Fondée au Luxembourg en 2017 par François-Xavier Cordier, LEKO Labs est une startup de construction disruptive basée au Technoport de Foetz. Elle a développé et fait breveter une technologie permettant la construction de logements « zéro carbone », à un prix abordable et en un temps record. Dans quelques mois, la startup envisage de dévoiler son concept unique au monde de microfactory, une micro-usine robotisée capable de livrer annuellement 500 logements. À terme, LEKO Labs ambitionne de multiplier ses microfactories en Europe avec un objectif de 20.000 logements par an, conçus et produits en privilégiant les circuits courts.
Pouvez-vous nous décrire, en quelques mots, ce qui se cache derrière le fondateur de LEKO Labs ?
Je suis diplômé en Engineering Science and Wood Technology et passionné de construction depuis tout jeune. Construire, à mon sens, c’est produire quelque chose de concret et d’utile. J’ai effectué une formation en alternance dans les Vosges, en France, avec des professeurs passionnés par les métiers du bâtiment. J’ai beaucoup appris en matière de construction passive et d’architecture bioclimatique, notamment. Il s’agit de bâtiments dont l'implantation et la conception prennent en compte le climat et l'environnement immédiat, afin de réduire la consommation d’énergie. Lors de mon stage pratique, j’ai réalisé que l’habitat était le bien qui coûte le plus cher et qui est le moins bien conçu ! En 2009, je ne savais pas avec précision ce que j’allais faire, mais je savais que j’allais lancer mon entreprise. J’ai déposé la marque LEKO, un nom simple à prononcer dans toutes les langues. En 2010, j’ai terminé ma formation et j’ai décidé de partir faire un tour d’Europe pendant deux ans, pour voir ce qui se faisait ailleurs. En 2012, j’ai travaillé dans un cabinet d’architecture à Paris et en 2013, auprès d’un promoteur investi dans une démarche durable et écologique au Luxembourg. Dès 2014, j’ai décidé de me consacrer pleinement à mon projet LEKO, en France. L’idée était de vendre des modèles de maisons haut de gamme, sur catalogue, et de réinventer les concepts de construction. L’idée n’a pas pris en France, le pays n’étant sans doute pas prêt pour franchir le pas. Le secteur de la construction est un monde assez verrouillé dans lequel il est difficile de bousculer les habitudes. Les normes sont faites pour dissuader les nouveaux venus.
D’où l’idée de vous installer au Luxembourg ! Mais au fait, pourquoi le Luxembourg ?
J’ai fait la connaissance de plusieurs personnes de Neobuild, le premier et l’unique Pôle d’Innovation Technologique de la Construction Durable au Luxembourg. J’ai été mis en contact avec l’Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment (IFSB), un centre de compétences qui propose des formations pour les entreprises de construction. En 2015, Neobuild a matérialisé son activité en créant le Neobuild Innovation Living Lab, véritable vitrine de l’innovation pour le secteur de la construction durable. Construit comme un « laboratoire vivant » au coeur d’un chantier expérimental, ce bâtiment de haute technologie est aussi un incubateur d’entreprises et un accélérateur de talents au service de la concrétisation de projets d’innovation.
En 2017, j’ai fermé ma société en France et je suis venu m’installer au Luxembourg avec une petite équipe de quatre personnes. LEKO a été la première startup à être incubée au Neobuild Innovation Living Lab. Nous avons reçu des bureaux et un soutien financier pour développer une proof of concept (POC) et démontrer la faisabilité de notre procédé novateur. Dans le cadre d’un événement organisé fin 2017 par le Luxembourg Wood Cluster, une plateforme d’échange créée en 2016 pour les acteurs de la filière bois, nous avons présenté notre concept devant un large public. Un promoteur luxembourgeois est venu jusqu’à nous pour nous proposer un marché. Il s’agissait d’une maison à construire sur 4 niveaux. Nous n’avions jamais rien construit et nous nous sommes retrouvés avec 1.000 m2 de murs à livrer pour août 2018. Début 2018, nous avons déménagé au Technoport par manque de place pour la réalisation de cette première commande. Après avoir équipé l’atelier, nous nous sommes mis au travail le 1er juillet 2018 et le 3 août 2018, le gros oeuvre fermé comprenant les murs extérieurs et la charpente, était prêt. Nous ne nous occupons ni du second oeuvre (plomberie, électricité…) ni des finitions de la maison (peintures, revêtement de sol…). Le parachèvement jusqu’à la mise en fonction définitive de la maison a été terminé en avril 2019. Le promoteur et le client ont été très satisfaits de la qualité du bâtiment. Nous nous sommes ensuite attachés à trouver d’autres partenaires.
Pouvez-vous décrire brièvement LEKO Labs et ses avantages ?
Nous avons développé et fait breveter une technologie qui révolutionne la manière de construire un bâtiment. Nous nous sommes inspirés de l'industrie automobile et aéronautique qui utilise la robotique et la digitalisation pour produire en série des produits de qualité de façon économique et durable. Nous avons appliqué ces technologies à la construction et repensé la conception, la production et la construction de logements durables. Notre solution répond à la fois aux problèmes de coût, de délais, de risque et d'inefficacité inhérents au secteur de la construction classique. La plateforme digitale développée par nos équipes, coordonne et pilote l'ensemble des processus et peut convertir n’importe quel plan d’architecte en un assemblage LEKO Labs. Les différentes pièces qui le constituent sont façonnées, puis assemblées pour constituer les murs. Ces derniers n’ont plus qu’à être assemblés sur le chantier. Nous obtenons des murs plus légers, plus solides et 40 % plus minces, dans lesquels l’isolation est intégrée. Par rapport à une construction traditionnelle, l'espace habitable est augmenté de 10 %. Avec le gain d’espace, le promoteur fait un gain de 30 à 50 % sur le prix du gros oeuvre et peut dégager jusqu’à 70 % de gain sur son profit.
La matière première est ce qu’il y a de plus cher chez LEKO Labs. Or, c’est l’inverse pour les sociétés de construction traditionnelle qui font leur marge en prenant souvent des matériaux à bas prix, sachant que les coûts en main-d’oeuvre sont importants. Nous utilisons le pin Douglas, un bois naturellement résistant qui vient des Vosges et de la Grande Région. Au final, grâce à la robotisation, nous sommes plus compétitifs avec des matériaux de qualité.
Quels sont les principaux défis environnementaux de l'industrie de la construction et comment LEKO Labs les relève-t-elle ?
Nous sommes confrontés, aujourd’hui, à de nouvelles problématiques avec des ressources qui s’épuisent et des modes de vie qui ont évolué. Aujourd’hui, nous passons 90 % de notre temps à l’intérieur de bâtiments. Or, rien n’a vraiment changé en matière de construction. C’est un secteur qui est resté peu productif et qui utilise des matériaux et des méthodes d’un autre âge. L'impact sur l'environnement est considérable. Le béton est la substance la plus utilisée sur la planète, après l’eau. Si l’industrie du ciment était un pays, elle serait le troisième émetteur de dioxyde de carbone au monde avec jusqu’à 2,8 milliards de tonnes, après la Chine et les États-Unis. Le béton absorbe près d’un dixième de l’eau utilisée dans l’industrie mondiale. Avec l’urbanisation, la croissance démographique et le développement économique, la production mondiale de béton pourrait atteindre les 5 milliards de tonnes par an d’ici 2050, avec une émission de 470 gigatonnes de dioxyde de carbone, selon les pronostics de la Commission mondiale sur l’économie et le climat. Si rien n’est fait, nous sommes en violation des accords de Paris sur le changement climatique, en vertu duquel les gouvernements du monde entier ont convenu que les émissions annuelles de carbone de l’industrie du ciment devraient être réduites d’au moins 16 % d’ici 2030.
Il est temps de sortir de « l’âge du béton » et de construire autrement pour relever le défi du développement durable et des économies d’énergie, et aussi, réduire la pénibilité sur les chantiers et gagner en productivité. Le système LEKO Labs est 100 % démontable et recyclable et 10 fois plus résistant que le béton pour une meilleure performance énergétique et une empreinte écologique moindre. L'avenir a besoin de bâtiments à zéro émission de carbone. Et il en faut beaucoup.
Comment avez-vous financé votre développement ?
La BGL BNP Paribas nous a permis d’accéder à des possibilités de financement intéressantes, avec le soutien de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Société Nationale de Crédit et d'Investissement (SNCI). En particulier, le dispositif InnovFin – instrument européen de financement dédié aux projets innovants par l’octroi d’une garantie bancaire représentant 50 % des investissements. C’est grâce à ces moyens,entre autres, que LEKO Labs a mis en oeuvre sa première chaîne de production entièrement automatisée pour un investissement total proche de 10 millions d’euros. En marge de ces financements, nous avons développé un « bot », un algorithme conçu pour parcourir la toile et identifier des profils de business angels dans le cadre d’une campagne de growth hacking qui avait pour objectif d’activer la croissance de l’entreprise. Nous avons rencontré plusieurs investisseurs pour leur présenter notre projet. Actuellement, nous sommes soutenus par une quarantaine d’entre eux, dont cinq business angels importants.
Quelle est votre stratégie d’acquisition de talents ?
LEKO Labs compte une trentaine de personnes de 15 nationalités différentes. Nous allons chercher nos talents à travers le monde auprès de sociétés performantes et reconnues. Nous rencontrons nos candidats et nous les invitons à venir sur site pour leur expliquer notre philosophie. Nos équipes apportent un savoir-faire pointu en aéronautique, en robotique, en informatique, etc. et contribuent au développement de LEKO Labs. Nous travaillons actuellement avec deux ingénieurs spécialisés en robotique pour fabriquer nos murs à la verticale et non plus à plat. Ce nouveau procédé a fait l’objet d’un brevet LEKO et permet un gain de place considérable. Deux autres personnes viendront renforcer l’équipe robotique et ce nouveau procédé de fabrication sera opérationnel d’ici la fin 2021.
Quel est votre plus bel accomplissement personnel et professionnel, et la pandémie actuelle a-t-elle constitué un frein dans votre développement ?
Depuis quelques mois, je suis le père d’une petite fille et j’en suis très heureux. Côté professionnel, je suis fier d’avoir mis sur pied une équipe de 30 personnes et d’avoir été capable de développer une solution innovante et durable, apte à susciter l’engagement de promoteurs toujours plus nombreux.
Pendant la pandémie, nous avons travaillé sur la deuxième génération de produit et nous avons doublé la surface de l’entrepôt. Les recrutements, en revanche, nous ont posé quelques problèmes, sachant que nous rencontrons tous nos candidats avant de les embaucher. Ceux-ci restent généralement quelques jours au Luxembourg, pour mieux appréhender l’organisation et les spécificités de l’entreprise. Avec la pandémie, nous n’avons pas pu faire venir tous les candidats, comme nous le souhaitions.
Que contient votre liste de voeux pour les cinq prochaines années ?
L’idée est de mener notre première microfactory jusqu’à sa pleine capacité de production, à savoir 500 logements « made in Luxembourg » par an (chaque logement ayant en moyenne une surface habitable de 90 m2), ce qui représente 15 % du marché luxembourgeois. On construit actuellement 3.000 logements par an au Grand-Duché. Or, il en faudrait 7.000. Ensuite, il s’agit pour nous de dupliquer ces microfactories, ou petites unités de production permettant de faciliter le transport et répondre localement aux besoins de divers marchés. Ainsi, après le Luxembourg, nous visons la Belgique et la Suisse. Il faut environ 24 mois pour construire une maison classique. Grâce à l’assemblage robotisé de nos composants, nous visons une réduction de ce délai à trois mois. Nous avons pour objectif de bâtir 20.000 logements par an en Europe.
En plus des maisons individuelles, nous développons une technologie pour construire des bâtiments de grande hauteur où tout sera modularisé et préfabriqué. La personnalisation de masse deviendra la norme et les clients pourront configurer leur logement en ligne. La digitalisation et l'automatisation du secteur devraient contribuer à assurer sa viabilité commerciale et environnementale. Nous prenons le pari que les nouvelles générations pourront bientôt se loger plus facilement et pour moins cher.
TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Matthieu Freund-Priacel / Primatt Photography