Avis de la Chambre de Commerce
Dans son avis sur le projet de budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2015 et sur le projet de loi de programmation financière pluriannuelle 2014-2018, la Chambre de Commerce constate de prometteuses avancées, mais considère en même temps que nombre de points positifs recèlent aussi une face cachée, potentiellement problématique.
Concernant le format, les documents budgétaires ont bénéficié d’un important « toilettage », dont témoignent notamment une flexibilité accrue de l’allocation des crédits et un regroupement de ces derniers, une communication novatrice et surtout le dépôt d’un projet de budget pluriannuel[1].
En ce qui concerne le fond, la Chambre de Commerce prend note de la volonté du Gouvernement d’atteindre l’objectif d’un surplus structurel des Administrations publiques de 0,5% du PIB. Cet objectif s’appuie sur plus de 250 mesures. Certaines d’entre elles sont incisives, en particulier la suppression de l’allocation d’éducation. La Chambre de Commerce constate en outre la volonté de fournir un important effort en matière d’investissements publics et note avec le plus grand intérêt la mise en place d’un fonds souverain.
Le projet de budget 2015[2] présente cependant un revers à cette médaille a priori étincelante. Concernant la forme du budget, on peut regretter l’absence à ce stade d’un budget orienté vers les performances. C’est là une œuvre de longue haleine, mais nécessaire pour que, in fine, les « évolutions » se transforment en une véritable « révolution » budgétaire.
Le projet de budget repose sur des prévisions macroéconomiques résolument dépassées. Les récentes prévisions de la Commission européenne sont moins optimistes que celles sur lesquelles repose le projet de budget. Il en est de même des prévisions du STATEC du 11 novembre, qui se situent, pour l’année 2015, à un demi-point de pourcentage en-deçà des chiffres mis en avant dans les documents budgétaires.
S’y ajoute le fait que la consolidation, appelée « trajectoire d’assainissement » dans le jargon bruxellois, repose sur une croissance supposée plus faible des dépenses de l’Administration centrale et de la sécurité sociale sur la période 2014 à 2018 par rapport aux évolutions passées. Une telle modération des dépenses, qui est nécessaire et qui serait donc à saluer, présuppose toutefois un strict encadrement de la dynamique de certaines dépenses (cfr. notamment l’accord salarial dans la fonction publique et son effet d’entraînement sur le secteur conventionné) durant cette période, tout comme elle nécessite l’adoption de mesures structurelles sur le versant des dépenses au-delà du « Paquet d’avenir ».
L’objectif budgétaire à moyen terme retenu par le Gouvernement, soit un surplus structurel de 0,5% du PIB, semble par ailleurs trop modeste à la Chambre de Commerce, à la lumière en particulier des coûts futurs du vieillissement. En outre, les mesures de consolidation reposent excessivement sur un nouveau tour de vis fiscal, notamment la TVA et le prélèvement « d’avenir ». Enfin, pour devenir pleinement efficace, le fonds souverain intergénérationnel devrait bénéficier de transferts bien plus généreux que les 50 millions EUR par an actuellement envisagés.
La Chambre de Commerce considère que le projet de budget 2015 présente un double visage. Si le projet renferme nombre de points positifs, chacun d’entre eux recèle en même temps divers aspects plus problématiques. Ces aspects sont successivement passés en revue ci-dessous, après un bref examen du contexte conjoncturel. La fin du communiqué vise à illustrer l’existence d’un important potentiel d’assainissement budgétaire, qui permettrait d’atteindre un équilibre des finances publiques plus ambitieux et de rehausser l’objectif budgétaire à moyen terme.
Une évaluation conjoncturelle très optimiste dans le projet de budget
La Chambre de Commerce considère que le projet de budget 2015 repose sur des hypothèses macroéconomiques trop optimistes. Les auteurs du projet estiment que « la croissance réelle du PIB est maintenant estimée à quelque 2,7% » pour 2015 et que la croissance du PIB en volume « convergerait à moyen terme [...] vers un taux de quelque 3,5% ».
Il est en effet difficile de déceler les sources d’une telle croissance en 2015 et en 2016. Les nouvelles mesures en matière de TVA, le prélèvement « d’avenir » de 0,5% et la suppression de l’allocation d’éducation devraient peser sur la consommation privée. De plus, dans un contexte économique peu porteur au sein de la zone euro, la contribution des exportations nettes à la croissance du PIB devrait en 2015 et en 2016 être nettement en retrait de son niveau atteint en 2014, comme le laissent augurer les prévisions d’automne 2014 de la Commission européenne.
Les investissements publics devraient en principe progresser de manière soutenue en 2015 et en 2016, mais il reste à voir si le programme d’investissements de l’Etat sera effectivement mis en œuvre. L’ensemble de l’édifice de la croissance ne peut au demeurant reposer sur la seule formation brute de capital fixe. Les résultats pour le Luxembourg de la toute récente enquête Eurochambres 2015, dont les résultats seront présentés en détail en date du 8 décembre par la Chambre de Commerce, font pressentir une évolution contrastée des investissements des entreprises en 2015. Elle serait globalement favorable dans les services mais nettement moins dans l’industrie.
La Chambre de Commerce est d’avis qu’il aurait été préférable de tabler sur un scénario central (qui se serait accompagné d’un scénario haut et d’un scénario bas) moins volontariste, compte tenu de la prudence dont doit nécessairement être empreinte toute gestion des finances publiques, en particulier dans un environnement toujours incertain où un choc de recettes négatif peut survenir à tout moment.
Ces considérations diverses sont d’ailleurs corroborées par la nouvelle mouture des prévisions du STATEC, présentée à la Chambre des Députés le 11 novembre 2014. Le STATEC a, à cette occasion, fortement revu à la baisse ses perspectives de croissance pour 2015 (de 2,7% dans le projet de budget à 2,2%).
Un budget présentant un double visage
Le projet de budget 2015 renferme énormément de facettes, successivement abordées ci-dessous. Chaque facette peut être comparée à une pièce de monnaie comportant une face plus « étincelante » et une face plus terne.
Le format même du budget mérite une attention particulière, puisque le budget vient de connaître une profonde mutation. Il comporte un projet de budget pluriannuel, qui renferme notamment l’évolution des différents crédits budgétaires de l’Etat central de 2014 à 2018. Il permet à l’analyste de scruter la politique budgétaire jusqu’en 2018, au chef d’entreprise de mieux appréhender l’évolution du contexte fiscal d’ici 2018 et même aux ménages de mieux percevoir le financement des prestations sociales sur cette période. Cependant, ce tableau pluriannuel ne concerne que l’Etat central, à travers le prisme un peu réducteur de la comptabilité budgétaire « luxembourgeoise ».
La Chambre de Commerce considère qu’il faudrait, afin de respecter pleinement la loi du 12 juillet 2014 relative à la coordination et à la gouvernance des finances publiques, lui adjoindre d’autres tableaux pluriannuels, ventilant de manière détaillée les recettes et dépenses de l’ensemble des Administrations publiques (notamment les communes), conformément à la comptabilité « européenne » SEC 2010 qui donne le ton dans le cadre de la gouvernance européenne des finances publiques (« règle d’or » notamment). Enfin, la logique par ministères continue à prédominer dans les documents budgétaires, au détriment d’une approche par programmes, missions et actions plus conforme à la logique de résultats que recommande la Chambre de Commerce depuis de nombreuses années. Une telle « révolution » ne peut certes s’accomplir du jour au lendemain, comme le montrent diverses expériences étrangères. Raison de plus pour maintenir la cadence, voire accélérer le mouvement en la matière, pour transformer ces évolutions en une véritable révolution.
La trajectoire d’assainissement des finances publiques constitue un autre aspect crucial. Le principal objectif budgétaire du Gouvernement est un surplus structurel de 0,5% du PIB. La trajectoire pluriannuelle vers cet objectif est désormais bien décrite au sein du projet de budget lui-même et plus seulement comme en avril, dans le cadre de l’actualisation récurrente du « Programme de Stabilité ». Cette clarification est louable, mais la Chambre de Commerce considère qu’un surplus structurel de 0,5% du PIB ne suffira pas à faire face aux défis présents et futurs du Luxembourg. Compte tenu en particulier de la très vive progression attendue des dépenses futures de pension, de santé et d’assurance dépendance, un surplus structurel de 1,3% du PIB s’imposerait.
Le respect de l’objectif budgétaire exige en outre une stricte maîtrise des dépenses publiques. Le projet de budget repose sur une progression des dépenses publiques historiquement faible de 2014 à 2018, de 4,7% l’an en moyenne pour les dépenses de l’Administration centrale et de 4,1% l’an pour celles de la sécurité sociale. Ces taux ne sont pas historiquement faibles à cause des mesures de consolidation budgétaire, car la Chambre de Commerce les a calculés « avant mesures », sur la base des informations livrées dans les documents budgétaires. Une fois de plus, la médaille comporte deux faces antinomiques. D’une part, une croissance contenue des dépenses de 2014 à 2018 est tout à fait louable et même absolument nécessaire. Cependant, un tel objectif, qui implique une décélération de la progression des dépenses de plus de 2% l’an par rapport aux vingt dernières années et donc par rapport au rythme de progression « spontané » des dépenses budgétaires luxembourgeoises, ne pourra se matérialiser en l’absence d’un encadrement très strict des dépenses, d’une part, et de l’adoption de mesures structurelles supplémentaires, non encore spécifiées et donc s’ajoutant aux mesures du Paquet d’avenir, d’autre part.
La Chambre de Commerce constate une même dualité en ce qui concerne les mesures de consolidation budgétaire. Elles sont décrites avec plus de précision qu’à l’accoutumée et certaines sont même incisives, en particulier l’abolition des allocations d’éducation et de maternité. Le paquet d’assainissement repose cependant principalement sur de nouvelles hausses d’impôts, en particulier la TVA et le prélèvement « d’avenir », qui ne vont certainement pas renforcer la compétitivité déjà en berne, faire baisser le chômage et donner lieu à des investissements supplémentaires.
Enfin, la Chambre de Commerce note avec satisfaction l’importance des efforts d’investissement programmés par le Gouvernement d’ici 2018. Des infrastructures performantes revêtent en effet une importance considérable pour une économie très ouverte. Cependant, la Chambre espère dans le même temps que les autorités vont privilégier les projets les plus porteurs et que les taux de réalisation futurs des investissements ne seront pas une fois de plus nettement inférieurs à 100%.
Dans un autre registre, la Chambre de Commerce se félicite de l’institution prévue d’un fonds souverain au Luxembourg. De tels fonds ont accumulé des actifs considérables dans divers pays constituant, à l’instar du Luxembourg, de petites économies ouvertes confrontées à nombre de recettes publiques vulnérables (on songe par exemple pour le Luxembourg au « Tanktourismus », à la TVA électronique, à la taxe d’abonnement, etc.). Le fonds souverain permettrait de ne pas utiliser une partie de recettes vulnérables pour financer des dépenses récurrentes. Il devrait également garantir une gestion plus transparente, dynamique et cohérente des avoirs de l’Etat. Cependant, il est essentiel qu’un tel fonds puisse réellement monter en puissance, ce qui suppose des versements annuels bien supérieurs aux dotations de l’ordre de 50 millions d’euros actuellement envisagées - sous l’hypothèse toutefois d’une amélioration de la conjoncture économique et de la situation financière de l’Etat.
Un important potentiel d’économies additionnelles
Un objectif budgétaire à moyen terme plus exigeant, consistant, aux yeux de la Chambre de Commerce, en un excédent structurel des Administrations publiques de 1,3% du PIB, est nécessaire dans le présent contexte luxembourgeois. Il en résulterait un effort de consolidation additionnel de 480 millions EUR à l’horizon 2018. La Chambre de Commerce ne se contente cependant pas de recommander un tel effort : elle fournit dans la partie III « Recommandations » de son avis, une liste de mesures permettant de couvrir l’intégralité de ce montant et même davantage (563 millions EUR). Introduites de façon graduelle donc dans une optique tout à fait pluriannuelle, en totale congruence avec le « nouveau budget », ces mesures se rapportent notamment aux dépenses fiscales (abattements, etc.), à l’impôt foncier, au forfait d’éducation, aux recrutements dans l’Administration centrale et enfin à l’allocation de fin d’année des pensionnés. Certaines de ces mesures pourraient par ailleurs n’être prises qu’en cas d’aggravation de la situation conjoncturelle.
Enfin, la Chambre de Commerce recommande l’intégration au budget pluriannuel d’informations plus précises sur la soutenabilité à long terme des finances publiques, sujet crucial au Luxembourg. Il s’agit notamment des perspectives à long terme des régimes spéciaux de pension, de la santé, de l’assurance dépendance ou encore des recettes publiques les plus vulnérables.
En résumé, si le nouveau projet de budget renferme d’intéressantes innovations, il met également en lumière divers défis ou insuffisances auxquels il importera de remédier dès que possible et au plus tard dans le cadre du projet de budget 2016.
Le texte intégral de l'avis budgétaire de la Chambre de Commerce est disponible sur son site Internet www.cc.lu.
[1] Le Gouvernement a déposé le projet de budget 2015 à la mi-octobre. Ce projet comporte trois documents essentiels, à savoir le projet de budget au sens strict (volumes 1 et 2, document parlementaire numéro 6720) ainsi qu’un document inédit, à savoir le projet de Loi de programmation financière pluriannuelle (6721). Ces documents forment un tout et font dès lors l’objet d’un avis unique de la Chambre de Commerce.
[2] Terme générique englobant l’ensemble des documents cités ci-dessus.