Cela fait maintenant dix ans qu’IDEA s’est donné pour mission d’identifier les grands défis socio-économiques du Grand-Duché, d’élargir la base de connaissances et de proposer des idées novatrices dans le débat public. Une tâche ambitieuse, qui repose avant tout sur la crédibilité de l’institution auprès du public, des médias et des décideurs politiques.
La crédibilité n’est pas toujours associée à l’économie en tant que discipline. Plusieurs raisons expliquent cela.
Tout d’abord, comme beaucoup d’autres sciences humaines, l’économie est parfois perçue comme manquant de la rigueur des sciences naturelles. Des disciplines telles que la sociologie, les sciences politiques et l’histoire sont souvent influencées par les convictions personnelles de leurs chercheurs, plutôt que par une quête de vérités universelles. En parcourant les articles économiques quotidiens, on observe souvent des explications ex post pour justifier des événements ou des écarts par rapport aux prévisions, et il est rare de trouver des prévisions unanimes parmi les économistes. De plus, par facilité, l’observation de phénomènes passés et l’exploitation des résultats évacue trop souvent le contexte dans lequel l’expérience se reproduit.
Le philosophe des sciences Karl Popper a défini une science comme reposant sur le principe de falsifiabilité : une théorie doit pouvoir être testée et potentiellement réfutée par des preuves empiriques. Cela soulève la question de savoir si l’économie, comme d’autres sciences sociales, peut véritablement être considérée comme une science au sens strict. Bien que l’économie utilise des méthodes empiriques et génère des théories testables, sa capacité à prédire avec précision des événements majeurs, tels que les crises économiques, demeure limitée. Cette situation montre que l’économie possède des spécificités et des limitations qui la distinguent des sciences naturelles.
Par ailleurs, l’économie est souvent qualifiée d’économie politique, un terme qui souligne l’interdépendance entre les phénomènes économiques et les structures politiques et sociales. Les décisions économiques sont façonnées par des contextes politiques et institutionnels, ce qui peut introduire des biais et influencer l’objectivité des analyses économiques.
Toutefois, ces défis ne signifient pas que la science économique manque de méthodes ou de critères de qualité, voire qu’elle tend vers l’inutile. Il est toujours préférable d’illustrer, de commenter et de conseiller les choix politiques avec des méthodologies, même perfectibles, qu’avec le seul prisme de la conviction profonde ou, pire, du rapport de force. De nombreuses théories économiques offrent des prédictions spécifiques et testables. Par exemple, la théorie de l’offre et de la demande prédit qu’une augmentation de la demande d’un bien, toutes choses égales par ailleurs, entraînera une hausse des prix. De plus, l’utilisation de méthodes statistiques et économétriques permet de tester des hypothèses, comme l’impact de la politique monétaire sur l’inflation. L’histoire de la pensée économique montre aussi que les théories peuvent évoluer ou être révisées à la lumière de nouvelles preuves, comme l’a démontré la révolution keynésienne au milieu du 20ème siècle.
Finalement, dernier doute sur la liste, la recherche en économie nécessite des ressources financières, et IDEA ne fait pas exception. Avec un financement assuré principalement par la Chambre de commerce, des questions sur l’indépendance des chercheurs et la neutralité des résultats pourraient légitimement être soulevées.
En fin de compte, la crédibilité d’une institution comme IDEA repose sur plusieurs piliers :
- des valeurs de rigueur, d’ouverture et de transparence ;
- une gouvernance qui garantit l’indépendance et un contrôle de qualité rigoureux ; et
- la production de travaux de haute qualité, jugés en dernière analyse par le public et les pairs.
Le Conseil d’administration, le Conseil scientifique et l’équipe d’IDEA en sont pleinement conscients. Depuis dix ans, malgré – voire à cause de – la rotation dans les instances et les équipes, la crédibilité de cette institution n’a cessé de croître.
Les défis socio-économiques du Luxembourg sont considérables, sans doute largement sous-estimés. Une IDEA est plus nécessaire que jamais. Nous continuerons à travailler pour que son chemin se poursuive, pour que son assise se développe et pour que ses idées originales et ses analyses rigoureuses continuent d’éclairer les débats économiques et les décideurs dans leurs choix.