capacité sur les toitures de bâtiments de grande taille. Nous avons par exemple équipé les 10.000 m2 de toiture du magasin Cora de Foetz. Puis, ce genre de projet n’a plus été subsidié pendant quelques années et, notre modèle ne tenant plus, nous avons tourné cette page pour nous intéresser à la construction circulaire, à un moment où l’économie circulaire était encore embryonnaire au Luxembourg. Vers 2014, nous avons donc imaginé un immeuble démontable, dont les composants seraient entièrement réutilisables. Nous avons pour principe de dire qu’un déchet est en fait une ressource non identifiée. Dans le cas de nos constructions, chaque élément est catégorisé et répertorié ce qui fait qu’il n’y a plus de déchets mais un ensemble de ressources recensées. Sur cette façon d’aborder la construction, nous étions totalement pionniers. Avec ce concept, nous avons réussi à convaincre la commune de Wiltz. Le terrain que celle-ci nous destinait n’était pas tout à fait prêt et nous avons pu réellement construire en 2017. Nous avons livré le gros œuvre fermé en trois jours.
Comment un délai aussi court est-il possible ?
Nous faisons appel à plusieurs sous-traitants en circuit court, c’est-à-dire proches géographiquement. Ceux-ci travaillent à l’aide d’outils de construction assistés par ordinateur. Ces systèmes permettent de dessiner un bâtiment et ensuite de le découper virtuellement en modules emboîtables. La construction sur le terrain revient donc à assembler des panneaux fabriqués en 2 dimensions. Pour un immeuble de 6 appartements comme celui que nous avons construit à Wiltz, il a suffi d’une douzaine de camions pour transporter les panneaux sur le chantier, ce qui est peu et nous permet d’avoir un bon bilan carbone. Dans ces cloisons pré-usinées, une bonne partie des éléments techniques nécessaires est déjà intégrée et les châssis sont déjà posés. Ainsi, il ne reste presque plus que les câbles et les canalisations à passer. Dans ces conditions il est possible de monter un étage de gros œuvre fermé par jour. Une autre particularité de nos immeubles est qu’ils sont construits en bois, un matériau plus léger que le béton, qui permet de faire des fondations moins profondes pour leur ancrage au sol. La chape qui va recevoir les différents éléments de l’immeuble est faite à partir de billes de verre réutilisables ce qui nous permet d’utiliser peu de béton car celui-ci n’est pas réutilisable. Sur cette chape viennent des plots en bois pour accueillir les murs extérieurs. Les cloisons intérieures, elles, sont en OSB aggloméré sans formaldéhyde (substance chimique que l’on trouve dans la colle utilisée pour la fabrication de certains produits de bois composite, ndlr) qui peut entraîner des cancers. Pour tous nos choix de matériaux, nous faisons en effet très attention à ne pas utiliser de produits dangereux pour la santé humaine.
Quel est votre modèle économique?
Êtes-vous promoteur immobilier ? Nous ne sommes pas promoteurs au sens traditionnel du terme. Mais nous cherchons des terrains et nous construisons des immeubles. Les logements que nous construisons respectent les principes de l’économie circulaire. Bien sûr, nous ne sommes plus les seuls à proposer ce type de constructions mais nous sommes les seuls acteurs privés à proposer uniquement des logements abordables circulaires. Habituellement dans le logement social, le delta entre le prix du marché et celui effectivement demandé aux locataires est couvert par des subventions publiques. Pour nos logements ce n’est pas le cas, mais nous réussissons à être 25% en dessous du prix du marché. Pour cela, nous gérons notre marge et nous construisons sur des terrains en emphytéose. Cela nous empêche de réaliser des plus-values sur le fonds mais nous permet d’accéder à des terrains communaux car les communes sont réticentes à vendre des terrains en dehors de ce schéma. Dans notre recherche de maîtrise des coûts, nous ne prévoyons pas de parties communes. La cage d’escalier est extérieure et les appartements desservis par une coursive. Ainsi, ce sont des espaces qu’il n’est pas nécessaire de chauffer. Nous limitons la hauteur des bâtiments à 2 étages en plus du rez-de-chaussée. Ainsi, il n’est pas nécessaire de prévoir un ascenseur. Nous ne gardons pas les biens une fois construits. L’immeuble de Wiltz a d’abord été pris en location par l’Agence Immobilière Sociale qui est une fondation pour le logement subsidiée par le ministère du Logement, celui de la Famille et la Ville de Luxembourg. Dans un second temps, ils en sont devenus propriétaires.
Quelles cibles visez-vous en termes d’investisseurs et en termes d’utilisateurs?
La crise du logement est réelle au Luxembourg. Il y a une situation de fracture entre ceux qui peuvent se loger et ceux qui ne peuvent même pas en rêver. Et ce n’est même plus une question de classe sociale. La plupart des jeunes sont concernés par la difficulté à se loger et les classes moyennes également, même en acceptant des trajets domicile-travail de plus en plus longs. C’est la raison pour laquelle nous voulons apporter notre contribution en concevant des logements abordables. Cela met nos marges sous pression et nous oblige à trouver des façons de bâtir innovantes. Du côté des investisseurs, nous ne nous adressons pas à ceux qui recherchent un rendement maximum mais plutôt à ceux qui souhaitent investir dans un projet ayant une portée sociale, en contrepartie d’un rendement correct tournant autour de 3 à 4%. En termes d’utilisateurs, la demande est infinie. Comme nous sommes un opérateur privé, nous recherchons des locataires solvables. Notre partenariat avec les Agences immobilières sociales nous permet de leur déléguer le côté « social» (sélection des familles bénéficiaires, suivi des occupants par des assistants sociaux…) et certains aspects techniques, l’agence prenant en charge la gérance et l’entretien du bâtiment. Cette fondation a pour objectif principal de réinsérer dans la société des personnes vulnérables en leur procurant un toit et d’assurer un logement décent aux personnes à faibles revenus. Un exemple de public visé peut être une personne seule, avec enfants, qui a dû quitter son foyer et n’a pas de revenu suffisant pour se loger sur le marché classique. Nos immeubles sont intéressants car ils sont neufs et en parfait état, ce qui n’est pas toujours le cas des biens proposés par les agences sociales qui sont souvent vétustes et énergivores car anciens. Nos biens sont au contraire autonomes d’un point de vue énergétique, c’est-à-dire qu’ils produisent en moyenne sur l’année, l’équivalent de leur consommation, grâce à une installation photovoltaïque. En cette période d’énergie chère, la question est socialement encore plus aiguë.
Quelles sont les principales difficultés de votre modèle? Les freins que vous rencontrez?
La première difficulté concerne l’accès au foncier. La complexité vient du fait que pour convertir des terrains agricoles en terrains constructibles, les communes doivent modifier leur PAG (Plan d’Aménagement Général). Nous visons les régions où la demande de logements est la plus pressante, soit dans le sud et l’ouest du pays. Nos projets en cours sont situés à Differdange, Esch-surAlzette et Rambrouch. Heureusement, pour diversifier leur offre de logements, les communes se montrent de plus en plus intéressées. Mais obtenir les permis est un processus assez long. Il y a une vraie lourdeur administrative, qui n’est pas spécifique au Luxembourg mais qui est étonnante dans un pays qui se veut pragmatique. Par exemple, certaines communes exigent la présence d'un parking dans les résidences alors que nous préférons consacrer les mètres carrés à de la surface habitable, les occupants de logements abordables disposant rarement d‘un véhicule privé. Il faudrait un aménagement législatif national pour simplifier les procédures et les accélérer pour les logements sociaux et abordables. La deuxième difficulté est d’offrir de la qualité à un prix inférieur au prix du marché. Pour nous la circularité, qui a bien sûr un coût, fait partie de la qualité. Les agences immobilières sociales apprécient également cette caractéristique mais les utilisateurs finaux, les locataires, n’ont pas toujours conscience que les matériaux choisis sont bons pour leur santé et le mode de construction bon pour la planète. La troisième difficulté est liée au fait que nous ne pouvons pas dupliquer purement et simplement le modèle de notre première résidence. Chaque commune ayant des exigences différentes et chaque terrain ayant sa spécificité, nous sommes obligés d’adapter les plans et donc nous réalisons moins d’économies d’échelle que ce que nous avions escompté.
A contrario, quelles sont les opportunités offertes par le Luxembourg?
Les principes de l’économie circulaire commencent à être connus et reconnus comme bénéfiques. Les communes sont donc de plus en plus faciles à convaincre. Nous avons le sentiment d’avoir passé un cap. Par exemple, le fonds Kirchberg ne veut plus sur son territoire que des nouvelles constructions respectant les principes circulaires. Les notions de logement abordable et de mixité sociale font aussi leur chemin et deviennent des objectifs de plus en plus recherchés. Les grands opérateurs prennent le virage. L’écosystème dans son ensemble est donc favorable et nous ouvre des perspectives.
Votre modèle serait-il adaptable à des maisons individuelles bâties sur de petits terrains ?
Il est tout à fait possible de proposer de la construction circulaire pour des logements individuels. D’ailleurs, notre sous-traitant réalise une partie de son activité avec ce type de projets. Mais nous ne souhaitons pas aller vers le logement individuel. Pour limiter la consommation d’énergie, la massification est préférable, que ce soit au moment de la construction ou au moment de l’occupation. Dans un immeuble collectif, les différents logements se chauffent les uns les autres et cela fait réaliser des économies à tout le monde. Proposer du logement individuel est un autre métier. Les personnes qui souhaitent acheter une maison veulent en général choisir tous les équipements et matériaux, ce qui est incompatible avec notre modèle et si nous voulions proposer des maisons individuelles en locatif, nous aurions du mal à rester dans l’abordable. C’est le fait d’être sur un modèle collectif qui permet de maîtriser les coûts.
Quelles sont vos perspectives d’avenir?
Les prochains mois vont être assez denses avec nos trois projets en cours. Nous continuons à chercher des solutions innovantes pour toujours plus de circularité. Nous y travaillons avec nos fournisseurs. Notre but étant de transitionner vers un modèle où l’on prend en leasing la plupart des matériaux et équipements composant nos résidences, par exemple les ampoules. Nous ne voulons plus acheter les produits mais leur utilisation. Nous estimons que c’est aussi un bon moyen de lutter contre l’obsolescence programmée. Les fabricants n’auront plus intérêt à y avoir recours s’ils restent propriétaires du matériel et responsables de son maintien en état de marche. Nous avons voulu faire de même avec l’électroménager mais les fournisseurs ne sont pas prêts, entre autres sur le plan juridique. Nous avons donc négocié une garantie prolongée et un contrat de reprise. Dans cette même logique, Contern, notre fournisseur de pavés, s’est engagé à les reprendre en fin de cycle. C’est ce genre de partenariats innovants que nous voulons développer. Cependant, pour encourager la construction circulaire, il y a encore des problèmes législatifs à régler. La garantie décennale par exemple ne peut pas être accordée à un bâtiment construit avec du matériel non neuf, ce qui entrave la réutilisation de matériaux d’occasion en parfait état.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre expérience de mentor ?
Je suis engagé en tant que mentor auprès de l’Association Progrès du management (APM), organisme international francophone et auprès de Business mentoring, association luxembourgeoise. J’estime très important qu’un chef d’entreprise ou un entrepreneur puisse se faire accompagner et éviter ainsi la solitude du dirigeant. Un entrepreneur est un metteur en scène qui ne peut pas s’ouvrir de ses doutes à ses acteurs. Pour cela, il a parfois besoin d’un regard extérieur bienveillant qui peut l’aider à appréhender différemment certains problèmes ou problématiques. Dans le mentoring, c’est l’expérience qui parle et c’est très riche pour les deux parties. C’est notamment gratifiant pour le mentor qui voit évoluer l’entreprise du mentoré. À aucun moment on ne se substitue au chef d’entreprise. C’est lui qui prend les décisions et nous n’entrons pas dans l’opérationnel. On peut montrer des pistes mais le mentoré doit trouver ses propres solutions.
Que veut dire être chef d’entreprise aujourd’hui, avec toutes les crises qui s’enchaînent ?
Les crises ont au moins un mérite: elles obligent les entreprises à se repositionner en prévision de l’avenir. Souvent, les changements stratégiques importants ont lieu pendant une période de turbulences. La crise est à voir comme une correction inévitable. La hausse actuelle des taux d’intérêt, par exemple est une correction des taux négatifs et de l’argent facile que nous avons connus précédemment. L’entreprise qui reposait sur ce modèle va souffrir et peut être même disparaître. Ce qui est fâcheux, ce sont les dégâts économiques et sociaux que les crises entraînent mais aucun chef d’entreprise ne peut faire abstraction du risque de crise. En période plus calme, on peut avoir tendance à baisser la garde. Au contraire, la crise vous force à vous défendre et à chercher des solutions. L’idéal est de rester vigilant dans les périodes de noncrise pour être prêt à traverser les crises. Pour cela l’innovation est fondamentale. La crise est le moment pour se recentrer sur son core business et les points forts de l’entreprise, ce qu’elle fait le mieux.
Plus d'information : www.heliosmart.com
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude/Focalize et HelioSmart (1, 3, 5, 8, 9 et 10)