Dans le Centre Commercial Zolwereck à Soleuvre, il existe une caverne d’Ali Baba rassemblant de quoi satisfaire toutes les papilles, des plus curieuses aux plus difficiles : l’épicerie fine Amuse-bouche, créée en 2015 par Camille Ney, plus connu pour ses autres métiers. De longue date en effet, Camille est chef de produit radio et manager d‘IP Productions au sein de la régie publicitaire IP Luxembourg appartenant au groupe RTL et possède par ailleurs une société spécialisée dans l’animation d’événements. Mais ces deux activités ne suffisaient visiblement pas à ce boulimique de travail qui a donc rajouté à son arc une nouvelle corde gourmande, non moins exigeante que les deux autres et pour laquelle il arrive à trouver encore quelques heures dans sa semaine. Entre deux rendez-vous, au moment du déjeuner, il a accepté de nous en dire plus sur la dernière de ses créations entrepreneuriales.
Bien connu dans le monde des médias et celui de l’événementiel, qu’est- ce qui vous a donné envie d’ouvrir une épicerie fine en 2015?
Il est vrai que j’ai plusieurs casquettes. Il est vrai aussi que j’aime boire et manger. Il se trouve que j’ai animé les émissions Viva Vakanz et Viva la vida sur RTL pendant 25 ans. Pour cela, j’ai beaucoup voyagé et j’avais l’habitude de terminer mes séjours à l’étranger par une petite visite dans une épicerie fine pour rapporter des souvenirs gourmands. Je me suis mis à rêver d’ouvrir un restaurant avec une épicerie où l’on retrouverait les produits utilisés par le chef. J’ai parlé de cette idée à plusieurs chefs de mon entourage et ils m’ont fait prendre conscience que la tenue d’un restaurant serait incompatible avec mes autres activités. Un jour, pour la radio, j’ai eu l’occasion d’aller interviewer, autour d’un café, le gérant du centre commercial Zolwereck à Soleuvre. J’y ai remarqué un local commercial inoccupé. Je dis souvent que ce fut «l’espresso le plus cher de ma vie» car au bout de 10 minutes, nous avons décidé de nous lancer, lui et moi, dans un projet de vinothèque-épicerie fine car il avait depuis longtemps, à peu de choses près, le même rêve.
Comment êtes-vous passé de l’idée à la concrétisation?
Notre idée de base était de proposer quelque chose de différent, surtout par rapport aux grandes surfaces alimentaires. Nous avons donc créé un concept de vinothèque et épicerie fine proposant uniquement une offre de petits producteurs, avec un bon rapport qualité/prix et des emballages originaux. Nous souhaitions avoir un maximum de produits exclusifs. Nous avons donc fait le tour de nos connaissances et de leurs réseaux à l’étranger pour dénicher des produits que l’on ne trouvait pas encore au Luxembourg. Notre point de vente propose ainsi près de 200 références de vins et environ 1.200 produits d’épicerie, ce qui est vraiment énorme. J’ai beaucoup investi dans la structure du magasin et dans son décor pour que les clients s’y sentent bien et, au bout de sept ans, je peux maintenant dire que le magasin correspond vraiment à ce que j’avais imaginé. C’est un monde de cadeaux! Comme je viens de l’univers des médias et de l’événementiel, ma patte personnelle est l’organisation de soirées thématiques. Avant la covid, j’en organisais 30 à 40 par an, en faisant venir un vigneron ou un chef. Le soir, le parking du centre commercial étant disponible, les convives pouvaient se garer facilement. Dans l’allée du centre commercial, face au magasin, j’installais une table d’hôte d’une quarantaine de couverts, qui se remplissait sur le principe du first booked, first served. Je mettais les invitations à disposition dans le magasin et je les postais sur Facebook. Ce type d’événement était parfait pour faire connaître le magasin. Nous allons relancer ces soirées dès le mois d’octobre grâce à un partenariat noué avec l’École d’Hôtellerie et de Tourisme de Diekirch.
Quelles difficultés ou opportunités avezvous rencontrées?
Quand on se lance dans un projet entrepreneurial il y a vraiment beaucoup d’étapes à franchir dont certaines sont des étapes de haute montagne! Je dirais que tout ce qui touche à l’équipement et au matériel n’est pas le plus compliqué. J’appelle cela le hardware du projet. Par contre, en ce qui concerne le software qui pour moi correspond à l’élément humain, c’est beaucoup plus compliqué. Constituer la bonne équipe, là est la principale difficulté car, pour un projet comme celui-ci, le personnel est un véritable élément différenciant. Celui-ci doit avoir le sens de l’accueil, du service, du conseil, tout un ensemble de qualités qui fait que l’expérience en magasin est positivement marquante pour le client. Nos produits sont un peu plus chers qu’en supermarché. Il faut donc que la qualité du service soit au rendez-vous. Trouver les personnes qui réunissent ces qualités et parlent si possible le luxembourgeois, n’est pas facile. Heureusement, j’ai réussi à constituer une bonne équipe de 3 personnes dont 2 parlent luxembourgeois, sur lesquelles je peux vraiment compter. J’ai la chance d’avoir une gérante exceptionnelle, une très bonne vendeuse française, originaire de Madagascar, avec un passé en gastronomie et une apprentie que j’espère beaucoup garder à l’issue de ses études.
Pourquoi avez-vous décidé de vous spécialiser dans les corbeilles cadeaux?
Nous voulions avoir une idée originale, pas juste vendre des produits de bouche de qualité. Or, personnellement, j’adore offrir des corbeilles car cela fait toujours plaisir. Chaque client peut composer sa corbeille sur mesure en fonction de son budget et des goûts de la personne destinataire. Nous proposons un grand choix de contenants, tous réutilisables une fois vides. Chaque contenant est donc un cadeau en soi. Pour trouver des objets originaux, nous allons sur des foires spécialisées en décoration, par exemple. De ce fait, notre offre est donc assez unique au Luxembourg, même s’il existe bien d’autres épiceries fines.
Avez-vous des trucs et astuces pour mener de front un job à plein temps et un projet entrepreneurial?
Il n’y a pas d’astuces, il faut juste une grande rigueur dans tout ce que l’on fait, en séparant nettement les différentes activités. Je dirais qu’il faut apprendre de ses erreurs, garder un esprit positif et surtout il faut être prêt à consacrer beaucoup d’heures à sa vie professionnelle. Mes journées font entre 12 et 14 heures. Mais ce n’est pas un problème pour moi car j’ai tendance à être «workaholic». Même une fois en retraite, je pense que je continuerai à travailler. Il faut dire que l’entrepreneuriat est plus qu’un travail. C’est ma vie. En ce qui concerne le magasin, j’y suis presque tous les samedis et je m’occupe en particulier de faire déguster les produits. Les clients apprécient beaucoup ce genre d’attentions.
L’activité de l’épicerie est-elle très saisonnière?
Nous sommes effectivement assez tributaires de quelques très grosses périodes dans l’année comme Pâques, la fête des Mères, la fête des pères et surtout, la fin d’année qui représente 3 fois le chiffre d’affaires d’un mois normal et qu’il ne faut donc surtout pas rater. Cela fait deux ans que nous constatons aussi un pic fin juin-début juillet pour les cadeaux aux enseignants pour fêter la fin de l’année scolaire. Tout au long de l’année, les cadeaux aux collègues pour les départs en retraite ou autres marchent très bien aussi. Si on regarde l’activité au niveau d’une semaine type, la fréquentation et le chiffre d’affaires vont crescendo du lundi au samedi.
Les clients sont-ils fidèles? Sont-ils de bons ambassadeurs du magasin?
Dans un petit pays comme le Luxembourg, la meilleure publicité est en effet le bouche à oreille. Quand quelque chose vous est recommandé par un ami, vous y accordez de l’importance. Mais nos meilleures ambassadrices sont nos corbeilles elles-mêmes. Dans chacune d'elles, nous glissons un flyer. Ainsi, la personne qui la reçoit sait d’où elle provient et si elle est satisfaite, peut à son tour venir acheter quelque chose à offrir. D’où le soin que nous mettons dans les outils marketing, à commencer par le nom et le logo, qui sont percutants et sympathiques et que les gens retiennent facilement. Ensuite, nous soignons la relation client. Au moindre mécontentement exprimé, nous offrons un petit cadeau. Et puis nous installons un climat convivial dans le magasin. Du jeudi au samedi, s’il n’y a pas trop d’affluence, nous n’hésitons pas à ouvrir une bouteille et à offrir un verre de vin ou de crémant aux clients. Chaque bouteille ouverte génère des ventes.
Avez-vous opté immédiatement pour la vente en ligne en plus de votre magasin physique?
Au tout début, faute de moyens, nous ne faisions pas de vente en ligne mais nous avons été parmi les premiers sur letzshop.lu. La plateforme, lancée par l’État pour aider les commerçants a véritablement pris son essor lors du confinement de Pâques 2020. Nous avons réalisé plus de 10.000 euros de ventes grâce à ce canal pendant les deux mois du confinement. Après avoir suivi un programme Fit 4 Digital de Luxinnovation et avoir été accompagné par les équipes dédiées à la digitalisation de la House of Entrepreneurship, j’ai décidé de lancer une véritable boutique en ligne. Nous sommes actuellement en phase de développement, mais je veux prendre le temps de le faire correctement avec un ensemble de fonctionnalités que je juge indispensables. Par exemple, nous allons lier le module de vente en ligne avec la base de données du stock pour ne pas proposer à la vente des produits indisponibles. Ainsi, si le stock est à 0, le produit n’apparait plus et il redevient visible dès que le stock est reconstitué. Je souhaite aussi pouvoir disposer d’éléments de reporting assez fins comme le suivi du parcours du client en ligne, voir ce qu’il met dans son panier même si l’achat n’est pas finalisé pour savoir ce qui intéresse et ce qui plaît. Je veux pouvoir connaître le nombre d’abandons d’achat entre la constitution du panier et le passage en caisse pour savoir si le prix de la livraison est un frein; je voudrais aussi que le site permette le tracking en temps réel de la livraison pour informer au mieux les clients, ce qui est important pour des produits alimentaires. Pour le moment, en cumulant Letzshop et les quelques ventes sur notre site actuel, nous réalisons 10% de notre chiffre d’affaires en ligne. Nous voulons absolument développer cette part de notre activité grâce au futur e-shop. Parallèlement, grâce au programme Fit 4 Digital, nous avons aussi modernisé complètement notre système de caisses pour anticiper le paperless. Cette démarche nous a permis d’améliorer notre système de commandes, le contrôle des livraisons, le suivi des stocks et nous permet d’établir des factures électroniques directement envoyées par la caisse si le client le souhaite. Nous avons mené ce projet avec un prestataire agréé Fit 4 Digital: ainsi, les actualisations du système sont garanties.
Comment avez-vous déterminé le seuil de commande nécessaire pour pouvoir bénéficier d’une livraison gratuite?
Pendant 5 ans, nous avons livré partout gratuitement à partir de 50 euros d’achats. Mais le prestataire que nous avions à l’époque n’était pas tout à fait adapté à la livraison de produits alimentaires. Suite à quelques réclamations, nous avons changé de partenaire. Celui que nous avons maintenant offre un très bon service mais il est un peu plus cher. Nous avons donc dû adapter le montant à partir duquel nous offrons une livraison gratuite, qui est maintenant fixé à 75 euros. Nous livrons uniquement au Luxembourg, d’une part car les produits alcoolisés ne peuvent pas passer de frontières sans déclaration et d’autre part car le rapport entre le coût d’une livraison internationale et la valeur de la marchandise transportée n’est pas soutenable pour les produits alimentaires; sans compter le risque que les produits s’abîment durant le transport.
Utilisez-vous les réseaux sociaux pour faire la promotion des produits?
Oui, surtout Facebook et Instagram qui sont très efficaces. Presque chaque produit posté sur ces réseaux génère des ventes. Nous le savons car les gens nous le disent en arrivant en magasin. Il est très important que les photos soient d’excellente qualité. C’est pourquoi nous travaillons avec une photographe professionnelle en charge de nos médias sociaux. Par contre, il n’est pas possible de promouvoir des produits alcoolisés sur ces plateformes américaines.
Comment faites-vous le sourcing de vos produits ?
Nous parcourons les salons durant les week-ends. Environ la moitié de l’assortiment correspond à des best-sellers que nous proposons toute l’année. Cela représente plusieurs centaines de références. Le reste est composé de nouveautés ou de produits saisonniers. Avez-vous été impacté par la crise Covid? J’estime que nos pertes se sont élevées à plus de 100.000 euros. Nous nous sommes vraiment demandé si nous allions pouvoir continuer l’activité mais nous avons finalement décidé de croire en des jours meilleurs. Par contre, je venais d’ouvrir un pop-up store à Ettelbruck, qui aurait pu être pérennisé en cas de succès. Nous avons dû le fermer et licencier une personne tout juste embauchée. Heureusement, il y a eu la campagne de bons d’achats Kaaft lokal lancée par le Gouvernement pour inciter les gens à acheter des produits locaux et à soutenir les magasins locaux. Du coup, l’année 2021 a été une année record et cela nous a sauvés.
Quelles sont vos perspectives d’avenir?
Nous constatons chaque jour des hausses de prix sur les produits alimentaires. Certaines sont justifiées et d’autres nous paraissent opportunistes. Mais ce jeu a ses limites car encore faut-il que les consommateurs soient prêts à payer. Nous remarquons aussi des difficultés d’approvisionnement sur certains produits et des problèmes sur les chaînes logistiques dus à un manque de maind’œuvre. Par exemple, sur la foire TrendSet de Munich à laquelle nous avons participé mi-juillet pour trouver des articles de décoration pour nos corbeilles, les fournisseurs étaient pour la plupart incapables de nous garantir des livraisons pour la fête des Pères en octobre, par manque de visibilité. Pour les fêtes de fin d’année, nous ne pouvons qu’encourager les clients à anticiper leurs commandes car il y a énormément d’incertitudes. Sur le chiffre d’affaires, la crise se fait sentir depuis le début de l’année. Nos ventes sont en baisse. Ce qui me rassure est que le nombre de clients est resté stable. C’est le panier moyen qui a baissé, donc je suis confiant qu’il repartira à la hausse dès la fin de la crise.
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TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize