Harlequin Floors dont les revêtements de sol techniques équipent des salles de danse et de spectacle dans le monde entier est sans conteste une success story… L’histoire a commencé en Angleterre il y a un peu plus de 40 ans et s’est accélérée il y a tout juste 30 ans, lorsque Harlequin Floors a installé son siège européen au Luxembourg. Pour nous en parler, nous avons rencontré la directrice générale Europe de cette marque adorée des danseurs. Chantal Lagniau a intégré l’entreprise en 1993, au moment de l’ouverture du bureau luxembourgeois et depuis, sa passion pour l’entreprise et ses produits n’a fait que grandir au fil des années. Il faut dire que l’histoire d’Harlequin Floors est jalonnée de succès, d’innovations et même d’anecdotes. Par exemple, un revêtement Harlequin a servi à feindre un passage piéton dans une série anglaise de télévision, à un endroit où il n’était pas question de peindre la chaussée et le revêtement Harlequin Hi-Shine Silver a recouvert une rue entière de Leuven (Belgique) dans le cadre d’une installation artistique en 2018…
Quelle est l’histoire de l’entreprise?
À la fin des années 1970, Robert Dagger, le fondateur de l’entreprise travaillait chez Marley Floors, un fabricant anglais de sols en PVC. Cette entreprise avait été sollicitée par le Royal Ballet de Londres qui recherchait un revêtement à installer, pour protéger les danseurs des sols parfois inégaux des scènes en bois brut de l’époque. En effet, en plus des risques d’échardes, les inégalités entre deux planches du sol pouvaient provoquer des chutes et il n’existait rien à ce moment-là pour éviter ces situations. Le tapis de danse Marley est ainsi né. Monsieur Dagger a ensuite eu l’idée de créer sa propre entreprise au nom d’Harlequin pour développer une gamme de planchers amortissants et de tapis de danse avec la bonne adhérence et de démarcher les autres compagnies de ballet du monde. Petit à petit, avec l’aide des danseurs eux-mêmes et des directeurs techniques de différentes salles de spectacle, il a imaginé toute une gamme de produits pour répondre à tous types de besoins. L’affaire s’est ainsi développée au gré des besoins et demandes de différents clients prestigieux. Dans les années 1980 l’entreprise a connu un nouvel essor important grâce au marché américain où les débouchés étaient nombreux, pour de grandes surfaces. Robert Dagger y a ouvert un bureau, près de Philadelphie, qui équipe tous les ballets, les compagnies et les écoles de danse.
Quand le siège européen de l’entreprise a-t-il été installé au Luxembourg?
Le bureau du Luxembourg a ouvert le 1er février 1993, il y a donc tout juste 30 ans! À ce moment-là, Harlequin Floors recevait de plus en plus de commandes de France et d’Allemagne. Continuer à gérer celles-ci depuis la Grande-Bretagne n’était pas possible, mais ouvrir deux bureaux, un pour chacun de ces nouveaux marchés, aurait été trop coûteux. Il a donc été décidé d’ouvrir un bureau unique, au Luxembourg, pays qui présente l’avantage d’être à la fois francophone et germanophone. C’est aussi à ce moment-là que ma propre histoire avec l’entreprise démarre. Je travaillais comme traductrice pour la Commission européenne sans vraiment me plaire dans ce que je faisais. Mon père m’avait toujours dit que j’étais faite pour le commerce. Il avait raison. J’ai vu l’annonce publiée dans le Wort par Harlequin Floors. Bien que noyée dans les annonces pour des emplois dans le secteur financier, elle 02 01 04 05 03 a attiré mon attention, grâce à son logo représentant un Arlequin en couleur. La société cherchait une assistante commerciale parlant français, anglais et allemand. C’était mon cas. J’ai décroché un entretien avec Robert Dagger. Ce rendez-vous s’est révélé passionnant et, 30 ans après avoir obtenu ce poste, je suis moimême toujours autant passionnée.
Quelles sont les activités de l’entreprise au Luxembourg?
Alors que la R&D, la production et le marketing sont basés en Angleterre, c’est depuis Luxembourg que nous pilotons l’activité commerciale vers l’Europe entière, découpée en quatre zones: la France, le Benelux et la Scandinavie, les pays de l’est, Russie comprise et enfin les pays d’Europe du Sud. La France représente à elle seule un marché très important où la danse fait partie du patrimoine culturel. Elle s’y est développée au siècle des lumières. Elle a connu ensuite un essor très important à la fin du 19e siècle grâce au danseur, chorégraphe et maître de ballet, Marius Petipa. C’est lui qui a exporté l’art du ballet en Russie, y ayant été appelé comme premier danseur en 1846. La France est aussi le seul pays où le ministère de la Culture comprend un département dédié à la danse. Nos trois marchés principaux en Europe sont donc la France, la Russie et l’Angleterre où la Royal Academy of Dance (RAD) a développé un curriculum (une méthode d’enseignement, ndlr) reconnu dans le monde entier comme l’un des meilleurs et dont l’un des critères pour qu’une école de danse puisse être agréée est de disposer de sols Harlequin Floors! Outre le rôle commercial, le bureau luxembourgeois se compose d’une équipe administrative et de deux poseurs-menuisiers qui font à eux deux, deux chantiers par semaine dans l’Europe entière, aidés sur place par des intérimaires locaux. Quand un commercial décroche un marché, il organise le chantier de pose et l‘embauche de l’équipe sur place.
Quelle part la danse représente-t-elle encore dans votre activité?
La danse reste notre core business et représente encore environ 90% de notre chiffre d’affaires. Nos produits sont d’ailleurs conçus pour ce marché qui est notre spécialité. Les ballets nationaux en résidence dans les opéras du monde entier sont tous clients chez nous. Ils adorent nos produits car nous avons vraiment solutionné la problématique des sols trop durs et inégaux sur lesquels les danseurs pouvaient se blesser, parfois irrémédiablement. Il y a une grande reconnaissance du secteur de la danse pour ce que nous avons apporté. Nous entretenons cette proximité avec le milieu de la danse en rencontrant les directeurs artistiques et techniques des compagnies de danse, au moins une fois par an. C’est avec eux et pour eux que nous développons la gamme de nos produits.
Quels autres secteurs font appel à vos produits?
Sans que nous ayons fait quoi que ce soit pour cela, des clients extérieurs au monde de la danse se sont intéressés à nos produits car nous proposons une gamme très étendue de finitions et de coloris pour les tapis de sol. Par exemple, les grandes maisons de luxe se sont adressées à nous pour les catwalks de leurs défilés de mode, les largeurs de lé de nos revêtements de sol étant parfaites pour cette utilisation. Nous avons fait une percée dans l’événementiel pour les concerts, les salons, notamment ceux de l’automobile car nos références brillantes mettent très bien les véhicules en valeur. Dernièrement, Rihanna a commandé via notre bureau américain, un sol Hi-Shine Silver pour son concert de mitemps du Super Bowl. De nombreuses productions télévisuelles font également appel à nous. Comme notre gamme de coloris est très étendue et que l’on peut même proposer des impressions sur mesure, nos revêtements sont effectivement idéaux pour concevoir des décors de spectacles, de comédies musicales, d’émissions…
Avez-vous des clients au Luxembourg ?
Oui bien sûr. Nous fournissons le Grand Théâtre, le Conservatoire de Luxembourg, l’Escher Theater qui propose de nombreux spectacles de danse, et également des écoles de danse. Nous avons même eu l’occasion de concevoir un plancher tournant pour les Rotondes. Cependant, nous regrettons un peu qu’il n’y ait plus de ballet national au Luxembourg, comme c’était le cas par le passé.
Où rencontrez-vous vos prospects ?
Principalement sur les salons. Il en existe de trois types. Les salons artistiques comme le Dazainfiera qui a lieu à Florence tous les ans fin février et qui rassemble les institutions de formation, les commerciaux du secteur ainsi que les partenaires médiatiques; les salons techniques comme les Journées Techniques du Spectacle et de l’Événement (JTSE) qui ont lieux chaque mois de novembre à Paris pour les directeurs techniques des théâtres de France et d’Europe; et enfin les salons du secteur événementiel et MICE comme l’Heavent Meetings de Cannes qui a lieu fin mars et qui est grandiose car tous les prestataires de l’événementiel y montrent leur savoir-faire et y rivalisent d’excellence. Outre les salons, nos commerciaux sont régulièrement conviés à des visites de salles et de lieux, aux premières des spectacles, aux concours de danse. Nous sommes sponsors du Prix de Lausanne, un concours de très haut niveau, qui existe depuis 50 ans, où s’affrontent les jeunes danseurs (15 à 18 ans) les plus prometteurs du monde entier. Les gagnants remportent une bourse pour aller étudier un an dans une académie de leur choix, parmi les plus prestigieuses du monde. Cette année, nous avons subventionné le déplacement d’un jeune américain. Par ce genre de mécénat, nous affirmons notre appartenance à la grande famille de la danse. Nous sommes très sollicités pour des sponsorings. Nous sommes obligés de faire des choix et nous participons essentiellement sous forme de dons de produits. À la fin de chaque semaine, nous relayons sur les réseaux sociaux, avec de belles photos, les événements que nous avons accompagnés: comédies musicales, émissions…
Comment créez-vous de nouveaux produits ?
Pour innover, rencontrer les clients est la clé. Nous passons beaucoup de temps avec eux. Ils nous soumettent spontanément leurs problématiques. Nous les remontons en réunion de direction, les commerciaux d’autres régions interrogent à leur tour leurs clients et, si nous percevons un bon potentiel, les ingénieurs du service R&D développent un produit. Dans la catégorie des tapis, notre dernier né a été développé pour le hip-hop qui est en plein boum et qui va faire son entrée parmi les disciplines olympiques dès les jeux de Paris en 2024. Les battles se dérouleront sur la place de la Concorde! Dans la catégorie des planchers, notre dernière création, le Liberty Switch est une réponse à la difficulté à laquelle sont confrontés les directeurs techniques de théâtre qui doivent sans cesse démonter et remonter des scènes ou des salles en fonction du type de spectacle ou répétition. Nous avons donc équipé ce plancher d’une technique innovante, activable de façon télécommandée, qui rigidifie les planchers pour les spectacles de théâtre ou d’opéra, et qui libère les amortisseurs pour les spectacles de danse. Cela se fait en quelques minutes seulement. Bien entendu, équiper une salle de cette technologie représente un coût élevé mais cela permet aussi de réaliser des économies substantielles en main-d’œuvre et en matériel. Le Liberty Switch a été installé dans une des salles de répétition de l’Opéra de Vienne. Cette première installation sert de démonstration pour les autres clients intéressés. Pour répondre à certains appels d’offres, nous nous associons à d’autres sociétés pour réfléchir ensemble aux meilleures solutions. Cela nous fait progresser. Nous travaillons aussi régulièrement avec des médecins spécialistes des lésions chez les danseurs. Bref, l’innovation est toujours un travail d’équipe. Nous lançons un nouveau produit tous les deux ans environ, en fonction des besoins des clients.
Comment est la concurrence dans votre domaine d’activité ?
Nous avons parfois été copiés dans certains pays mais, comme nous sommes sur un marché de niche, si l’activité n’est pas mondiale, elle ne peut pas être rentable. Les quantités concernées pour chaque pays ne sont pas suffisantes pour alimenter un business. Ce qui fait notre force est notre présence mondiale et notre production européenne avec des productions sous licence et des contrats qui nous protègent.
Quelle est la durée de vie moyenne d’un tapis ou d’un plancher ?
La durée de vie du matériel dépend de son utilisation. Pour une utilisation intensive, à raison de 8 heures par jour, la durée moyenne est de 10 ans. Nous garantissons pendant 10 ans les sols que nous avons posés nous-mêmes et pendant 5 ans ceux dont la pose est effectuée par d’autres. Les grands ballets tiennent beaucoup à avoir notre garantie, quitte à payer un peu plus cher l’installation. Nous assurons aussi la réparation des éléments que nous avons posés. Nous pouvons remplacer un lé ou deux de tapis par exemple. Les planchers quant à eux souffrent d’être fréquemment démontés et remontés, mais il est toujours possible de racheter un panneau. Quand les tapis en PVC sont en fin de vie, nous les récupérons, les broyons et nous recyclons cette matière pour fabriquer la sous-couche de nouveaux tapis. Depuis une bonne dizaine d’années, nous pratiquons ainsi l’économie circulaire. Nos clients appartiennent au monde artistique qui est très sensible au respect de l’environnement. Le bois de nos planchers n’est pas massif, il s’agit de contreplaqué de bouleaux issus de forêts durables. Ce matériau permet d’obtenir des sols plus souples, dont la matière est également récupérable en fin de vie.
Est-ce que la hausse des prix des matières premières et de l’énergie impacte votre activité ?
Oui, car le PVC qui sert à la fabrication des tapis est un dérivé direct du pétrole. Or, il n’existe pas de matière alternative pour l’instant. Quant au bois composite de nos planchers, il vient de pays du nord de l’Europe qui font face à une forte augmentation de la demande car des clients qui se fournissaient autrefois auprès de la Russie se sont tournés vers eux. Cela crée également de la tension sur les prix. Pour ces raisons, nous avons été obligés de réviser nos tarifs plusieurs fois ces deux dernières années.
Avant cette crise des matières premières, comment aviez-vous traversé la crise sanitaire ?
Nous avons eu très peur car le monde du spectacle s’est brusquement arrêté. Notre chance a été que les salles de spectacle ont profi té de cette pause pour procéder aux rénovations nécessaires car le secteur de la construction est un des rares qui avait encore le droit de fonctionner. Nos deux techniciens-poseurs ont donc continué à travailler alors que le reste de l’équipe était au chômage partiel. Le petit chiffre d’affaires réalisé à cette période couplé aux aides accordées par le gouvernement, nous ont permis de survivre. Par contre, quand les spectacles et le tourisme culturel ont commencé à reprendre, nous avons assisté à une véritable ruée sur nos produits. L’année 2022 a été notre meilleure année de toute l’histoire de l’entreprise.
Vous avez récemment lancé un e-shop pour le marché français. Êtes-vous satisfaite de son démarrage ?
Il y avait déjà une boutique en ligne pour servir le Royaume-Uni et une autre pour les États-Unis. Le e-shop français est encore trop récent pour juger son succès. Nous y vendons notamment des produits d’entretien pour les sols ou les bandes adhésives pour leur pose et les tapis de danse qui nécessitent peu de conseils. Les vendre sur internet est assez pratique pour les clients vus qu’il s’agit de consommables. Cela fait gagner du temps à nos commerciaux également. Le stock principal de ces produits était situé en Angleterre mais, à cause du Brexit les livraisons depuis ce site sont devenues très compliquées. Nous avons donc investi dans un entrepôt de 3.500 m2 à Harzé, près de Liège, pour desservir toute l’Europe.
Quelles sont vos perspectives pour l’avenir et vos nouveaux projets ?
Nous avons été contactés par plusieurs directeurs techniques de compagnies de danse qui font le constat d’une explosion des coûts de transport de leur matériel lors des tournées. Ils nous ont donc demandé de développer un plancher qui soit à la fois résistant et léger. Il s’agira sans doute de notre prochaine innovation. Par ailleurs, nous avons eu l’immense et heureuse surprise d’être contactés par l’Opéra de Lviv (Ukraine) dans le cadre de sa rénovation.
Et aujourd’hui quels sont les dossiers sur votre bureau ?
Je dois fi naliser l’embauche d’une assistante qui aidera les commerciaux à coordonner les chantiers. Je dois aussi contacter un danseur italien de hip-hop qui va animer notre stand tous les après-midi sur le salon Danzainfi era la semaine prochaine à Florence (interview réalisée le 16 février 2023, ndlr). Enfi n j’ai une réunion à propos des produits, avec l’équipe de Londres, en fin d’après-midi.
Plus d'information : https://euro.harlequinfloors.com/fr
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Laurent Antonelli/ Agence Blitz, Harlequin Floors (07, 08), Lars Kroon (06), Olivier Houeix (09) et Givenchy (10)