Si le premier magasin Cactus a ouvert ses portes en 1967 à Bereldange, l’histoire de l’entreprise est en fait plus que centenaire, la toute première épicerie de la famille Leesch, propriétaire de l’enseigne, ayant vu le jour dans le quartier Gare en 1900. Aujourd’hui, plus de 4.500 personnes travaillent dans les 61 points de vente du groupe, ses ateliers de production, ses entrepôts et au siège. L’entreprise présente la particularité de ne quasi rien sous-traiter, ayant sa centrale d’achats, sa propre agence de communication et effectuant ses recrutements, ses développements IT… Ainsi, elle rassemble une centaine de métiers. Cette belle réussite est aussi le moteur d’engagements multiples en faveur, entre autres, de l’environnement, de la gestion des déchets, de l’éducation, du commerce équitable… Laurent Schonckert, administrateur-directeur depuis 20 ans, revient sur cette success story.
Selon vous quels facteurs expliquent le succès de Cactus ?
Selon moi, il faut poser la question aux consommateurs ! C’est une boutade mais en fait cela résume assez bien notre état d’esprit tourné vers les clients. Plus précisément, notre succès est le fruit de plusieurs facteurs qui ont tous leur importance. Nous avons d’abord plusieurs formats de points de vente, du très grand hypermarché à la petite boutique de station-service. Cela permet de nous adapter aux besoins et aux envies des consommateurs. Nous le voyons avec la crise Covid mais c’est vrai tout le temps. Ensuite, nos magasins se trouvent dans de bons emplacements, que nous identifions grâce à notre savoir-faire d’acteur historique luxembourgeois. Ensuite, nous produisons nous-mêmes toute une gamme de produits alimentaires, que ce soit en boucherie, en pâtisserie ou pour le rayon traiteur. Il s’agit donc de produits exclusifs dont nous maîtrisons la qualité artisanale, avec l’objectif qu’ils soient aussi bons, voire meilleurs que les autres produits de leur catégorie. Notre assortiment et les liens forts que nous entretenons avec des producteurs locaux sont d’autres de nos atouts. Enfin et surtout, la fidélité de notre personnel est une grande force. Nous investissons beaucoup dans la formation et tâchons de maintenir une ambiance familiale dans laquelle il est agréable de venir travailler. Je suis personnellement très attaché à cet état d’esprit que j’ai découvert tout jeune dans le café-restaurant que ma grand-mère possédait sur la Sûre. Pendant les vacances toute la famille y venait pour donner un coup de main. Chez Cactus, je retrouve cet esprit. Il n’est pas rare de voir plusieurs générations d’une même famille parmi nos employés. L’ensemble des facteurs dont je viens de parler sont d’égale importance et doivent tous être au rendez-vous car une réputation est fragile et le moindre problème dans un domaine peut rejaillir sur l’image globale de l’enseigne.
Comment s’organise la prise de décision entre vous et la famille Leesch ?
Notre relation est faite de respect mutuel et de confiance réciproque. C’est Paul Leesch qui m’a recruté en 1984 et quand son fils Max a pris la relève en 2001, il a souhaité continuer à travailler avec moi. Je le prends comme une preuve de bonne collaboration. Au quotidien, j’ai une grande autonomie de décision mais je sais quand je dois demander l’aval des actionnaires. Pour les nouveaux projets il y a toujours des discussions très ouvertes sur les plus et les moins, que l’idée vienne de la famille Leesch, de moi ou encore de quelqu’un d’autre dans l’organisation. Le processus est très démocratique mais bien entendu, la décision finale appartient à l’actionnaire.
Cela fait près de 40 ans que vous êtes entré dans l’entreprise. Comment se sont passés vos débuts ?
Quand j’étais étudiant, je jouais au foot dans un club soutenu par Cactus. Au cours de mon cursus il fallait faire un stage pratique et rédiger un mémoire. Pour ce stage, j’ai tout de suite pensé à Cactus, que je connaissais à travers le sponsoring de mon club. C’est comme cela que je suis entré chez Createam, l’agence de communication interne de Cactus. C’était l’époque du lancement des produits blancs, les produits sans marque. J’ai été chargé d’une étude sur le sujet pour laquelle je devais interroger des consommateurs. À la fin du stage, le chef du personnel m’a dit que je pouvais recontacter l’entreprise quand j’aurais terminé mes études de droit, ce que j’ai fait. L’ambiance chez Createam m’avait beaucoup plu et je n’étais pas attiré par la fonction publique, ni par le secteur banque/finance, au contraire de mes amis, qui continuent d’ailleurs à me surnommer « l’épicier ». J’ai donc commencé ma carrière chez Cactus en 1984 et j’ai eu de la chance parce que Paul Leesch m’a pris sous son aile. Il m’emmenait sur le terrain et m’apprenait à sortir de mon esprit cartésien pour adopter un regard de commerçant. J’ai fait partie de plusieurs groupes de travail sur les sujets du moment, le scanning, les cartes de paiement…et ainsi j’ai grandi au fur et à mesure des projets mis en place. À l’époque, il y avait peu d’universitaires dans l’entreprise, ce qui était ma chance mais il n’était pas facile pour autant d’apparaître légitime aux yeux des plus anciens. J’ai donc compris qu’il fallait beaucoup travailler, rester humble et respecter tout le monde pour mériter la confiance. Aujourd’hui encore, je m’efforce d’être toujours droit, sincère et objectif et de laisser ma porte ouverte à tout le monde pour garder le contact avec le terrain. Mes fonctions actuelles ne me permettent pas d’y être aussi souvent que je le souhaiterais mais heureusement, les bureaux étant situés juste derrière le centre commercial Belle Étoile, je ne suis pas déconnecté de la vie des magasins.
Vous êtes un ancien sportif de haut niveau et le sport est l’une de vos passions. Voyez-vous des points communs entre le sport et la direction d’une grande entreprise ?
Il y a plusieurs choses que j’ai apprises grâce au sport et qui me sont utiles dans ma vie professionnelle. D’abord, sur un terrain de foot, aucun joueur ne peut gagner le match tout seul. Toute l’équipe compte et toutes les personnalités ont quelque chose à apporter. Il faut composer avec l’ensemble des talents. Ensuite, quand on perd un match, cela ne signifie pas que l’on perdra le suivant. On aura forcément une nouvelle occasion de gagner. C’est pareil dans la vie des affaires ; il ne faut pas rester sur un échec mais aller de l’avant, regarder vers l’avenir et se préparer au match suivant. Le monde ne s’écroule pas après une défaite, il y a toujours une autre chance. Le sport apprend la patience et la persévérance. Cela dit, je n’aime pas perdre et je ne renonce pas facilement. Même aux cartes, mon épouse vous le confirmerait !
Vous dirigez Cactus depuis 20 ans. Quelles sont les évolutions qui vous ont le plus marqué concernant les comportements et les attentes des consommateurs ou la façon de faire du commerce ?
Beaucoup de choses ont changé. Les consommateurs sont beaucoup mieux informés qu’avant et sont donc plus critiques et exigeants. Ils sont aussi beaucoup plus conscients des enjeux écologiques. Parallèlement, le paysage concurrentiel s’est énormément développé, avec des propositions variées. On a par exemple vu arriver les enseignes allemandes de discount il y a une quinzaine d’années et ils ont beaucoup développé leurs réseaux. Tout cela fait que les clients ne se contentent plus d’une seule enseigne et sont beaucoup moins fidèles qu’avant. Ils font du « cherry picking » selon leur humeur et leur envie du moment. Un autre grand changement est l’évolution démographique. Le pays compte aujourd’hui un grand nombre de nationalités, ce qui se traduit par des clients très différents à servir. Cela représente un défi pour nous. Nous avons internationalisé nos assortiments, avec des achats auprès de fournisseurs anglais, portugais etc. mais le défi est aussi de faire savoir à toutes ces clientèles que notre enseigne s’adresse à tous et pas seulement à nos clients luxembourgeois de toujours. Nous communiquons de plus en plus à l’aide des réseaux sociaux. Cela nous permet detoucher tout le monde.
Dans un autre domaine, la dernière évolution que je souhaite souligner est qu’il est de plus en plus difficile de recruter dans les métiers de bouche artisanaux. Pour garder notre positionnement d’excellence nous passons des partenariats avec des écoles spécialisées, parfois situées à l’étranger comme le Centre de formation aux produits de la mer et de la terre de Boulogne-sur-Mer (France) pour les métiers de la poissonnerie ou la Richemont Craft School de Lucerne (Suisse), pour l’art de la boulangerie et de la pâtisserie.
Quels sont les « chantiers » en cours chez Cactus dans le domaine de la digitalisation ?
Sur ce sujet, il faut distinguer les points de vente et le back-office. Pour les points de ventes, on observe partout la tendance à vouloir remplacer le personnel de caisse par des technologies de scanning. Ce n’est pas notre philosophie. Nous pensons que conserver un contact humain à la fin du parcours d’achat est important. Les clients nous le disent, il y a un lien qui se crée entre eux et « leur caissière ». En revanche, en ce qui concerne le back-office, la digitalisation est très utile pour gérer les flux d’information, sans doubles saisies, depuis la réception des marchandises dans les entrepôts jusqu’à la sortie en caisse. Pour tout ce qui est commande et facturation, aussi bien avec nos fournisseurs que nos clients, la digitalisation apporte énormément. Mais nous gardons à l’esprit que le « tout informatique » crée de la vulnérabilité également. Nous en avons fait les frais en mai 2020, avec une cyberattaque qui nous a contraints à fermer trois de nos magasins pendant plusieurs jours. En conséquence, nous ne poussons pas à l’extrême les « chantiers » de digitalisation. Nous préférons réfléchir à l’amélioration continue de nos processus avec et sans digitalisation. Par exemple, nous améliorons les flux de travail dans les plus petites unités en mettant l’accent sur la multidisciplinarité du personnel.
La crise Covid semble porteuse pour la distribution alimentaire. Quel est votre bilan de l’année écoulée ?
Le bilan est en effet très positif pour nous. Ce n’est pas un secret et cela est général pour la distribution alimentaire dans le monde entier, notamment à cause de la fermeture des restaurants qui a amené les gens à beaucoup plus préparer leur repas à la maison. Le fait que les gens n’ont pas pu partir en vacances comme ils voulaient a joué aussi en notre faveur car le pouvoir d’achat économisé est allé en partie à l’alimentaire mais aussi aux rayons sport, maison et jardin.
Pour nuancer ce bilan positif, je dois quand même dire que certaines de nos activités ont souffert. Dans nos galeries marchandes, nous avons 250 commerçants locataires de cellules commerciales dont certains, comme les voyagistes ou les pressings ont vu leur activité drastiquement touchée. Nous avons très vite décidé d’offrir les loyers durant les mois de confinement strict. Malgré cela, certains locataires ne se relèveront malheureusement pas de la crise et mettront la clé sous la porte. Ce pan d’activité risque donc de connaître quelques difficultés dans un avenir proche. Notre métier de restaurateur/traiteur a aussi été très impacté par les fermetures obligatoires et par la quasi-disparition des événements et rassemblements. Donc, au global, l’année 2020 a été bonne mais cela est dû à la diversification de nos activités, les gains des unes compensant les pertes des autres.
Avec plus de 4.500 salariés, vous figurez dans le top 3 des employeurs privés du pays. Quel genre de responsabilité cela vous donne-t-il ?
Les métiers que l’on exerce chez Cactus sont en général très exigeants et avec de fortes contraintes horaires liées à l’amplitude d’ouverture des magasins. Les employés méritent donc tout notre respect et notre reconnaissance. Nous avons conscience qu’en employant plus de 4.000 personnes ce sont en fait plus de 4.000 familles qui dépendent de nous pour tout ou partie de leurs revenus. Cette responsabilité nous dicte des choix prudents. On ne cherche pas à étendre notre réseau trop rapidement et on ne démarre pas plusieurs projets risqués au même moment.
Est-ce que la responsabilité sociétale (RSE) fait partie de l’ADN de Cactus depuis toujours ?
C’est en effet une volonté des actionnaires. Quand je suis arrivé en 1984 la RSE existait déjà, même si cela ne s’appelait sans doute pas RSE à l’époque. Elle était organisée autour de trois piliers qu’on retrouve aujourd’hui : le sport, la culture et les engagements sociaux et humains. Nous sommes très sollicités et nous devons donc faire des choix en cohérence avec notre image et nos valeurs. Par exemple, dans le sport, nous n’irons pas vers les sports mécaniques car ce serait en contradiction avec notre engagement pour l’environnement. Nous ne soutenons pas non plus les sports qui ont une image élitaire comme l’équitation ou le golf, car nos magasins s’adressent à tous. Pour être cohérents dans l’ensemble de nos choix nous soutenons des sports plus « démocratiques ».
En 2012, pour structurer nos engagements sociaux et humains, nous avons créé Cactus Charity. Sous cette bannière, nous soutenons 6 associations sur une base régulière (Association Luxembourg Alzheimer, Banque Alimentaire, Croix-Rouge Luxembourg, Fondation Cancer, Fondatioun Kriibskrank Kanner et UNICEF Luxembourg) par des contributions publicitaires, financières, humaines et organisationnelles. Les clients qui ont la carte de fidélité Cactus peuvent choisir de convertir leurs points en dons pour ces associations. Personnellement l’engagement auprès de l’Unicef me tient particulièrement à coeur. N’ayant pas d’enfants moi-même, cela me touche de pouvoir apporter de l’aide à des enfants, un peu partout dans le monde. C’est donc une cause Cactus mais aussi une cause Schonckert. Je suis d’ailleurs membre du conseil d’administration d’Unicef Luxembourg.
Quels sont les projets de l’entreprise pour les années à venir ?
Nous avons quelques beaux projets dans nos cartons. Le plus ambitieux de tous est la construction du centre commercial de Lallange qui devrait ouvrir ses portes en 2024. Outre le supermarché et la galerie marchande, ce projet comprendra un centre de fitness, une crèche et de nombreux logements ce qui est une grande première pour nous. Un autre projet verra le jour en 2022/2023 à Roodt-sur-Syre. Il proposera un supermarché et une galerie de 6 à 7 boutiques, à proximité immédiate de l’entreprise Panelux. Nous n’étions pas encore présents dans cette partie du pays, or c’est une région où la population se développe. Nous allons rénover le magasin d’Ingeldorf, sans fermeture et lancer les études pour l’extension des entrepôts de Windhof, rendue nécessaire car nous avons de plus en plus de produits et de plus en plus de magasins. Enfin, nous allons encore ouvrir 4 à 5 shoppi entre 2021 et 2022, dans des stations-services, en franchise.
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize et Cactus (10 et 11)