Tableau de bord de la compétitivité, édition 2014
Sous le slogan « Une économie résiliente », l’Observatoire de la Compétitivité (ODC) a récemment présenté l’édition 2014 de son Tableau de bord de la compétitivité (TBCO). Ce tableau fait état d’une apparente guérison miraculeuse de la compétitivité de notre pays. Ce progrès est-il réel ou au contraire relève-t-il d’une fiction ? Une inflation structurellement plus élevée comparée aux pays voisins, une envolée incontrôlée du coût salarial unitaire depuis la crise, un système d’éducation perfectible, une progression du chômage malgré le gain de 7 places dans le TBCO, ou encore des coûts de production en hausse et une productivité en berne demeurent des maladies chroniques de l’économie luxembourgeoise pour lesquelles il n’existe à l’heure actuelle aucune feuille de soins à la hauteur des enjeux. Une économie résiliente ou non - une question à laquelle la réponse est pour le moins mitigée car une lecture critique du TBCO révèle en outre qu’un nombre limité d’évolutions surprenantes d’une poignée d’indicateurs expliquent en grande partie le bond de la 13e à la 6e place.
L’objectif du Tableau de bord de la compétitivité consiste à donner une vue d’ensemble sur la situation du Luxembourg en termes de compétitivité. Après l’ « évolution en dents de scie » de 2013, les « vents contraires » de 2012 et un appel « à prendre la compétitivité au sérieux » lancé en 2011, l’ODC se montre dès lors résolument plus positif en 2014. A tort ou à raison ?
En guise de rappel, le Tableau de bord de la compétitivité (« TBCO ») avait été proposé en 2003 par le Pr. Lionel Fontagné en collaboration étroite avec les partenaires sociaux. Il a pour but d’offrir aux autorités publiques un instrument permettant la mesure et l’évaluation des progrès accomplis en matière de compétitivité tout en prenant en considération les spécificités du pays.
Les pays considérés par le TBCO sont les Etats membres de l’Union européenne. Si un classement entre pays européens n’est pas dénué de sens, il ne répond pour autant pas à la question de savoir si l’Europe, en tant que telle, est compétitive à l’échelle internationale. Or, c’est là où le bât blesse, car comment autrement expliquer l’écart significatif entre, particulièrement, la mini-croissance européenne et la croissance vigoureuse américaine, notamment depuis la crise ? En effet, les chiffres parlent d’eux mêmes : sur la période 2012-2014, l’UE atteint une « croissance » moyenne de +0,3% (-0,1% pour la zone euro), contre +2,2% pour l’économie américaine. Pour 2015 et 2016, est prévue une croissance moyenne de 1,8% au sein de l’Union (1,2% en zone euro), contre +3,2% outre-Atlantique. L’on ne doit pas pour autant se limiter à ce constat: les décideurs tant européens que nationaux doivent en tirer les bonnes leçons et rectifier le tir si nous voulons endiguer l’inquiétante panne de croissance européenne. Une première étape pourrait consister en la réalisation d’une ambitieuse étude sur l’écart de compétitivité entre l’Europe et les Etats-Unis.
Edition 2014: Meilleure performance historique pour le Luxembourg…
Dans l’édition 2014 du TBCO, le Luxembourg se positionne à la 6e place parmi les Etats membres de l’Union européenne et gagne ainsi 7 places par rapport à l’édition précédente. L’année précédente, le Luxembourg occupait la 13e place, soit la plus mauvaise performance depuis l’élaboration du TBCO en 2003. En tête du peloton, figurent comme l’année dernière, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Finlande. L’Allemagne (9e) a perdu une place tandis que la France (8e) et la Belgique (15e) ont gagné chacune 3 points.
… … mais une performance fragile
Il s’agit d’analyser cette performance spectaculaire qui peut notamment s’expliquer par les faits suivants :
- En ce qui concerne l’amélioration du positionnement du Luxembourg, il faut rappeler qu’il s’agit d’un classement relatif, la performance du Grand-Duché dépendant des performances des autres pays européens. Ainsi, par exemple, l’Estonie et la Lituanie, qui par ailleurs avaient devancé le Luxembourg dans le classement de 2012, ont perdu respectivement 8 et 3 places dans l’édition 2013. Cette dégradation a aidé le Luxembourg à améliorer son positionnement.
- A la lecture des résultats en termes absolus, il s’avère qu’un groupe de 9 pays se trouve au coude à coude avec des performances assez similaires (voir le dossier joint). Par conséquent une légère amélioration en termes absolus pour ces pays peut entraîner un progrès significatif, en termes relatifs, au niveau du classement final.
- La 13e place de l’année 2013 était le plus mauvais classement jamais atteint par le Luxembourg. En moyenne, sur la période de 2007 à 2013, le Luxembourg pointait à la 10ème place. Une partie des gains réalisés en 2014 peut donc être qualifiée de mécanique.
- L’adoption du nouveau système européen des comptes SEC2010 est probablement aussi un facteur non-négligeable à prendre en compte. Comme le TBCO reprend plus d’une douzaine d’indicateurs concernés par ce changement méthodologique, la performance de certains pays pourrait s’en trouver affectée. Par ailleurs, la récente mise à jour de la comptabilité nationale luxembourgeoise a fait état d’« améliorations » spectaculaires notamment pour les performances macroéconomiques d’exercices écoulés (voir notamment la récente révision à la hausse de la croissance de …. 2010, de +3,1% à +5,1%).
- Pour le Luxembourg, le seul pilier ayant connu une progression importante est celui de la « Productivité et coût du travail ». C’est notamment grâce à ce pilier que le Grand-Duché a été en mesure de réaliser cette belle progression.
- Le pilier « Productivité et coût du travail » fait apparaître une amélioration spectaculaire de 13 places (passant du 25e au 12e rang) qui a largement contribué à la meilleure performance dans le classement de l’indice. Or, ce pilier figure parmi les plus volatiles du classement TBCO (p.ex. 3e place en 2007 et 26e place en 2008). Ce constat est en premier lieu imputable au fait que les indicateurs qui composent ce pilier (« Productivité globale des facteurs », « Productivité apparente du travail », « Coût salarial unitaire ») reprennent des variations annuelles (2013 dans ce cas) qui fluctuent considérablement d’une année à l’autre. Or, le Luxembourg souffre d’une absence de gains de productivité et d’une déconnexion entre le coût salarial et la productivité sur une période pluriannuelle, notamment depuis le début de la crise (l’évolution de la productivité horaire du travail a chuté de -12% entre 2007 et 2012[1]).
- Pour ce qui est du coût salarial unitaire - c’est-à-dire le coût salarial associé à une unité de valeur ajoutée en termes réels - c’est dans l’industrie manufacturière où les évolutions pluriannuelles les plus marquées ont été observées (évolution des CSU de 2000 à 2013 égale à 73,3% au Luxembourg, contre 6,5% en Belgique, 2,1% en France et -0,8% en Allemagne selon la base de données AMECO de la Commission européenne).
- Donc le « ralentissement » de l’évolution des indicateurs de productivité et de coût du travail en 2013 - qui explique en grand partie l’amélioration globale de l’indice de compétitivité - ne change en rien le constat de fond que la productivité et le coût du travail demeurent des défis de tout premier ordre pour l’économie luxembourgeoise et que leur évolution néfaste est avant tout structurelle.
- Le pilier « Productivité et coût du travail » fait apparaître une amélioration spectaculaire de 13 places (passant du 25e au 12e rang) qui a largement contribué à la meilleure performance dans le classement de l’indice. Or, ce pilier figure parmi les plus volatiles du classement TBCO (p.ex. 3e place en 2007 et 26e place en 2008). Ce constat est en premier lieu imputable au fait que les indicateurs qui composent ce pilier (« Productivité globale des facteurs », « Productivité apparente du travail », « Coût salarial unitaire ») reprennent des variations annuelles (2013 dans ce cas) qui fluctuent considérablement d’une année à l’autre. Or, le Luxembourg souffre d’une absence de gains de productivité et d’une déconnexion entre le coût salarial et la productivité sur une période pluriannuelle, notamment depuis le début de la crise (l’évolution de la productivité horaire du travail a chuté de -12% entre 2007 et 2012[1]).
- Le statu quo est maintenu en ce qui concerne la performance du pilier « Entrepreneuriat » (18e place). A ce titre, la Chambre de Commerce rappelle que pour rendre l’entrepreneuriat plus attrayant, il est nécessaire de créer un environnement propice au développement du potentiel des entrepreneurs de demain. Promouvoir l’entrepreneuriat contribuera à renouer avec une croissance plus vigoureuse.
- En ce qui concerne le pilier « Fonctionnement du marché », le Luxembourg souffre d’un important déficit compétitif dans le domaine des coûts énergétiques pour les entreprises (prix du gaz : 26e place ; prix de l’électricité : 15e place). L’importante facture énergétique constitue avant tout un sérieux handicap pour les très nombreuses PME luxembourgeoises.
- Le pilier « Environnement » demeure le talon d’Achille du Luxembourg dans le TBCO. La majorité des indicateurs sont dans le rouge, expliquant ainsi la médiocrité du classement du Luxembourg qui arrive péniblement à la 26e place.
Le TBCO, comme tout autre tableau de compétitivité international, dispose de ses propres caractéristiques qu’il faut étudier soigneusement, dans un souci d’éviter d’en tirer des conclusions trop hâtives.
Il s’avère que le TBCO, et ceci n’est pas nouveau, affiche des faiblesses méthodologiques rendant ainsi sa refonte nécessaire. De l’aveu même de la secrétaire de l’Etat à l’économie, « une révision du TBCO est devenue indispensable ». Il faudrait de la sorte aboutir à « (…) un tableau de bord plus solide et fiable (...). Avec la stratégie Europe 2020 et la procédure des déséquilibres macroéconomiques au niveau européen, de nombreux indicateurs sont entrés dans la sphère politique européenne et il est donc nécessaire qu’ils rentrent aussi dans la sphère politique luxembourgeoise »[2].
La Chambre de Commerce salue l’initiative de « prendre sur le métier » le TBCO et soutient les actions nécessaires pour dresser un tableau plus représentatif, plus simple et plus parlant. Or, une refonte du tableau ne devrait pas être une fin en soi, mais devrait inciter les décideurs politiques à s’en servir pour mettre en place une feuille de route avec des objectifs quantifiables et tangibles afin de relever les défis d’ordre structurel. Aussi, faudra-t-il aboutir à un tableau de bord qui soit apte à « capter » véritablement les réalités quotidiennes que vivent les entreprises qui sont exposées à la concurrence internationale et qui sont fortement tributaires de la main d'œuvre.
Notons encore que lors de sa présentation récente de son « Annuaire de la compétitivité », l’UEL a fait part de son appréciation quant à la « situation stable, mais toujours délicate » du Luxembourg en termes de compétitivité[3]. La Chambre de Commerce partage largement les constats de l’UEL et se propose d’appuyer le bien-fondé des arguments développés par l'organisation faîtière du patronat.
Une analyse plus complète de l’édition 2014 du Tableau de bord est jointe ci-dessous.
[1] Données disponibles en mai 2014 sur base de la nomenclature SEC95.
[2] Bilan de compétitivité 2014: Une Economie résiliente.
Voir sous : www.uel.lu/386-annuaire-de-la-competitivite-2014-situation-stable-mais-toujours-delicate.