Success stories
Marcel Wilwert & Nico Godart, co-fondateurs et co-associés

Une poignée d’ingénieurs animés par la volonté de changer le paradigme de l’utilisation de l’eau par les hommes, se sont réunis en 2015 pour créer Ama Mundu, société spécialisée dans le fractionnement et la valorisation des déchets liquides issus de l’agriculture, de l’industrie et de l’urbanisation. La petite société luxembourgeoise s’est associée avec un acteur français pour la fabrication des machines qui font fonctionner sa technologie brevetée. Elle est à la recherche d’un partenaire luxembourgeois pour faire de même sur le sol national et créer ensemble une pépite de l’économie circulaire. Rencontre avec Marcel Wilwert, l’un des fondateurs et Nico Godart qui a rejoint l’entreprise dès le début en tant qu’expert en agriculture et biogaz. 

Quelle est l’histoire de la création d’Ama Mundu ? 

Marcel Wilwert : Emmanuel Trouvé, Michel Reckinger et moi-même, passionnés et engagés, sommes unis par des liens d’amitié et par une même volonté d’apporter une réponse écologique et économique à la problématique du traitement de l’eau. Sachant que l’eau est l’un des biens les plus précieux - car sans eau il ne peut pas y avoir de vie - nous avons décidé de faire quelque chose pour sa préservation. Nous nous sommes lancés avec 30.000 euros de fonds propres et nous avons mis au point une technologie avec comme objectif et raison d’être de produire de l’eau pure à partir d’eau souillée, habituellement considérée comme un déchet. D’où le nom de notre société qui combine Ama, qui signifie eau en langue cherokee et Mundu qui vient du mot latin mundus signifiant propre, net mais aussi pur et purifié. Donc nous avons regardé où il y avait de possibles stocks d’eau à purifier et nous avons ciblé plusieurs domaines, notamment l’agriculture, l’industrie, le biogaz, les eaux usées urbaines et les Eco-quartiers. La logique actuelle est encore trop souvent linéaire. Avec moins d’émission de CO2, moins de stockage, zéro déchet et une faible consommation en énergie, la solution d’Ama Mundu s’inscrit pleinement dans l’économie circulaire. 

Comment êtes-vous passés de cette idée à un business model ? 

M.W. : Nous étions animés par un idéal mais dans la réalité il nous fallait concevoir un produit réellement utile, qui puisse se vendre. Nous avons conçu un système de filtrage hyper puissant et performant mais cela ne suffisait pas, car pour convaincre des clients il fallait leur fournir un produit clé en main, directement utilisable. Pour construire des machines prêtes à l’emploi, il aurait fallu embaucher des électriciens, des soudeurs, des métallurgistes, des gens de process, tout cela avant même d’avoir reçu une première commande. Il nous fallait au moins construire un prototype pour démontrer que notre technologie permet de faire entrer l’eau la plus sale qui soit et d’obtenir à la sortie une eau tellement pure qu’elle atteint les normes de l’eau potable. Nous avons donc fait une joint-venture avec Nereus, la société de notre co-fondateur et co-associé Emmanuel Trouvé, située dans le sud de la France, qui possédait les ressources pour construire les machines nécessaires pour faire fonctionner nos filtres. Le cœur des machines, constitué de disques en céramique dynamique ayant une porosité en taille Nano, pour la séparation mécanique des liquides, donc sans chimie, est fabriqué au Luxembourg.  Puis il est exporté en France où Nereus prend le relais pour la construction des machines complètes et leur mise en service chez les clients. 

Estimez-vous que votre entreprise est encore une startup ou déjà une success story ? 

Nico Godart : Nous avons une dimension encore un peu artisanale, mais nous ne sommes plus une startup car toutes les étapes de recherche et de mise au point de notre technologie sont achevées. Tout est prêt désormais pour produire en série. 

Maintenant que nous avons éprouvé notre technologie avec plusieurs effluents (eaux usées domestiques, agricoles ou urbaines, ndlr) particulièrement complexes comme par exemple le lisier agricole, nous allons pouvoir nous attaquer à des marchés variés comme les centrales biogaz, l’industrie agro-alimentaire, les stations d’épuration, les écoquartiers ou encore les hôtels qui ont tous des besoins de recyclage de leurs eaux usées. Nous souhaitons aller vers les marchés qui ont le plus fort impact positif sur l’environnement. 

M.W. : Notre technologie a démontré son efficacité et nous n’avons plus peur de nous rapprocher d’acteurs de grande taille pour faire des joint-ventures. Par contre, nous tenons à notre indépendance et ne voulons pas céder la majorité de la société, surtout que notre business model a désormais fait ses preuves. Nous aimerions beaucoup trouver un partenaire luxembourgeois prêt à nous accompagner dans l’aventure de notre développement et qui aurait les capacités de construire les machines dont nous avons besoin, comme le fait notre partenaire français. Nous cherchons également toujours des partenaires dans les différents pays où nous exportons, pour l’installation et la maintenance des machines. Ils peuvent être issus du secteur des fluides du bâtiment ou de l’industrie (chauffage/climatisation/nettoyage, ndlr), car les techniques mises en œuvre sont assez proches.  

Qui sont vos premiers clients ? 

N.G. : Au début, nous nous sommes concentrés sur le secteur agricole et le traitement du lisier de biogaz (liquide restant après la digestion des matières premières organique, ndlr). En choisissant ces marchés, nous avons traité d’amblée les eaux les plus sales et les plus difficile à purifier. Maintenant que nous avons démontré que nous obtenions des résultats probants sur ces segments, d’autres secteurs s’intéressent à nos solutions, dont l’industrie et le bâtiment. 

M.W. : L’effet « waouh » est garanti quand on montre l’eau qui sort de nos machines alors qu’au départ il s’agit de liquides ayant la couleur de la boue. C’est ce que nous démontrions avec notre machine prototype, mais comme personne n’avait réussi cela auparavant et que nous étions petits et inconnus, il a fallu convaincre. Après le prototype, nous avons fabriqué une pré-série de machines que nous avons mises en location chez des agriculteurs. 

N.G. : Aujourd’hui, nous avons une vingtaine de machines installées en Europe, dans les secteurs de l’agro-alimentaire, de l’industrie, du biogaz et du camping. Notre plus grosse installation tourne dans une distillerie de rhum en Martinique. Là, nous filtrons la vinasse (résidu de la distillation, ndlr) et l’eau propre que nous produisons sert à mouiller les cannes en entrée de rhumerie, tandis que les concentrés extraits des vinasses sont compostés avec les résidus secs de canne à sucre. Donc l´eau usée de la production est transformée en deux fractions :  de l’eau propre qui se substitue à autant d’eau potable qui est ainsi économisée et une eau qui sert pour améliorer le processus de compostage et ramène de cette façon les nutriments à nouveau d’où ils proviennent. 

M.W. : Nous savons aussi qu’il y a un gros potentiel de développement en Allemagne pour le traitement des digestats des centrales de biogaz mais avant de nous lancer sur ce marché, nous devons conclure une joint-venture avec un partenaire local pour l’installation et la maintenance des machines. 

Avez-vous des débouchés au Luxembourg ou principalement à l’international ? 

N.G. : Pour le moment nous n’avons qu’une seule machine au Grand-Duché, installée depuis trois ans au SIDEST (Syndicat Intercommunal de Dépollution des Eaux Résiduaires de l’Est) à Waldbillig (Région Mullerthal). Ce client est très satisfait. Je voudrais en profiter pour dire que notre solution est idéale pour agrandir des stations d’épuration qui ont besoin d’augmenter rapidement leur capacité. Elle ne nécessite pas de gros travaux et elle est amovible. Le jour où le besoin disparait, par exemple quand une extension en dur a été construite, on démonte le dispositif et on le déplace ailleurs. Les machines sont réutilisables. Notre solution peut être mise en place en 2 à 3 mois, entre la commande et l’installation, car nous produisons à la demande, alors qu’une construction en dur nécessite 2 à 3 ans de démarches et de travaux. De plus, tous les éléments de nos machines sont recyclables, y compris le moteur, alors qu’une construction en béton est quasi impossible à démonter et à réutiliser. Notre solution peut donc être intéressante pour rapprocher les points de traitement des eaux usées des habitations, plutôt que de continuer à transporter des eaux usées sur des kilomètres de canalisations. Cela permet d’imaginer qu’une ville ou au moins un quartier peut très bien consommer son eau en forte recirculation avec un petit appoint d’eau de pluie. Dans ce contexte nous avons remporté, grâce à Nereus, un marché très prestigieux pour un grand événement international qui aura lieu en 2024 à Paris pour a Société de Livraison des Ouvrages Olympiques (Solideo). Dans cette soumission nous avons été retenus pour un projet d’écoquartier. En cours de route ils nous ont demandé de fournir également notre solution pour les ilots de chaleur urbain.  

Y a -t-il une solution pour traiter les eaux de nettoyage des bâtiments vitrés qui sont de plus en plus nombreux et sont très consommateurs d’eau ? 

M.W. : Oui c’est techniquement faisable à partir du moment où on collecte ces eaux usées de lavage. Par contre il n’est pas sûr que cela soit autorisé car la législation luxembourgeoise n’est pas encore adaptée, puisqu’elle date d’une époque où la gestion de l’eau était linéaire : prélèvement de l’eau dans la nature, une seule utilisation, un traitement pour le rejet. De plus il est interdit de proposer l’eau recyclée par nos systèmes en tant qu’eau potable, alors que les analyses de cette eau recyclée remplissent les normes en vigueur. Cela complique les choses car elle ne peut pas être réinjectée tout simplement en amont des systèmes d’eau potable. À l’heure actuelle, elle est déjà utilisable dans les sanitaires, pour l’arrosage et pour certains nettoyages mais la consommation humaine n’est pas autorisée. En fait, notre technologie cumule trois phases qui font qu’il n’y a plus aucune impureté à la fin : le filtrage, l´hygiénisation par la montée en température et enfin l’osmose. C’est un système comparable à celui utilisé dans l’ISS (International Space Station en anglais ou Station spatiale internationale, ndlr) en un peu moins sophistiqué, donc extrêmement fiable. 

Comment faites-vous connaître vos solutions ? 

N.G. : Pour nous, les salons et les foires sont très importants. Par exemple, au cours du dernier salon Pollutec qui s’est tenu à Lyon du 12 au 15 octobre 2021, nous avons rencontrés une multitude de prospects potentiellement intéressés. Nous avons aussi eu un contact intéressant avec une société allemande du domaine des eaux usées. Pour début 2022 nous avons déjà programmé des discussions avec ce partenaire potentiel pour une joint-venture d’installation et de maintenance pour le marché allemand. Ce salon a lieu tous les deux ans en alternance avec le salon IFAT de Munich, consacré à la gestion de l'eau, des eaux usées, des déchets et des matières premières. 

Le fait d’être actif dans l’économie circulaire vous aide-t-il à obtenir des aides et à promouvoir vos solutions ? 

M.W. : Nous avons bénéficié d’aides au départ, quand nous étions encore au stade de startup. Maintenant, ce sont les sociétés qui investiraient dans notre solution qui bénéficieraient de subventions. Nous avons toujours été soutenus par le ministère de l’Economie. Pour la promotion, nous avons la chance d’avoir remporté de nombreux prix et trophées qui nous donnent de la visibilité, comme le Prix de l'Environnement de la FEDIL en 2017 ou le People’s vote Project, organisé par IMS dans le cadre de la stratégie Troisième Révolution Industrielle où nous avons été récompensés dans la catégorie industrie la même année. En juillet 2018, Ama Mundu a reçu une mention spéciale du prix Etika.  

N.G. : Nous avons aussi l’immense fierté que notre technologie a été labellisée Solar Impulse Efficient Solution et qu’elle fait donc fait partie des 1.000 solutions pour relever les défis environnementaux tout en favorisant la croissance économique, identifiées par la fondation Solar Impulse de Bertrand Piccard. 

Êtes -vous impactés par l’augmentation du prix des matières premières et les difficultés actuelles d’approvisionnement ? 

M.W. : Oui, la conjoncture actuelle a un impact sur les coûts et les délais d’approvisionnement de certaines pièces nécessaires à la construction de nos machines. Mais heureusement, nous en avons quelques-unes en stock. Elles étaient en location temporaire chez plusieurs clients pour démonstration. 

N.G. : Ces machines sont maintenant disponibles à la vente. Nous projetons d’en construire 30 à 50 autres en 2022-2023. Cette quantité ne donne pas lieu à une fabrication de masse et cela nous permet d’aborder cette période de pénurie relativement sereinement, car notre taille et notre mode de production flexible nous préserve. Nous serons totalement prêts lors de la sortie de crise. Pour certaines pièces, nous pouvons changer de fournisseur, nous avons de la souplesse. Par contre, notre technologie est unique et exclusive. Elle a donc de beaux jours devant elle. 

Quelles sont vos perspectives d’avenir ? 

N.G. : Nous souhaitons continuer à faire de la vraie économie circulaire. Nous avons une bonne technologie qui peut résoudre pas mal de problème. Notre objectif est donc de nous développer mondialement. 

M.W. : L’une de nos priorités est de trouver un partenaire au Luxembourg pour la partie construction de machines à des coûts compatibles avec les marchés ciblés. Nous sommes convaincus qu’il existe des entreprises qui ont cette capacité, notamment dans le secteur de la construction. Notre proposition de partenariat peut très bien convenir à un acteur petit ou moyen qui voudrait grandir avec nous. En termes de segments de marchés, nous allons viser les industries utilisatrices d’eau et les usines de biogaz qui représentent un fort potentiel, puis nous souhaitons répondre aux besoins des villes durables (écoquartiers, éco bâtiments, ilots de chaleur urbains, petit cycle de l’eau) qui vont, elles aussi, devoir s’adapter au changement climatique un peu partout. 

Plus d'information : www.ama-mundu.com

TEXTE Catherine Moisy / PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize  

Le SIDEST (Syndicat Intercommunal de Dépollution des Eaux Résiduaires de l’Est) de Waldbillig dans le Mullerthal où une machine Ama Mundu est installée depuis trois ans.
Le SIDEST (Syndicat Intercommunal de Dépollution des Eaux Résiduaires de l’Est) de Waldbillig dans le Mullerthal où une machine Ama Mundu est installée depuis trois ans.
La technologie d’Ama Mundu tient dans quelques conteneurs. Elle peut donc facilement être démontée et déplacée.
Le système de filtration ne fait pas appel à la chimie. Il repose sur des filtres en céramique dynamique ayant une porosité en taille Nano et retient donc les plus petites particules d’impuretés
Le cœur de la machine. Les disques de filtrage sont situés dans les gros tubes blancs.
Le cœur de la machine. Les disques de filtrage sont situés dans les gros tubes blancs.
Le cœur de la machine. Les disques de filtrage sont situés dans les gros tubes blancs.
Le cœur de la machine. Les disques de filtrage sont situés dans les gros tubes blancs.
Un écran de contrôle permet à l’opérateur de suivre la bonne marche du filtrage.