Le quartier de Belair à Luxembourg-Ville abrite l’une des pépites du secteur HealthTech du Luxembourg. En 2000, Advanced Biological Laboratories (ABL) y voyait le jour à l’initiative du Docteur Chalom Sayada, en partenariat avec le CRP Santé (devenu depuis le Luxembourg Institute of Health - LIH). Un peu plus de 20 ans plus tard, toujours fidèle à son quartier « historique » où elle a installé un laboratoire et une unité informatique à deux rues des premiers bureaux, la société, qui emploie une cinquantaine de personnes, contribue à la détection et à une meilleure connaissance d’une quarantaine de virus et bactéries et livre ses solutions à des laboratoires du monde entier. Rencontre avec le Docteur Sayada.
Quel a été votre parcours et qu’est-ce qui vous a donné envie de créer ABL ?
Je suis médecin biologiste et chercheur. J’ai fait mes études en France et j’y ai créé plusieurs sociétés, ce qui fait que je me définis plutôt comme un entrepreneur. J’ai toujours préféré la recherche appliquée à la recherche fondamentale. Ce qui me motive, c'est le bénéfice pour le patient. Si en plus l’activité est profitable, c’est encore mieux ! Créer une société représente un coût et un risque, la recherche du retour sur investissement est donc évidemment présente, d’où l’importance des brevets. Depuis le début de ma vie professionnelle, je suis passionné par l’innovation dans le domaine de la médecine infectieuse, c’est-à-dire celle qui s’intéresse aux virus et aux bactéries. J’ai toujours eu envie de faire bouger les choses et la volonté de développer des activités, dans le domaine médical car cela correspond à ma compétence. C’est ma contribution à la médecine car, par ailleurs, j’aurais fait un très mauvais médecin. Je ne suis pas assez patient ! L’idée, derrière la création d’ABL, est la médecine personnalisée grâce à l’utilisation de tests et d’outils de diagnostic, associés à un logiciel d’interprétation des résultats. En partant du fait que la médecine coûte cher, si on la rend plus efficace, tout le monde sera gagnant. Il est tout à fait possible d’améliorer la façon dont on traite les maladies chroniques en optimisant leur suivi diagnostic. Avec les moyens techniques dont nous disposons, il est en effet possible de proposer des prises en charge individualisées plutôt que standard. Cela permet d’éviter des traitements inutiles susceptibles de provoquer des effets indésirables, voire la dégradation de l’état de santé du patient, ou d’adapter la durée du traitement de façon beaucoup plus fine. Au final, le coût est moins élevé et tout le monde y gagne. C’est cela que nous cherchons à faire, chez ABL.
Pourquoi avoir choisi le Luxembourg pour fonder la société ?
Le logiciel sur lequel nous nous appuyons pour créer nos dispositifs a été développé par le CRP Santé du Luxembourg (devenu LIH, ndlr). ABL s’est donc associée à cette entité, ce qui lui a permis de bénéficier de la caution scientifique d’un organisme de recherche reconnu. Il était dès lors naturel de nous établir ici. Par la suite, j’ai découvert que le Luxembourg proposait un environnement de choix pour établir et développer une société. La grande stabilité du cadre légal permet de construire une activité économique pérenne. Et le pays a des atouts pour attirer les profils dont nous avons besoin. Le Luxembourg s’inscrit dans une vision moderne en investissant dans un écosystème favorable à la diversification de l’économie.
Pouvez-vous décrire les activités de l’entreprise ? Diriez-vous que la R&D est votre coeur de métier ?
Nous faisons de la recherche, du développement et de la commercialisation de dispositifs médicaux propriétaires dans le domaine du diagnostic. Nous menons en permanence des nouveaux programmes de recherche à court et moyen terme (un à trois ans). L’un de nos marchés est la mesure de la valeur pronostic des variants des virus et bactéries, c’est-à-dire la prédiction de leur virulence et de leur résilience.
Nous nous sommes spécialisés dans les maladies chroniques infectieuses. En développant nos propres produits, nous maîtrisons nos marges et nous avons une clientèle fidèle. Notre base de clients s’élargit à mesure que nous gagnons de nouveaux patients, tout en gardant les anciens pour le suivi de leur pathologie. Notre plus gros défi est d’identifier des produits, donc des applications de nos savoir-faire, qui aient du potentiel de compétitivité sur le long terme et que des clients sont prêts à acheter. En fait, c’est cela, notre savoir-faire principal.
Une fois qu’on a lancé un bon produit, on peut l’améliorer et offrir toujours plus pour des coûts de développement moins élevés, ce qui permet de rester compétitifs par rapport à la concurrence. Nous augmentons ainsi notre productivité. C’est un peu comme le surf, nous cherchons toujours la vague la plus haute.
Les logiciels de diagnostic fonctionnent-ils tous sur le même principe ? Comment cela marche-t-il ?
Oui, il s’agit à chaque fois du même principe. Nous commercialisons des kits de tests qui sont utilisés par des laboratoires et dont les résultats sont « lus » par des logiciels alimentés par des algorithmes que nous concevons et mettons à jour régulièrement. Pour cela, nous avons une équipe d’une vingtaine de bio-informaticiens dans notre pôle IT. Pour établir un diagnostic, les algorithmes comparent les résultats à des bases de données existantes dont nous achetons les licences auprès d’instituts de recherche. Au début, nous équipions les laboratoires d’une machine de lecture qui renfermait notre logiciel et était prête à l’emploi. Maintenant, tout est dans un « cloud » sécurisé et dédié aux données de santé, et les laboratoires n’ont plus qu’à rentrer sur une interface web les valeurs mesurées par les kits pour accéder aux résultats. Nos tests de laboratoire et nos logiciels sont des produits vendus séparément. Un laboratoire peut très bien acheter nos tests et acquérir un logiciel auprès d’une autre société. Nous faisons donc en sorte de développer les meilleurs produits pour gagner la préférence des clients, mais ceux-ci sont libres de leur choix.
Comment choisissez-vous les pathologies sur lesquelles travailler ?
Les pathologies visées doivent être chroniques, faire intervenir un virus ou une bactérie et nous devons avoir identifié un besoin mal servi (« unmet medical need » en anglais). Ensuite il faut que cela corresponde aux compétences de notre laboratoire. Une fois que ces critères sont réunis, il n’y a aucun frein. Le spectre des maladies concernées est très large. Notre chaîne de compétences est extrêmement bien rodée. Cela nous a permis de réagir très vite à l’arrivée de la Covid, qui a donné un coup d’accélérateur à la société avec le lancement de 10 produits nouveaux depuis le début de la pandémie.
Pour la Covid, vous collaborez avec le Laboratoire National de santé (LNS). Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette collaboration ?
Avec le LNS, nous collaborons dans le cadre d’un public private partnership (PPP). Au sein du LNS, nous avons accès à des compétences précieuses. Du personnel d’ABL travaille donc avec eux pour chercher, développer des solutions, les tester, les valider et les enregistrer. Avec la Covid, nous avons réalisé que nous devions nous préparer à affronter d’autres pandémies. Donc nous sommes dans une démarche préventive avec le LNS. Nous essayons d’être prêts pour n’importe quelle crise sanitaire. L’un des produits que nous développons actuellement est un test à faire chez soi, simple d’utilisation, très rapide et sécurisé, avec transmission digitale. À l’avenir, ce genre de dispositif sera précieux pour pouvoir tester facilement et rapidement les populations de régions entières (« mass testing »). L’objectif final est d’aborder de futures pandémies plus sereinement en préservant mieux la qualité de vie des individus et l’économie des pays touchés, les résultats de ces tests à grande échelle permettant de moduler géographiquement, de manière fine, les mesures de restriction.
Qui sont vos clients ? Où sont-ils situés ?
Nos clients sont principalement des laboratoires d’analyse médicale, hospitaliers ou privés. Nous fournissons également quelques laboratoires pharmaceutiques et quelques ONG. Tout ce que nous développons est à visée internationale même si les investissements se font au Luxembourg. Nos produits sont distribués dans 46 pays, surtout en Europe et en Afrique, où nous avons fait nos premières armes avec le virus du sida, très présent sur ce continent, mais aussi au Moyen-Orient et en Amérique du Sud. Nous avons ouvert un bureau aux États-Unis, juste avant le début de la pandémie de Covid. Ce pays représente un tiers du marché mondial dans notre spécialité mais il est très difficile à pénétrer à cause de son cadre réglementaire très spécifique.
C’est pourquoi il est indispensable d’y avoir une filiale avec une équipe technique et une équipe commerciale locales. Notre succès en Europe ne prédit pas que nous allons connaître la même réussite aux États-Unis. Nous ne sommes qu’aux débuts de ce développement.
Comment trouvez-vous les distributeurs dans les différentes zones du monde ? Quels sont vos critères ?
Nous construisons un réseau de distributeurs exclusifs. Nous ne mandatons donc jamais deux distributeurs sur un même marché. Nous en avons un par pays ou groupe de pays proches. Nous sommes très sélectifs. Il faut que ces distributeurs n’aient pas dans leur portefeuille de produits concurrents aux nôtres, qu’ils connaissent parfaitement leur marché et vendent déjà des produits et solutions aux laboratoires d’analyse médicale puisqu’il s’agit de notre clientèle cible. En contrepartie, nous leur donnons une marge importante. Ainsi, nous disposons d’un réseau très complet qui nous permet de distribuer très rapidement et efficacement nos nouveaux produits. Pour nous aider à renforcer notre notoriété et notre réputation dans les différentes régions du monde, nous participons à des congrès et colloques. Pour nous, il est important que nous soyons connus des 300 meilleurs experts mondiaux en virologie et microbiologie. Une fois que ceux-ci sont convaincus par nos produits, la pénétration des marchés est facilitée.
Pour vous développer, vous avez des recrutements en cours…
Oui, nous avons au moins 10 postes ouverts. Pour les pourvoir, nous communiquons à l’échelle de la Grande Région principalement. Comme il n’est pas aisé de trouver les bonnes personnes, nous apportons un soin particulier à faire évoluer les gens en interne pour les fidéliser. L’importance de constituer et garder une équipe talentueuse stable est l’une des raisons pour lesquelles nous gardons nos bureaux en plein centreville car ce point est très apprécié des équipes. La mémoire des salariés les plus anciens est capitale dans notre domaine. Nous ne voulons rien faire qui risquerait de nous faire perdre certains profils donc nous restons à Belair, notre quartier « historique » qui plaît aux employés, même si c’est effectivement plus cher qu’ailleurs pour héberger une entreprise.
Quelles perspectives et projets avezvous pour l’avenir ?
Chaque trimestre, nous avons de nouveaux produits qui sortent de R&D. Nous faisons une veille permanente sur les opportunités technologiques. Mais surtout, nous venons de finaliser une importante acquisition, qui sera un vrai tremplin pour notre développement futur et qui pérennisera notre croissance, notamment grâce au développement de nouvelles activités dans le domaine du diagnostic par génotypage de maladies infectieuses. Nous sommes en train de passer un cap, avec l’objectif de devenir un fleuron mondial. Nous sommes notamment positionnés sur le créneau très porteur de la détection des mutations de virus et bactéries et nous voulons avoir un portefeuille de produits couvrant au moins 80 % des virus et bactéries existants.
Plus d'informations: www.ablsa.com
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize