Un budget de « fonctionnement » en attendant une nouvelle gouvernance AAA

Affaires économiques

Avis de la Chambre de Commerce sur le projet de budget de l’Etat pour les 4 premiers mois de 2019

Les élections législatives du 14 octobre 2018 ont, comme  il y a 5 ans, quelque peu chamboulé la procédure budgétaire habituelle, puisque la Chambre des Députés n’a pu être saisie du projet de budget pour l’année 2019. Or, en vertu des principes d’annualité budgétaire et d’antériorité, cette dernière doit approuver chaque année le projet de budget et ce, avant le début de l’exercice auquel il se rapporte. Afin d’assurer la poursuite du fonctionnement des ministères, administrations et autres services publics, des crédits provisoires, également appelés « douzièmes provisoires », sont donc déterminés pour les 4 premiers mois de l’année 2019. Ils correspondent, à quelques exceptions près, aux 4/12e des crédits effectivement votés pour 2018 dans le cadre de la loi budgétaire du 15 décembre 2017.

Le caractère purement mathématique de la procédure des douzièmes provisoires rend difficile et peu utile toute analyse d’ordre économique. Dans son avis, la Chambre de Commerce se limite donc largement à rappeler ses recommandations phare en matière de finances publiques, qui ont déjà fait l’objet d’une analyse plus large dans sa publication « Actualité & tendances » n°20 adressée au Gouvernement issu des élections législatives ainsi que dans ses avis budgétaires successifs. La Chambre de Commerce commente par ailleurs certaines dérogations au principe des 4/12e.

Consolider le triple A grâce à une gouvernance des finances publiques cohérente et concertée
Si le Luxembourg doit consolider son triple A auprès des agences de notations, il se doit également de viser le « triple A de la gouvernance budgétaire » et le « triple A de la gouvernance étatique ».

Or, si l’instauration d’une gouvernance des finances publiques « améliorée » est annoncée depuis de nombreuses années, le pas vers une budgétisation par missions et programmes, avec des indicateurs de performance associés, n’a toujours pas été franchi.

Afin d’initier ce processus, une première étape pourrait être l’analyse systématique des dépenses publiques, sachant que le Luxembourg dépense, dans presque chaque champ de politique publique, bien davantage par habitant (et ce même après prise en compte des frontaliers) que des Etats voisins ou comparables, ce qui a priori ne témoigne pas d’une priorisation particulièrement performante de l’action publique[1]. Les défis auxquels le Luxembourg risque d’être confronté dans le futur, notamment le financement des charges liées au vieillissement de sa population et, plus particulièrement aux  pensions, devraient fragiliser la situation des finances publiques à plus long terme. La Chambre de Commerce insiste également sur la nécessité de simplifier le format des documents budgétaires, en opérant une distinction plus nette qu’actuellement entre, d’une part, le budget annuel avec ses multiples articles et, d’autre part, la programmation budgétaire pluriannuelle. Cette dernière doit tracer le cadre général de la politique budgétaire, fixer les accents et les priorités politiques pour les années à venir et la façon dont ils s’inscrivent dans un horizon de moyen terme. En outre, une norme d’évolution des dépenses publiques devrait être définie. Pour rappel, de 2000 à 2017, les dépenses courantes hors intérêts des Administrations publiques luxembourgeoises se sont en moyenne accrues de 6,2% l’an, contre 3,5% en moyenne dans les trois pays voisins et aux Pays-Bas.

Sur le versant des recettes, si la Chambre de Commerce se réjouit de divers aspects de la réforme fiscale entrée en vigueur le 1er janvier 2017, elle estime que la diminution du taux d’imposition des sociétés à 26,01% en 2018 (tarif applicable à Luxembourg-Ville) reste timide eu égard aux taux pratiqués par les autres places financières que sont l’Irlande (12,5%) ou la Suisse, ou encore par rapport au taux médian d’imposition au sein de l’Union européenne qui ne dépasse pas 21% en 2018, taux que la Chambre de Commerce considère comme une cible appropriée pour le Luxembourg. Ce taux vise en effet à figurer au milieu du peloton européen, la neutralité de la fiscalité constituant un argument efficace pour l’établissement et le développement d’entreprises au Luxembourg. En affichant un tel objectif, le Luxembourg pourrait à la fois renforcer significativement sa compétitivité et afficher une position conciliante, « médiane », sur le plan fiscal européen, à rebours de toute idée de concurrence fiscale exacerbée. La Chambre de Commerce tient par ailleurs à attirer l’attention sur l’intérêt, en termes de prévisibilité fiscale, d’annoncer d’emblée un calendrier clair et transparent de convergence vers cette cible fiscale.

Si ces différentes recommandations ont déjà pour objectif d’éviter tout « court-termisme » dans la gestion des finances publiques, il serait également judicieux d’entamer une réflexion sur la façon d’ancrer davantage une perspective « longue » dans la gestion des projets d’investissement. La gouvernance des investissements publics devrait ainsi être revue, afin d’assurer une meilleure évaluation ex ante et ex post des différents projets et d’appréhender correctement et dès le départ l’ampleur des futurs frais de maintenance et de réparation. La « feuille de route du mieux investir », déjà décrite à de nombreuses reprises par la Chambre de Commerce, doit devenir le document « check-list » de chaque projet.

Le Luxembourg comptant actuellement 102 communes qui jouent un rôle moteur dans le développement du tissu économique local, la gouvernance des finances communales n’est pas non plus un sujet de second ordre. Actuellement, les recettes de l’impôt commercial communal (ICC) sont très concentrées sur un petit nombre de contribuables et de secteurs économiques, ce qui constitue pour les communes une incontestable source de vulnérabilité. De plus, les recettes communales totales reposent à raison de 23% environ sur l’ICC et de 1% seulement sur l’impôt foncier (ce qui équivaut à 0,1% du PIB luxembourgeois, contre plus de 1% dans l’ensemble de la Zone euro). Afin de tenter de contenir un tant soit peu le prix du logement et de stabiliser les recettes des communes (l’impôt foncier étant par nature nettement moins volatil que l’ICC), un rééquilibrage du poids relatif de ces deux impôts devrait être envisagé au plus vite. Et pourquoi ne pas en profiter pour simplifier la fiscalité des sociétés, par exemple en homogénéisant la base imposable de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) et l’ICC, ou encore en fusionnant ces deux impôts ? Cet impôt des sociétés « unique » pourrait être calibré afin d’assurer sa compatibilité avec la récente réforme des finances communales et avec un intéressement approprié des communes. Il est par ailleurs essentiel que les abattements dont bénéficient les PME actuellement dans le cadre de l’ICC fassent l’objet d’aménagements, afin d’être répercutés de manière appropriée au niveau de l’impôt « unique » sur les sociétés.

Des exceptions à la règle des 4/12e
Si a priori les crédits provisoires pour les 4 premiers mois de l'année 2019 s’élèvent à 4/12e des crédits votés de l'exercice 2018, quelques exceptions apparaissent, notamment en ce qui concerne la rémunération des salariés en raison de son lien direct avec l'évolution de l'échelle mobile des salaires. Ce poste de dépenses fera preuve d’un grand dynamisme au cours des 4 premiers mois de 2019, et a fortiori sur l’ensemble de l’année. De plus, la dynamique d’embauche du secteur public s’exerce au détriment du secteur privé, en attirant une part significative de travailleurs, et notamment de jeunes diplômés. La Chambre de Commerce déplore tout particulièrement dans ce contexte la récente abolition de la règle dite 80-80-90[2].

Alors que différents accords récents ont poussé la masse salariale du secteur public toujours à la hausse, en sus des avancements automatiques ou des biennales, les « effets de second tour », sur le secteur parapublic et conventionné, aggravent encore la situation. Ces hausses salariales constituent de surcroît un regrettable signal pour le secteur privé qui ne peut pas suivre ce rythme, raison pour laquelle la Chambre de Commerce préconise de revoir ces mécanismes. Par ailleurs, la concurrence créée de fait, notamment sur les salaires d’entrée de carrière, prive le secteur privé d’importantes ressources de travail nationales, obligeant bien des entreprises à avoir recours à de la main-d’œuvre frontalière ou issue de régions plus lointaines, ce qui crée encore d’autres problèmes corollaires, en contradiction avec la volonté d’atteindre une croissance plus qualitative.

L'avis peut être consulté en ligne sous le lien suivant: https://www.cc.lu/services/avis-legislation/avis-de-la-chambre-de-commerce/detail/?user_ccavis_pi1%5BshowUid%5D=4013


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La Chambre de Commerce réalisera une analyse exhaustive des différents postes de recettes et de dépenses dans le cadre de la procédure d’établissement du budget 2019.


[1] Voir à ce propos, pour davantage de détails, la partie thématique de l’avis 2018 de la Fondation IDEA asbl (http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/sites/2/2018/04/Avis-Annuel-2018-IDEA-en-ligne.pdf).

[2] Selon cette règle, le traitement des fonctionnaires-stagiaires s’élèvent à 80% du traitement de base pour les deux premières années de stage, et 90% lors de la troisième année.