Avis de la Chambre de Commerce
La Chambre de Commerce vient d'aviser le projet de loi ayant pour objet d'adapter les taux du salaire social minimum à l'évolution du salaire réel moyen observé pendant les années 2012 et 2013. L'ajustement du SSM serait égal à +0,1% et cette hausse entrerait rétroactivement en vigueur le 1er janvier 2015.
La Chambre de Commerce ne s'oppose pas dans son avis à cette augmentation d'ampleur limitée du SSM. Cependant, pour les adaptations futures, elle plaide pour une modification du processus de fixation du SSM, sur base des considérations suivantes :
- Abolir le caractère automatique du relèvement
La Chambre de Commerce regrette tout d'abord que l'adaptation du SSM continue à s'effectuer de manière automatique et donc déconnectée des réalités économiques. La hausse, certes limitée, prévue dans le projet de loi vient s'ajouter à une augmentation cumulée totale du SSM de quelque 57% de juillet 2000 à octobre 2013, corrélative à ces deux automatismes que constituent l'adaptation " réelle " du SSM et l'échelle mobile des salaires (indexation). De concert avec le décrochage manifeste de la productivité apparente du travail, ces automatismes ont ces dernières années donné lieu à une forte progression des coûts salariaux unitaires du Luxembourg, qui a dès lors subi une dégradation marquée de sa compétitivité-coût par rapport à ses principaux concurrents commerciaux.
Le Rapport 2015 sur le mécanisme d'alerte de la Commission européenne, qui constitue l'une des pièces angulaires du Semestre européen, met d'ailleurs clairement en exergue ce talon d'Achille traditionnel du Luxembourg que constitue le dérapage de nos coûts salariaux unitaires. Ces derniers ont augmenté de quelque 10,5% en trois ans selon la Commission, soit le pire résultat de la zone euro.
- Limiter l'effet du " piège à l'embauche " pour les résidents
Le niveau du SSM de base est particulièrement élevé au Luxembourg en comparaison internationale. Le SSM brut au Luxembourg est selon Eurostat le plus élevé d'Europe, même en parités de pouvoir d'achat. En janvier 2013, le salaire minimum luxembourgeois corrigé de la sorte était en effet égal au double de la moyenne arithmétique correspondante des pays de l'Union européenne où un tel salaire existe.
Le niveau déjà élevé du SSM actuel pose d'importants problèmes, notamment en termes d'employabilité des personnes résidentes peu qualifiées. L'augmentation du coût de la main-d'œuvre la moins qualifiée liée à l'automatisme du processus de refixation luxembourgeois n'incite pas les entreprises à embaucher ces personnes, mais plutôt à recourir à des travailleurs plus qualifiés en provenance de la Grande Région. Dès lors, le relèvement du SSM présent et futur risque d'aggraver les difficultés éprouvées par les résidents peu ou pas qualifiés lors de la recherche d'un emploi.
Dans la mesure où bon nombre de personnes insuffisamment qualifiées présentent d'ores et déjà une productivité inférieure au salaire social minimum, toute augmentation du niveau du SSM aura pour conséquence d'accroître le nombre de chômeurs, de fragiliser davantage la cohésion sociale et de porter préjudice à un objectif politique ultime, visant tant le plein emploi et la cohésion sociale qu'une intégration harmonieuse au marché du travail des personnes peu ou pas qualifiées.
Cette situation est encore aggravée par l'importance de la population couverte par le SSM, cette proportion tendant en outre à croître au fil du temps. Pour rappel, la proportion des salariés touchant le SSM ou se situant à son voisinage est en effet passée de 15,2% en 2009 à 16,5% en 2014, soulignant de la sorte un grave dysfonctionnement du marché du travail luxembourgeois. En raison du niveau élevé du SSM, un nombre croissant de salariés peu ou pas qualifiés tendent par ailleurs à être " rattrapés " par le salaire minimum. Pourtant, il est évident pour l'ensemble des acteurs économiques qu'il n'est jamais positif que les mécanismes de marché ne jouent que sur une portion réduite de l'emploi.
La Chambre de Commerce espère en tout cas que les automaticités caractérisant l'adaptation du SSM ne viendront pas miner le " Partenariat pour l'emploi " signé le 14 janvier 2015 par le Gouvernement et l'UEL, qui vise à augmenter le nombre de demandeurs d'emplois recrutés par les entreprises via l'ADEM de quelque 5 000 unités sur trois ans.
- Eviter tout amalgame entre le relèvement du SSM et le niveau élevé du coût du logement
Le coût du logement est notoirement élevé au Luxembourg et il tend à croître de manière soutenue, ce qui pénalise particulièrement les titulaires de petits revenus. Il serait tentant de justifier sur cette base le niveau du SSM et les relèvements successifs de ce dernier. Un tel raisonnement est cependant tout à fait spécieux, car il importe de dissocier la fixation du SSM, dont la formation doit normalement s'opérer sur le marché du travail, des problèmes d'accès financier au logement qui relèvent de déterminants tout à fait distinct. Les prix immobiliers et les coûts associés résultent en effet de la confrontation de l'offre et de la demande de biens immobiliers. Or la demande sur le marché immobilier luxembourgeois est structurellement bien plus dynamique que l'offre. Ce problème ne pourra être résolu qu'en supprimant ou en allégeant les entraves réglementaires ou fiscales à l'offre de logements, tout en mettant fin à une politique de subsidiation massive de la demande immobilière s'opérant par le truchement de multiples dépenses fiscales et bonifications. Le SSM ne peut constituer la variable d'ajustement d'un marché immobilier en déséquilibre récurrent.
- Eliminer l'insécurité juridique découlant de l'arrêt dit " Winter "
La Chambre de Commerce tient par ailleurs à attirer l'attention sur l'arrêt de la Cour d'appel du 27 juin 2013, dit arrêt " Winter ". Cet arrêt, rendu dans un cas particulier, se rapporte à la valorisation de l'expérience professionnelle en vue de l'obtention du salaire social minimum pour salarié qualifié. Pour rappel, ce dernier est de quelque 20% supérieur au SSM de base.
Afin de prétendre au SSM pour salarié qualifié, il convient de disposer des qualifications et certificats requis par la loi. La législation prévoit toutefois, sous certaines conditions (notamment celle d'avoir au moins dix ans d'expérience), des possibilités de valoriser l'expérience professionnelle. L'arrêt Winter a instauré une certaine insécurité juridique en la matière qui doit être levée au plus vite, par exemple en créant une commission d'experts chargée d'examiner au cas par cas la problématique de la valorisation de l'expérience professionnelle des salariés demandant le SSM qualifié.
La Chambre de Commerce constate avec satisfaction que le Gouvernement semble tout à fait conscient du problème. L'accord du 14 janvier entre ce dernier et l'UEL prévoit en effet que " le Gouvernement s'engage à faire modifier la législation en la matière ". Il est d'ailleurs explicitement reconnu dans l'accord en question que " les évolutions jurisprudentielles actuelles comportent un risque majeur pour l'emploi des moins qualifiés autant que pour les systèmes de formation et de qualification ". La Chambre de Commerce espère que ces excellentes intentions se concrétiseront au plus vite.
Finalement, l'avis de la Chambre de Commerce sur le relèvement du SSM souligne le fait que l'actuel processus de fixation du SSM est de nature à induire un certain risque d'incohérence lors du calcul des paramètres de pension. Elle regrette également le dépôt tardif du projet de loi, la rétroactivité corrélative ne pouvant qu'être source de complications pour les entreprises, en particulier pour les plus petites d'entre elles.
Le texte intégral de l'avis de la Chambre de Commerce est disponible ici.