Sandrine Pingeon exerce une activité rare au Luxembourg, le maraîchage. Elle cultive environ 300 variétés de légumes, fruits, herbes et fleurs et complète son assortiment avec des marchandises venant de producteurs locaux. Tous les mardis et vendredis, c’est jour de marché chez Sandrine, mais il est aussi possible de s’abonner à ses paniers, comme le font déjà 220 familles.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer cette activité ?
En fait je ne fais pas du tout le métier que j’avais prévu. Je rêvais d’exercer une activité qui me laisse du temps libre ! Mes parents étaient agriculteurs. J’avais expérimenté auprès d’eux les contraintes que ce métier implique et je m’étais dit : « Jamais pour moi ! ». J’ai une formation de jardinier-paysagiste et j’ai travaillé pendant 13 ans chez Co-labor où j’ai été amenée à gérer l’activité de production de légumes et de composition de paniers sur mesure Gréng Kuerf. J’y ai introduit le panier « imposé » en fonction des récoltes, ce qui a beaucoup simplifié la gestion et amélioré la rentabilité du modèle. Cette activité est montée en puissance jusqu’à avoir 400 clients réguliers. Mon compagnon, qui est agriculteur, m’a alors suggéré de faire la même chose à mon compte. J’ai eu besoin de 5 ans de réflexion avant de me lancer, il y a 6 ans. Au départ je ne pensais pas produire moi-même. Je voulais acheter des produits et composer des paniers pour les vendre. Mais mes origines agricoles m’ont rattrapée et finalement je fais pousser mes propres produits.
Quand vous regardez en arrière, y-a-t-il des choses que vous regrettez ou que vous feriez autrement ?
En fait non, mon parcours, ainsi que l’exemple de mes parents qui m’a appris le goût de l’effort, m’aide encore tous les jours. Mon activité est plus qu’un projet, c’est une véritable aventure pour laquelle je me sens armée grâce à mes expériences passées. Aujourd’hui des opportunités se présentent spontanément et je peux continuer à avancer.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées malgré tout ?
J’ai rencontré mes principales difficultés au démarrage de mon activité car les banques ne voulaient pas parier sur le maraîchage. Je ne savais pas non plus très bien où trouver de l’information sur les aides possibles, qui pouvait m’aider et en quoi. J’ai donc démarré modestement, avec peu de moyens. Il y a deux ans, j’ai obtenu la caution d’un prêt par la Mutualité de Cautionnement (MC), qui m’a bien aidée pour l’achat d’un tracteur. J’ai regretté de ne pas avoir eu recours à ce type d’aides plus tôt.
Aujourd'hui ma difficulté est de gérer la croissance tout en maîtrisant son rythme et en ne me laissant pas complètement happer par le travail administratif car ce n’est vraiment pas ce que je préfère ! Il faudrait que je trouve les moyens de faire davantage de marketing. Mais le manque de temps est une constante en agriculture. Quand la nature vous réclame il faut y aller. Le reste passe après. Y compris malheureusement parfois la famille.
Evidemment, comme tous les cultivateurs, je suis très tributaire des caprices de la météo. En ce moment par exemple, les plantations ont trois semaines de retard. Heureusement que le terrain nous appartient- je n’ai pas payé de loyers au début - et que je peux compter sur l’aide de la famille en cas de besoin. Sinon, certaines périodes seraient très compliquées car les revenus sont toujours incertains. Ce n’est pas un hasard s’il y a si peu de maraîchers au Luxembourg. Le manque de terrains abordables et la spéculation foncière empêchent le développement de cette activité.
Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans votre métier ?
En fait je cultive une passion pour les légumes et je suis fascinée par la richesse des variétés. Devant un catalogue de graines je suis comme un enfant devant un catalogue de jouets. J’ai envie de tout ! Le fait d’être indépendante me donne la liberté de faire des essais avec un nombre important de variétés. Et je constate avec plaisir que je partage cette passion avec beaucoup de clients, notamment quelques grands chefs cuisiniers.
De quoi êtes-vous la plus fière ?
Je suis fière de l’enthousiasme de mon équipe. Je me sens portée par ça. Depuis le début de l’activité, j’ai embauché en moyenne une personne par an. Maintenant il y a cinq personnes à temps plein et trois à mi-temps (sans compter l’aide ponctuelle de la famille, NDLR). Beaucoup étaient au chômage et ont été recrutés à la suite d’une candidature spontanée. Je suis fière que chacun ait pu trouver sa place, sans nécessairement avoir toutes les qualifications au départ. Ils représentent une belle diversité qui donne une dimension sociale à l’entreprise.
Vous avez arrêté la production en bio certifiés. Pourquoi ?
L’une de mes activités, l’aquaponie (système qui unit la culture de plantes et l'élevage de poissons NDLR) n’est pas encore certifiable en bio en Europe. Par ailleurs, je trouve que le bio actuel a perdu ce qui faisait son authenticité il y a trente ans. Pour moi, il ne faut pas seulement regarder si les produits sont sains pour la santé des consommateurs. Cet aspect est primordial mais l’empreinte écologique est également capitale. Or le bio a remporté un tel succès qu’il est aujourd’hui quasi-industrialisé, avec des méthodes parfois discutables. Je donne toujours l’exemple des tomates bio espagnoles, produites à longueur d’année sous des serres en plastique ! Je ne produis donc plus en bio certifié mais je fais de la production raisonnée, à petite échelle, avec des variétés de saison et qui correspondent à notre climat. Je refuse aussi d’avoir recours à certaines graines hybrides qui promettent un rendement exceptionnel. D’une certaine façon mes pratiques sont encore plus bio que le bio.
Quelles sont les perspectives d’avenir de votre entreprise ?
J’ai beaucoup de projets. Je voudrais tout d’abord développer l’aquaponie, avec l’aide du responsable de la pisciculture qui n’est autre que mon compagnon. Suite à un reportage vu à la télévision, nous nous sommes intéressés à ce mode de production que je trouvais fascinant, mais j’avais peur que les légumes produits ainsi aient moins de goût que ceux élevés en pleine terre. J’ai donc fait un test et j’ai découvert que ces légumes étaient tout aussi bons que les autres. Puis je trouve aussi séduisante l’idée de produire du poisson luxembourgeois dans un pays sans mer. Nous élevons de la perche rose et nous estimons le potentiel de production à 25 tonnes par an. Avant de nous lancer nous devons donc trouver des débouchés. Nous sommes en discussion avec la Provençale et avec des sociétés de restauration collective.
Parmi mes autres idées il y a l’aménagement d’un espace dégustation sur l’exploitation, où je pourrais accueillir des groupes pour des ateliers découverte. Enfin, je dois absolument finaliser mon site internet qui est embryonnaire actuellement. Je sais exactement ce que je souhaite y mettre mais je manque de temps, malgré mes dix heures quotidiennes de travail.
Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude / Focalize