Budget de l’Etat 2010
Le projet de budget 2010, déposé à la Chambre des Députés le 29 septembre 2009, est le premier projet de la nouvelle législature. Il s’agit du deuxième projet de budget de crise d’affilée dans la mesure où il se caractérise par la poursuite de la politique anti-cyclique entamée par le budget de l’Etat relatif à l’exercice 2009.
De ce fait, les dépenses de l’Administration centrale continueront de progresser (+9,2% entre 2008 et 2009; + 5,9% entre 2009 et 2010), alors que les recettes poursuivront une tendance inverse (-4,0% entre 2008 et 2009, -0,8% entre 2009 et 2010), la conséquence étant le creusement du déficit budgétaire de l’Administration centrale, lequel passe de 89,9 millions EUR en 2008 à 1,49 milliards EUR en 2009 pour atteindre prévisiblement 2,26 milliards EUR en 2010, ce qui correspond à un besoin de financement de l’ordre 6,2% par rapport au PIB. Au niveau de l’Administration publique au sens large1 le déficit passera de 2,3% à 4,4% du PIB entre 2009 et 2010, en violation de la limite de 3% prévue par le Pacte de stabilité et de croissance européen. La dette publique atteindra quelque 19,8% du PIB fin 2010 (15,9% fin 2009).
1. Les questions ouvertes face à des problèmes structurels connus
Le projet de budget 2010 ne propose pas de solutions pour tourner les défis en opportunités, ne s’attaque pas aux problèmes structurels (cf. le dernier « Bilan de Compétitivité »2), et reporte ces derniers à l’exercice suivant, ce qui risque de les aggraver. On aurait pu s’attendre, de la part du Gouvernement sorti des élections du 7 juin 2009, à un budget plus responsable en ce qui concerne le freinage de la progression des dépenses courantes et de consommation. En ce sens, douze mois de dérapage des dépenses courantes et d’immobilisme face aux réformes nécessaires constituent un danger face à une situation inquiétante. Les mesures d’économies à adopter sont inévitables et seront d’autant plus douloureuses que le temps passe. Ces mesures sont nécessaires et urgentes, puisque même sous l’hypothèse peu probable d’un retournement conjoncturel rapide et soutenu, elles restent inévitables.
Le projet de budget ne répond pas aux interrogations fondamentales de la situation de crise : quel est le carnet de route relatif à la sortie de crise et quel sera à l’avenir le modèle de croissance ? Ces questions sont d’autant plus cruciales qu’il s’agit du premier projet de la nouvelle législature et donc d’un outil optimal et d’une période idéale pour présenter, ne fût-ce que sommairement, les visions stratégiques pour les 5 prochaines années. Le projet de budget 2010 ne fournit pas non plus d’indication quant au scénario de retour à l’équilibre budgétaire: quel scénario de sortie des déficits publics, de réduction de la dette publique et de dette cachée relative à la sécurité sociale et, à terme, de reconstitution de réserves budgétaires, le Gouvernement veut-il et peut-il privilégier ?
Pour autant, la Chambre de Commerce retient comme points positifs du projet de budget 2010 les mesures du plan de relance décidées en mars 2009 et le niveau élevé de dépenses d’investissements affichées. Encore faudra-t-il procéder aux dépenses afférentes intégralement et selon le calendrier annoncé. Par ailleurs, un niveau élevé de dépenses d’investissement doit conduire en parallèle à une réduction des dépenses courantes, comme ceci peut s’observer dans nombre de pays européens.
2. Les effets néfastes d'un fort recul du poids de la place financière dans notre économie: un "worst case scenario" théorique
Des incertitudes pèsent sur le développement futur de la place financière, avec les évolutions récentes3 et les attaques politiques qui les accompagnent. Pour souligner l’importance d’une stratégie cohérente et réussie en matière de promotion et de développement de la place financière et la nécessité de la défense des intérêts luxembourgeois dans ce contexte, la Chambre de Commerce a établi une simulation théorique sous forme de scénario extrême pour montrer les effets sur notre économie de petite taille, largement ouverte sur l’extérieur et dépendant du secteur financier international, d’un choc sectoriel important.
Dans ce « worst case scenario », il est supposé que le poids économique du secteur financier baisserait pour atteindre le niveau atteint en Belgique, une autre petite économie ouverte. Cette simulation est de nature statique et de ce fait, ne pourra prétendre à l’exhaustivité méthodologique. Néanmoins, la conclusion doit inciter à la plus grande circonspection: la matérialisation du scénario en question aboutirait, selon les hypothèses admises, à ce que le PIB national baisserait de 33,7%, l’emploi de 15,2% et les recettes fiscales de 25,3% par rapport à la situation de 2008.
Abstraction faite d’une telle simulation, il est à noter que la somme des bilans des banques a baissé de 19,18% entre octobre 2008 et septembre 2009. Le résultat net a baissé de 88% entre 2007 et 2008.
3. Un effet immédiat de la crise qui risque de se prononcer à moyen terme : la baisse des recettes fiscales
Même en dehors du scénario théorique précité, une baisse spectaculaire des recettes fiscales est prévue au budget des recettes pour 2010 (moins 15,5% au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, réduction de 14,3% des recettes de TVA et chute de 15,4% pour la taxe d’abonnement). Au total, les recettes budgétaires de l’Etat central fléchiraient de 8,7% en 2010 par rapport au budget voté 2009, soit une baisse de 808 millions EUR. Le recul des recettes au niveau de l’Administration centrale a pu être limité à 0,8% dans cette même période, du fait du recours massif à des emprunts nouveaux (1.350 millions EUR). Faisant abstraction de ces emprunts, les recettes de l’Administration centrale seraient en baisse de l’ordre de 14,2% en 2010 par rapport à 2009.
Outre cette chute prévisible des recettes en 2010 et au-delà, la Chambre de Commerce estime, qu’à l’avenir, les recettes fiscales incertaines et/ou volatiles, et notamment la TVA sur le commerce électronique et les accises sur les carburants vendus aux non-résidents, doivent être mises à profit d’un fonds spécial au lieu de servir au financement des dépenses de fonctionnement courantes de l’Etat. Ce n’est qu’à partir du moment où l’Etat pourra vivre des recettes fiscales traditionnelles et indigènes, c‘est-à-dire sans subventionnement massif via les dépenses de consommation étrangères en exploitant des niches fiscales sans doute temporaires, que le pays pourra raisonnablement prétendre ne pas vivre au dessus de ses moyens. Ce type de rentrée devrait concourir à financer, à l’instar des recettes pétrolières de la Norvège, des projets d’investissement de grande envergure, voire pour faire face à des situations de crise.
4. Hausse spectaculaire des dépenses courantes, en particulier des dépenses de consommation
La Chambre de Commerce déplore l’absence de maîtrise au niveau des dépenses qui ne sont pas directement liées au plan de relance et qui ne respectent pas les consignes données au niveau de la « Circulaire aux départements ministériels », communiquée par le Ministère des Finances en avril 2009 et qui limite l’augmentation des « transferts de revenus à d’autres secteurs et à l’intérieur de secteur public » (+4,5% d’après le projet de budget) ainsi que celle des « dépenses courantes pour biens et services » (+3,4%, hors frais de personnel) à l’impact directement lié à l’indice des prix à la consommation, soit 2%.
Quant à l’évolution d’une année à l’autre, des dépenses courantes luxembourgeoises par rapport à celles de nos trois pays voisins ainsi qu’en relation avec la moyenne de la zone euro4, le Luxembourg se trouve systématiquement et largement au dessus de l’évolution observée dans ces territoires. Une simulation du potentiel d’économies pouvant résulter au Luxembourg de l’application du taux de progression européen moyen des dépenses courantes dégage des économies de 147,16 millions EUR en 2006, de 150,91 millions EUR en 2007 et de 608,29 millions EUR en 2008, soit quelque 900 millions EUR sur une période de trois ans.
Un freinage important au niveau des dépenses de consommation de l’Etat et des dépenses courantes non prioritaires est désormais inévitable. Une action déterminée s’impose notamment au niveau d’un meilleur ciblage des transferts sociaux.
5. La dette publique et la charge d'intérêts augmentent sensiblement
La Chambre de Commerce salue expressément le fait que, malgré la crise et la situation financière fragile, le Gouvernement affiche un niveau élevé d’investissements à moyen terme afin de doter le pays en infrastructures appropriées, facilitant la libération de son potentiel de croissance endogène à long terme. Toutefois, elle rappelle que, par le passé, le niveau d’investissement initialement affiché n’a été que très rarement exécuté. Pour l’année 2008, par exemple, les crédits d’investissement initialement prévus n’ont été exécutés qu’à concurrence de 80,5% (641 millions EUR au lieu des 796 millions EUR initialement prévus au titre des fonds d’investissement).
Si elle soutient l’important effort d’investissement de l’Etat, la Chambre de Commerce se doit de rappeler qu’étant donné la taille restreinte du pays, sa forte dépendance vis-à-vis du secteur financier, et la précarité et volatilité d’une part importante de ses recettes fiscales, la capacité d’endettement du Luxembourg est sans aucune mesure comparable à celle des d’Etats plus grands. Par conséquent, la limite des 60% d’endettement par rapport au PIB a une pertinence moindre pour notre pays. Le niveau de dette publique prévu au sein de la Note d’experts5, qui s’élèverait à quelque 40% en 2014 à politique de dépenses inchangée, est inacceptable, car hautement dangereux pour un pays comme le Luxembourg. Et ce pour une double raison, à savoir, l’équité intergénérationnelle, en général, et le poids étouffant de la charge d’intérêts liée à cette dette (427 millions EUR en 2014, soit 1% du PIB), en particulier. A titre d’illustration, une dépense de 427 millions EUR représente presque autant que les dépenses cumulées, en 2010, par le Fonds du rail et le Fonds des routes.
Sous un angle intergénérationnel, les soldes positifs actuels des réserves de l’assurance pension sont largement artificiels. Le Conseil Supérieur pour un Développement Durable estime que le Luxembourg devrait générer des excédents budgétaires annuels de 8% afin de sécuriser le système de sécurité sociale à l’horizon 20506. La pérennité à long terme s’apprécie non seulement au sein du système des pensions, mais également en ce qui concerne l’assurance maladie et l’assurance dépendance. Pour éviter la déconfiture du système et afin de rétablir l’équité intergénérationnelle, des décisions courageuses et incisives s’imposent7http://www.cc.lu/administration/FCKeditor/editor/fckeditor.html?InstanceName=dtText&Toolbar=WT#_ftn7.
6. Les mesures à court terme de réduction du déficit à mettre en oeuvre à travers la loi budgétaire de décembre 2009: un effort de solidarité nationale
La Chambre de Commerce estime que les multiples problèmes soulevés dans son avis budgétaire rendent indispensables des mesures urgentes et volontaristes de la part des autorités publiques. Toutefois, il est nécessaire de les articuler autour de deux horizons de temps, à savoir le court et le long terme. Dans les semaines à venir, il s’agit de mettre en place un train de mesures amenant le déficit projeté des administrations publiques (4,4% du PIB), à un seuil plus acceptable et respectant notamment la borne supérieure autorisée par l’Union économique et monétaire, soit 3% du PIB. Pour y arriver, le Gouvernement doit réduire à court terme le déficit de 506 millions EUR (soit de 1,4% du PIB8). Il faut éviter que le pays fasse l’objet d’une procédure contre les déficits excessifs de la part de l’UE dès 2010. Une telle réduction immédiate, à travers des modifications du projet de loi budgétaire en décembre 2009, pourra être opérée par des diminutions ciblées de dépenses courantes (notamment à travers de plus de sélectivité sociale), au niveau de quelques dépenses en capital, ainsi que par des hausses de certains postes de recettes, tout en limitant les effets négatifs potentiels sur l’économie.
La Chambre de Commerce a identifié un potentiel de réduction du déficit de l’ordre de 512,16 millions EUR (1,41% du PIB; cf. Annexe). Il est évident que les mesures proposées se différencient quant au degré de faisabilité politique, mais en cette période de crise, des mesures courageuses sont inévitables. Le caractère impopulaire de mesures de restriction budgétaire va d’ailleurs s’agrandir avec le temps, tout immobilisme en la matière aggravant la situation financière et rendant les ajustements ultérieurs plus douloureux.
7. Des mesures d'efficience à plus long terme pour doter les Administrations publiques d'une marge de manoeuvre financière
Dans une optique dépassant le seul exercice 2010, ces mesures de réduction du déficit demeurent insuffisantes. En ce sens, la politique budgétaire actuellement projetée n’est pas compatible avec les objectifs du Programme de stabilité et de croissance. A moyen et à long terme, il faut reconstituer les réserves en dégageant structurellement un léger surplus, et ce pour se préparer à toute crise ultérieure et pour relever les défis posés par l’évolution démographique et le financement du système public de protection sociale.
En conséquence, la Chambre de Commerce propose-t-elle des mesures susceptibles d’augmenter l’efficience de la dépense publique et de contribuer à un changement de paradigme au niveau des finances publiques. Une analyse de l’efficacité et un meilleure ciblage des transferts sociaux, des subventions et subsides étatiques, des transferts aux communes ainsi qu’une étude systématique de l’efficacité-coût des projets d’investissement et le recours accru aux projets sous forme de « public-private partnerships » devraient contribuer à l’avenir à freiner la progression des dépenses publiques et à une efficience accrue de la dépense publique en général.
Pour tout renseignement complémentaire, vous pouvez contacter :
Département Economique
Tél. : (+352) 42 39 39 - 350
eco@cc.lu
[1] Y compris la sécurité sociale et les Administrations locales.
[2] Voir le dernier « Bilan de Compétitivité », document publié annuellement par l’Observatoire de la Compétitivité du Ministère de l’Economie et du Commerce extérieur (www.eco.public.lu).
[3] Voir notamment: crise financière, liste grise OCDE, mise en cause du secret bancaire, réputation de la place en général,
[4] Entre 2005 et 2008 (dernières données EUROSTAT disponibles)
[5] « Note d’experts internes à l’administration publique au sujet des prévisions macro-économiques et de l’évolution des finances publiques pour la période 2009-2014, annexée à la déclaration gouvernementale ».
[6] CSDD : « Stellungnahme des CSDD zur nachhaltigen Entwicklung der Staatsfinanzen », septembre 2008, page 30.
[7] Voir, entre autres : CdC : Actualité & Tendances n°. 7 « Entreprise Luxembourg 2.0 », juin 2009 ; UEL : « La réforme du régime général d’assurance pension - Position de l’UEL », juillet 2009.
[8] Sur base de la valeur du PIB telle qu’estimée par les auteurs du projet de loi, soit 36,29 milliards EUR en 2010.