Olivier est cuisinier de formation, Dominique a un profil commercial. Ils se sont rencontrés il y a 30 ans et ont démarré une amitié qui s’est révélée être un excellent moteur pour leurs affaires. Ensemble, ils mijotent des saveurs et des projets. Ils ont bâti les Espaces Saveurs, un groupe de restaurants ayant chacun son caractère, comme leurs créateurs.
Pouvez-vous nous raconter vos tout débuts, avant votre rencontre, qui a été décisive pour votre parcours professionnel ?
Olivier Fellmann : Je suis le dernier d’une nombreuse fratrie. Mes frères et sœurs étaient engagés dans des parcours prestigieux de type architecture, médecine… Moi j’avais une passion pour le dessin et la peinture. Trop jeune pour entrer aux Beaux-arts, j’ai intégré une école hôtelière. Là, j’ai été repéré par l’un de mes professeurs qui m’a poussé à participer à des concours et m’a mis le pied à l’étrier. Après mes études je suis parti travailler en Angleterre. Revenu en Lorraine pour régulariser ma situation vis-à-vis du service militaire, je ne suis pas reparti car on m’a proposé la place de chef pâtissier du restaurant Clairefontaine, proposition qui représentait une magnifique opportunité.
Dominique Colaianni : De mon côté, j'avais une formation vente-commerce et je n'avais pas du tout en tête de faire une carrière dans la restauration. J’y suis arrivé par le biais d’un job d’étudiant. Et c’est très vite devenu une passion. Comme Olivier, je suis parti de chez moi très jeune pour voler de mes propres ailes. Cela n’a pas été toujours facile mais je pense que c’est une bonne école pour apprendre à prendre des risques.
L’entreprise que vous avez créée tous les deux s’est développée très rapidement et est devenue un groupe. Était-ce prémédité ?
D.C. : Dès le départ notre souhait, je devrais dire notre rêve, était de développer une affaire avec plusieurs adresses plutôt qu’un restaurant unique. Et effectivement c’est allé très vite les 10 premières années. Nous avons eu des opportunités et nous les avons saisies. Mais un jour nous nous sommes aperçus que l’affaire avait grossi trop vite et que nous risquions de perdre le contrôle. Alors nous avons pris la décision de ralentir et de nous concentrer sur nos adresses phares, en ville.
O.F. : Ces derniers temps, nous avons recommencé à ouvrir de nouveaux lieux, y compris en dehors de la ville. Notre longue expérience de la restauration fait que l’on vient régulièrement nous chercher pour des conseils, mais aussi pour nous proposer des emplacements.
Votre goût d’entreprendre ne faiblit donc pas. Rencontrez-vous malgré tout des difficultés ?
D.C. : La principale difficulté, qui va parfois jusqu’à représenter un frein au développement est le recrutement. Beaucoup des jeunes qui sortent du lycée Alexis Heck de Diekirch ou du lycée technique de Bonnevoie partent travailler à l’étranger et ceux qui restent ne sont pas assez nombreux pour les besoins du secteur Horeca luxembourgeois, qui se développe à mesure que le pays voit sa population augmenter. Il y a 1700 restaurants dans le pays qui cherchent régulièrement du personnel. Selon moi il y aurait du potentiel pour former encore davantage de personnes à nos métiers.
O.F. : Heureusement nos équipes sont stables. Nous avons un turn-over très limité. L’ancienneté moyenne dans nos établissements est de 4 ans, ce qui est bien supérieur à la moyenne de la profession.
Comment motivez-vous vos équipes ? Quel est votre style de management ?
D.C. : Nous sommes très proches de nos collaborateurs. Nous essayons de connaître chacun même si cela devient difficile dans une équipe de 95 personnes. Nous encourageons le dialogue et la conversation. Beaucoup ont notre numéro de portable et ils savent qu’ils peuvent nous appeler. Nous tenons absolument à rester accessibles. Nous faisons tous un métier plutôt dur alors il est indispensable d’y mettre de l’humain, de créer une ambiance de deuxième famille sur le lieu de travail. Nos maîtres mots sont le respect et la confiance.
O.F. : Nous avons de plus en plus recours à la promotion interne pour donner des perspectives d’avenir à l’intérieur du groupe. Le dernier exemple en date est le maître d’hôtel de l’Ultimo qui vient de prendre la direction du Come Prima.
Et si c’était à refaire, y a –t-il des choses que vous feriez différemment ?
D. C : Notre seul regret est de ne pas avoir franchisé l’un de nos concepts pour pouvoir par exemple nous développer à l’étranger. Nous aurions pu mais nous n’étions pas prêts à être moins présents dans nos restaurants pour nous consacrer uniquement au développement ; or ce genre de projet ne peut pas être fait à moitié.
O.F. : Nous sommes très investis dans chacun de nos restaurants et les clients aiment que l’on soit là. Nous craignions de briser l’équilibre en prenant de la distance par rapport à notre rôle opérationnel.
Toujours en regardant ce parcours de 25 ans, de quoi êtes-vous les plus fiers ?
O.F. : De ne pas avoir perdu notre âme et d’avoir su préserver notre amitié grâce à notre complémentarité.
D. C. : Je rajouterais la fidélité de la clientèle. Aujourd’hui il nous arrive régulièrement de servir les petits enfants de nos premiers clients !
Olivier, vous parliez de complémentarité. Pensez-vous que vous auriez réussi aussi bien, chacun de votre côté ?
O.F. : Sans doute non. En restauration les affaires reposent souvent sur un binôme. La cuisine et la salle ne fonctionnent pas l’une sans l’autre.
D.C. : Personnellement je ne serais peut-être tout simplement plus dans le secteur de la restauration si je n'avais pas rencontré Olivier.
Comment vous partagez-vous le travail ?
O.F. : Nous prenons ensemble toutes les décisions importantes. Physiquement, nous avons chacun nos quartiers. Dominique s’occupe plus particulièrement des restaurants de la place Dargent (la Mirabelle et Sapori) et moi je me concentre plutôt sur l’ilôt gastronomique (Goethe Stuff et Come Prima). Nous avons récemment décidé de changer un peu notre organisation et je vais désormais me consacrer en priorité aux nouveaux projets.
D. C. : L’un et l’autre nous pensons que le temps est venu de confier l’opérationnel aux gens qui ont fait leur preuve dans nos différentes adresses pour pouvoir nous consacrer à la réflexion stratégique sur l’évolution du groupe. Par exemple, nous avons le souhait d’investir dans un projet immobilier pour pouvoir loger du personnel. Ce serait une façon pour nous d’attirer au Luxembourg des personnes de qualité en leur proposant une solution à l’éternel problème du coût du logement.
Quelles sont les tendances actuelles qui impactent le plus votre métier ?
D.C. : Il y a les modes alimentaires qui nous poussent à nous adapter et à faire évoluer les cartes. Il y a eu la grande époque de la cuisine fusion qui nous a permis de trouver de l’inspiration dans les différentes gastronomies du monde. Maintenant, le burger est tendance, porté notamment par les food trucks. Ces innovations permanentes sont plutôt bénéfiques. Mais il y a des évolutions que je trouve moins positives car elles ont une répercussion négative sur nos affaires. Je pense notamment à la hausse de la TVA sur les boissons alcoolisées, même si je comprends le souci de santé publique qu’il y a derrière cette mesure. Je regrette également que les pauses repas raccourcissent. Les gens sont de plus en plus pressés à l’heure du déjeuner alors qu’avant les affaires se traitaient fréquemment autour d’une bonne table, en prenant le temps.
Vous portez une attention particulière à la qualité. Quelles mesures mettez-vous en place pour la garantir ?
O.F. : Pour tout ce qui concerne l’hygiène et le respect de la marche en avant (principe selon lequel les produits sains ne doivent pas croiser le chemin des produits souillés, NDLR) nous sommes régulièrement audités par Luxcontrol. Pour le reste, nous avons notre propre charte qualité qui valorise notamment le service en salle et tout notre travail de storytelling autour des suggestions du jour. Un service courtois et souriant fait partie intégrante de notre conception de la qualité. Pour nos 25 ans nous allons d’ailleurs bâtir un programme de formation interne sur ces principes dont nous voulons faire notre identité.
D.C. : La concurrence est féroce au Luxembourg. C’est excellent pour se remettre en question et rester à l’affût. Les enseignes qui s’en sortent sont celles qui ont compris l’importance du respect absolu du client.
Quels sont vos nouveaux projets ?
O.F. : Nous croyons beaucoup à notre nouveau concept, Bistrot Burger, que nous venons de lancer au tennis Club de Howald. Il s’agit de proposer une carte où chaque plat est revisité sous forme de burger. Pour chaque proposition il est donc possible de choisir la version traditionnelle ou la version burger. Ce concept devrait beaucoup plaire aux familles car il permet de proposer de la qualité à prix modérés, un service rapide et une ambiance décontractée.
Les 7 restaurants Espaces Saveurs :
- La Mirabelle, cuisine régionale de Lorraine, Luxembourg-Dommeldange (1992)
- Goethe Stuff, gastronomie alsacienne, Luxembourg-centre (1995)
- Come Prima, gastronomie italienne, Luxembourg-centre (1997)
- Sapori, cuisine italienne, Luxembourg-Dommeldange (2005)
- L’Ultimo, cuisine italienne, Mamer (2010)
- Gusto, cuisine italienne, Sandweiler (2013)
- Bistrot Burger, cuisine traditionnelle et burgers, Howald (2017)
Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude/Focalize