Jeune marié de 25 ans plein d'entrain, Jean-Pierre Heintz, époux de Joséphine van Landewyck crée en 1847, sa propre manufacture de tabac et un débit de tabac à Luxembourg ville. Comme le tabac hollandais est très réputé à l'époque, le jeune entrepreneur choisit de faire figurer le nom de son épouse accolé au sien sur l'enseigne de sa boutique. D'abord située rue de la Porte Neuve, la fabrique s'établit ensuite dans la Grand'Rue. Très vite l'activité croît, les affaires marchent bien et Jean-Pierre Heintz installe au Grand-Duché en 1870, la première machine à vapeur de l'industrie tabatière luxembourgeoise. Il développe la production de cigares et de tabac à pipes. Il est en 1881, à la tête de la vingtaine de manufactures que compte le pays.
Les riverains se plaignant du bruit et des odeurs émanant des usines en ville, c'est son fils, Joseph Heintz, qui décide d'installer une nouvelle usine, qu'il veut moderne, à Hollerich. Peu avant les années 1900, les 250 employés de l'usine d'Hollerich fabriqueront entre 90.000 et 100.000 cigares et 2.000 kg de tabac à fumer par semaine, ainsi que des petites quantités de cigarettes. En 1894, le succès tant national qu'international, pousse la société Heintz van Landewyck à ouvrir une nouvelle manufacture à Fels (près de Luxembourg ville), dédiée à la production de cigares. L'entreprise entre dans l'ère industrielle et Joseph la transforme en société de capitaux. Les parts sont désormais détenues intégralement par les membres de la famille.
En 1912, après le décès de Joseph, son fils Victor reprend les rênes. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les affaires vont mal. Afin de sauvegarder ses débouchés traditionnels, Heintz van Landewyck fonde une succursale à Trèves. Dirigée par Gilles Schaak, cette dernière deviendra la deuxième fabrique de tabac à fumer d'Allemagne. L'usine de Fels, elle, ferme en 1920. Victor Heinz, entre autres innovations, met en place la première machine à cigarettes semi-automatiques dans l'usine de Hollerich.
Victor décède en 1931, non sans avoir désigné son successeur en la personne d'Aloyse Meyer, figure de proue de la sidérurgie et époux d'Eugénie Heintz. Le fils d'Aloyse, Robert reprend la suite avec Gustave Koener à partir de 1939. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Luxembourg est sous le joug nazi. Robert Meyer est démis de ses fonctions et ne retrouvera son poste qu'après la Libération. Heintz van Landewyck lance alors de nouvelles marques pour relancer les exportations à partir des années 1950. Outre la marque phare Africaine, la marque Maryland est lancée et elle connait un succès immédiat, puis Lexington est également lancée, suivies en 1963 des marques Kent et Newport qui sont à l'origine d'une joint-venture avec P.Lorillard à Ettelbruck.
La société continue son expansion et la diversification de ses marques. En 1987, elle acquiert les droits de la marque First et effectue une première livraison vers la Chine. En 1993, Landewyck prend une participation majoritaire dans Ròna, fabricant de tabac hongrois. En 1994, le groupe se compose de la maison mère Heintz van Landewyck à Luxembourg, de la société Fixmer à Strassen, de Heintz van Landewyck à Trèves et de Ròna à Debrecen. Trèves devient une sarl en 1996 et est aujourd'hui spécialisé dans la production de tabac à rouler. En 1998, est créée la marque Elixyr aujourd'hui la plus vendue du groupe et distribuée dans plus de 30 pays. 2003 marque une étape importante dans l'histoire de la société : une phase de restructuration importante dans l'organisation est mise en place. Landewyck Group sarl définit la stratégie du groupe et coordonne la mise en place d'opportunités commerciales.
Actuellement, le groupe est établi au Luxembourg, en Hongrie et en Allemagne, et il est présent sur près de 40 marchés dans le monde entier et il a su garder les qualités qui l'ont amené à ce succès : la réactivité, la flexibilité et l'esprit d'innovation.
Entretien avec Jan Vandenneucker, CEO Landewyck Holding
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
Les grands projets phare sur lesquels nous travaillons ont pour objectif de donner un avenir à une société qui a vu le jour en 1847. Il est important de garder notre place sur un marché de plus en plus concurrentiel, de conserver les emplois dans nos quatre usines en Europe et de satisfaire nos actionnaires. Dans cette optique, le groupe vient de réaliser les investissements les plus importants de son histoire pour moderniser et préserver son activité industrielle, notamment au Grand-Duché. Ainsi, le projet qui va nous permettre de pérenniser notre activité industrielle au Luxembourg est la construction de notre nouvelle usine au Fridhaff. A la pointe du progrès technologique, et pour un investissement de plus de 84 millions d'euros, elle regroupera les activités et le personnel de nos deux usines luxembourgeoises, soit 300 employés. Ensuite et depuis le 20 mai dernier, la Commission européenne impose aux fabricants européens l'apposition de codes de traçabilité délivrés entre autres par INCERT (ces codes ne seront livrés qu'à quelques pays) - sur tout produit fabriqué en Europe. Ceux-ci sont apposés sur les paquets, les fardes, les cartons et les palettes de livraison. Sans ces codes, nous ne pouvions plus produire dans nos usines. Il faut noter que ces codes n'ont aucune utilité ou fonction en dehors de l'Union européenne, cependant, pour se conformer à cette directive, nous avons dû investir plus de 12 millions d'euros pour moderniser ou remplacer notre parc industriel pour mettre en place leur apposition, et nous estimons à plus de 2 millions les frais récurrents par an.
Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?
Dans un premier temps, que Landewyck soit à nouveau une société familiale à 100% depuis décembre 2018 et que cet actionnariat ait toujours la volonté d'investir malgré un environnement économique de plus en plus difficile et réglementé.
Quels sont les grands défis auxquels vous devez faire face dans votre secteur d'activité ?
Depuis le années 2000, la rentabilité du secteur est de plus en plus affectée par de nouvelles règlementations contraignantes en matière de présentation, pour les paquets de cigarettes notamment, et de composition des produits du tabac, qui sont allés jusqu'à l'interdiction de certaines catégories de produits, comme les cigarettes menthol à partir de mai prochain. Les fabricants comme nous qui sommes un petit parmi les grands, ont peu de marge de manœuvre pour répercuter les coûts additionnels sur les consommateurs. De plus, ces réglementations ne s'appliquent qu'aux fabricants européens et nous sommes confrontés à l'incompatibilité des systèmes de traçabilité, puisque sous l'impulsion de l'OMS, d'autres pays développent leur propre système de traçabilité et nous, en tant que fabricants européens perdons l'accès à ces marchés car il est impossible de se conformer simultanément à deux systèmes différents. Outre la directive sur la traçabilité, les règlementations sur le plastique à usage unique qui sont discutées, sont autant de règlementations et de procédures qui ont pour conséquence que les fabricants européens comme nous, deviennent moins compétitifs au niveau mondial. Nos coûts de fabrication pour se mettre en conformité augmentent mais le retour sur investissement est lent et nous oblige à trouver des sources de compensation, car nous sommes moins bien lotis que les très grandes sociétés qui s'adaptent plus rapidement ou peuvent délocaliser pour rester dans la course. Un autre défi a un lien direct avec notre nouvelle usine, puisqu'il nous faut déménager toutes les machines tout en continuant la production. Cela demande vraiment un très gros effort en termes de logistique et d'organisation !
Si vous pouviez changer une chose dans votre secteur d'activité, quelle serait-elle ? Que pourrait faire la Chambre de Commerce en ce sens ?
Nous souhaitons préserver notre ancrage local au Luxembourg, mais les frais engendrés par les mises en conformité aux directives européennes et la fiscalité sont de plus en plus difficiles à supporter pour les PME car cela impacte leur compétitivité et les pénalise à l'international lorsqu'elles ne sont pas tournées exclusivement vers le marché européen. Puis, je pense que le Gouvernement doit prendre maintenant conscience que la mobilité et la difficulté à se loger à un prix raisonnable vont engendrer de gros problèmes d'attractivité du pays. Si des solutions ne sont pas trouvées rapidement, nous allons être confrontés à d'importantes difficultés d'attraction des talents pour subvenir à nos besoins de recrutement. La Chambre de Commerce pourrait alerter en ce sens. [BG1]INCERT ne livrera les codes que pour quelques pays.
Texte : Corinne Briault - Photos : Pierre Guersing - Photos d'archive : Landewyck Group