Affaires juridiques - Intégration fiscale
Le 14 mai 2020, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son verdict dans l’affaire C-749/18 en matière d’intégration fiscale.
Pour rappel, le régime de l’intégration fiscale prévu à l’article 164bis LIR permet l’imposition du bénéfice consolidé d'un groupe de sociétés au niveau de la société dite « faitière » sous certaines conditions. D’abord limité à une stricte intégration verticale, il a fait l’objet d’un remaniement à deux reprises au cours des dernières années.
Dans un premier temps, sur base de la jurisprudence de la CJUE[1] antérieure à l’arrêt sous examen, il est apparu que la législation d’un Etat membre en vertu de laquelle une société mère résidente peut former une entité fiscale unique avec une sous-filiale résidente lorsqu’elle la détient par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés résidentes, mais qui ne le peut pas lorsque qu’elle la détient par l’intermédiaire de sociétés non résidentes ne disposant pas d’un établissement stable dans cet Etat membre, était contraire aux articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Sur base de ces mêmes articles, la CJUE a également jugé que lorsque la législation d’un Etat membre accorde un régime d’entité fiscale unique à une société mère résidente qui détient des filiales résidentes, elle doit le faire également pour des sociétés sœurs résidentes dont la société mère commune n’a pas son siège dans cet Etat membre et n’y dispose pas d’un établissement stable. C’est ainsi qu’une première modification du régime a été introduite dans la loi du 18 décembre 2015 pour permettre une (i) une intégration fiscale horizontale et (ii) un élargissement du cercle des sociétés filiales éligibles.
La seconde modification du régime est intervenue dans le contexte de la transposition de la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur[2] mais elle n’est pas d’un réel intérêt pour la bonne compréhension de l’arrêt dont question.
Il n’en reste pas moins que le régime restait trop restrictif et manquait d’ouverture, comme l’avait souligné la Chambre de Commerce dans son avis n°4489 du 22 octobre 2015 sur le projet de loi n° 6847, notamment au regard d’un élargissement nécessaire de son champ d’application[3].
Les faits à la base de l’arrêt étaient les suivants : la société luxembourgeoise BEA, ou B ci-après, avait constitué, en 2008, une l’intégration fiscale verticale avec sa filiale luxembourgeoise E qui a été progressivement étendue à d’autres filiales luxembourgeoises de B où B a assumé le rôle de société faîtière. Le litige est survenu lorsque B s’est vu opposer un refus de la part des autorités fiscales d’intégrer également C et D, des sociétés de droit luxembourgeois mais dont le capital était détenu indirectement par la société de droit français A, la société-mère de B, sans que B ne détienne une quelconque participation dans le capital de C et D.
Après avoir confirmé, sans surprise, sur base d’une jurisprudence constante, que le régime luxembourgeois pré-2015 était contraire à la liberté d’établissement, la CJUE a également apporté des précisions utiles sur régime actuel, en ce sens qu’elle a estimé que la stricte séparation entre l’intégration verticale et horizontale telle qu’appliquée au Luxembourg est également contraire au droit européen. La société faitière luxembourgeoise doit pouvoir ajouter, au sein du groupe fiscal, des sociétés sœurs de sociétés intégrées, mais également des sœurs de l’intégrante, sans devoir dissoudre l’unité fiscale.
La Chambre de Commerce espère que les modifications législatives seront adoptées à brève échéance afin de contribuer ainsi notamment en faveur du droit des affaires. Les pistes qu’elle avait émises à cet égard dans ses avis n°4529, 4489 et 5253 restent d’actualité.
[1] Voir l’arrêt CJUE dans les affaires jointes C?39/13, C?40/13 et C?41/13.
[2] Loi du 26 avril 2019 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’État pour l’exercice 2019 et modifiant :
1° le Code de la sécurité sociale ;
2° le Code du travail ;
3° la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931 (« Abgabenordnung ») ;
4° la loi modifiée du 30 juin 1947 portant organisation du Corps diplomatique ;
5° la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu ;
6° la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée ;
7° la loi modifiée du 10 décembre 1998 portant création de l’établissement public dénommé « Fonds d’assainissement de la Cité Syrdall » ;
8° la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l’État ;
9° la loi modifiée du 24 décembre 1999 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’État pour l’exercice 2000 ;
10° la loi modifiée du 22 décembre 2006 concernant le budget des recettes et des dépenses de l'État pour l'exercice 2007 ;
11° la loi modifiée du 14 décembre 2016 portant création d’un Fonds de dotation globale des communes.
[3] Extrait de l’avis précité : « La Chambre de Commerce relève que le Royaume-Uni, dans le cadre de son régime de « group relief », ouvre le droit au transfert de pertes d’une société résidente en Grande-Bretagne à une autre société sœur résidente dans ce même pays lorsque celles-ci sont toutes deux détenues directement ou indirectement par le même actionnaire ultime (à plus de 75%), que celui-ci soit résident dans l’UE ou en dehors de l’UE ».