La startup luxembourgeoise Probiotic Group localisée à Beiler, dans le nord du Luxembourg, développe et commercialise des produits d’entretien, d’hygiène et de soin éco-responsables qui impliquent de fortes activités de R&D. Les produits de la société de biotechnologie s’adressent aux installations publiques et médicales, où la lutte contre la résistance des bactéries est une préoccupation majeure. Depuis la fin octobre 2021, la jeune société a ouvert une entité de R&D au sein de la House of BioHealth à Belval et envisage de développer des produits cosmétiques naturels.
Quel est votre parcours et pouvez-vous nous parler du rôle que votre père a joué dans votre choix de carrière ?
Je suis d’origine belge et ingénieur diplômé dans les domaines de l'informatique et des sciences de gestion de l'entreprise. Mon père est médecin et en sus de son activité médicale, il a lancé plusieurs projets d’innovation dans l’informatique, dans l’orthodontie digitale et dans différents domaines du développement durable, notamment dans l’énergie solaire thermique et le stockage de l’énergie solaire. Sa dernière société active dans le secteur des panneaux photovoltaïque, comptait 500 personnes et a été rachetée par Siemens. En 2013, mon père a lancé sur ses fonds propres un nouveau projet de développement durable visant l’usage de probiotiques dans le nettoyage et l’hygiène de surfaces dures, de la peau, des cheveux ou de la fourrure animale. Ce projet avait plusieurs objectifs : la réduction des bactéries pathogènes et du problème de la résistance aux antibiotiques, la diminution de l’usage de produits chimiques agressifs et non biodégradables et le rétablissement d’un écosystème microbien sain pour l’être humain et l’animal. Des procédés ont été mis au point pour développer une première génération de produits non toxiques, testés selon un protocole de nettoyage journalier en milieu hospitalier. Les premiers essais ont été concluants et ont montré une réduction substantielle des bactéries pathogènes liées aux infections dites « nosocomiales », c’est-à-dire, contractées au cours d'un séjour dans un établissement de soins. J’ai été interpellé par les conséquences de multirésistance bactérienne et j’ai choisi de rejoindre mon père dans cette aventure.
Cette résistance microbienne constitue-t-elle une réelle menace ?
Dans les milieux hospitaliers, nous assistons à une augmentation de la multirésistance des bactéries à l'origine de maladies infectieuses. Dans les salles de fitness, la surutilisation de détergents classiques détériore certains matériaux. Les désinfectants et produits chimiques que nous utilisons depuis des décennies, comme la soude caustique, le chlore ou l'acide citrique, sont devenus nocifs pour l’être humain et l’environnement. En plus de mettre en danger l’environnement, ils ne remplissent plus leur mission de nettoyage et de désinfection en offrant une efficacité optimale, car ils détruisent l’ensemble des bactéries, sans distinguer celles qui sont saines de celles qui sont nuisibles ! Ces nettoyants ont entraîné un déséquilibre biologique qui se traduit par une accoutumance des bactéries pathogènes, devenues de plus en plus résistantes aux agents chimiques, biocides et autres désinfectants. Il devient extrêmement difficile de lutter contre ces organismes nuisibles à l’homme ou à ses activités. Prenons le cas des allergies : elles sont dues à une désinfection et aseptisation excessives. L’enfant n’est plus en contact avec une flore qui développe son système immunitaire. Dans les années 60, nous avions 3% d’allergies. Aujourd’hui, nous sommes à 38%, selon les chiffres de l’Association Belge de Formation Continue en Allergologie (ABEFORCAL). La multirésistance microbienne et bactérienne préoccupe de plus en plus les institutions internationales, notamment l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon un rapport publié en 2016, des niveaux alarmants de résistance ont été signalés dans des pays de tous les niveaux de revenu, de sorte que les maladies courantes deviennent incurables et que les interventions médicales qui sauvent des vies sont plus risquées à réaliser. Le rapport souligne par ailleurs que l'utilisation abusive ou excessive des antimicrobiens existants chez les humains, les animaux et les plantes accélère le développement et la propagation de la résistance aux antimicrobiens. D'ici 2050, la résistance microbienne tuera plus de personnes que le cancer (8,2 millions de décès par an dans le monde, NDLR), si nous ne changeons pas nos habitudes.
Avez-vous constaté un changement de comportement avec la pandémie ?
Les détergents éco-responsables sont en pleine croissance et constituent aujourd’hui 25 % des parts de marché, contre 8 à 10 % en 2015. Avec la pandémie, cette progression a légèrement chuté. La tendance a été de désinfecter tout, partout et parfois en dépit du bon sens. En cette période de sortie de crise sanitaire, les démarches éco-responsables, respectueuses de l’environnement, de l’être humain et de l’animal se sont accélérées. Le prix, seul, n’est plus un critère décisif. Aujourd’hui, la dimension santé, la composition des produits et leur impact environnemental influencent les choix de consommation.
Comment a démarré l’aventure Probiotic Group ?
La création de Probiotic Group est partie de cette volonté de rendre le monde plus propre, en permettant une hygiène efficace, naturelle et inoffensive tant pour les êtres humains, que les animaux et l’environnement. En 2013, mon père et moi avons démarré nos activités de recherche au sein d’un incubateur à Eindhoven, aux Pays-Bas. Puis, dès 2016, nous avons appris que le Luxembourg manifestait sa volonté d'investir dans le secteur des biotechnologies et souhaitait promouvoir des produits issus de la recherche luxembourgeoise. Les biotechs étaient au centre de la politique de diversification de l'économie nationale. Nous avons soumis un dossier qui a été approuvé par Etienne Schneider, alors vice-Premier ministre et ministre de l'Économie, et Mario Grotz, directeur général de la Recherche, de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies au ministère de l’Économie. Nous avons pu bénéficier ainsi de subsides RDI permettant de soutenir et d’accélérer l’innovation. La même année, nous avons délocalisé l'ensemble de nos activités au Grand-Duché. Mon père a alors décidé de poursuivre ses travaux de recherche sur le sol luxembourgeois. En juillet 2019, nous avons signé un contrat de collaboration avec le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) et le Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB), où travaille notamment le professeur Paul Wilmes, connu sur le plan international pour ses recherches dans le domaine des micro-organismes. Ces instituts de recherche sont en mesure de nous aider à approfondir la connaissance fondamentale et appliquée du microbiote et à étudier l'impact de nos produits sur l'environnement.
Pouvez-vous décrire les activités de votre société ?
Nous développons des produits durables et naturels pour l'industrie du nettoyage, de l'assainissement de l'environnement, de l'hygiène et des soins grâce à l’adjonction de micro-organismes actifs non pathogènes, non toxiques et naturels regroupés sous le nom de probiotiques. C’est un moyen efficace pour se débarrasser des matières organiques pouvant être associées à un déséquilibre microbien ou responsables des odeurs désagréables. Les mi-croorganismes que nous ajoutons permettent d’éliminer les résidus organiques et favorisent un environnement sain et naturel. La nature nous a montré le chemin, l’équilibre est la clé. Au terme de plusieurs années de recherche, Probiotic Group a lancé sa propre marque, Provilan, sous laquelle nous commercialisons nos produits. Une partie de ces produits sont destinés aux vétérinaires et rencontrent un large succès. Tous nos produits sont naturels et nobles, mais le marché B to B est sensible aux prix qui doivent être justifiés sans être excessifs. Pour donner un ordre de prix, un flacon de savon de 300 ml coûte 8,50 euros. Nous avons développé des produits de luxe, commercialisés sous la marque « Pour nous » et « Simple Goods », parfumés naturellement et avec un beau packaging, pour les hôtels et les centres de soins et de bien-être. Nous proposons également aux industriels des produits sous marque propre avec un habillage personnalisé. La mise en flacons de nos solutions jusqu’à leur emballage sont effectués au Luxembourg. Nous privilégions les circuits courts. Nos flacons, par exemple, sont produits en Allemagne, à une quarantaine de kilomètres de notre société et sont fabriqués à base de matières plastiques recyclées de l’industrie automobile.Nous ne faisons pas de ventes aux particuliers, ce qui nécessiterait un effort trop important en matière de logistique. Nos produits sont distribués par nos partenaires, distributeurs et agents qui partagent nos valeurs. Nous comptons aujourd’hui quelque 1.500 clients B to B internationaux. Nous distribuons au Luxembourg et travaillons avec le groupe de nettoyage Dussmann, les magasins Naturata, plusieurs pharmacies, le Cora à Foetz, Autopolis avec un projet de destruction des odeurs dans les voitures, etc. Nous exportons actuellement en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Danemark, en Espagne, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne, au Royaume-Uni, en Slovaquie, en Slovénie, en Suisse et en Ukraine.
Êtes-vous membre d’organismes ou d’associations et avez-vous établi des partenariats qui vous aident à vous développer au niveau national et international ?
Nous avons le label « Made in Luxembourg » et nos produits sont certifiés Ecocert, SuperDrecksKëscht et PETA (Cruelty-Free and Vegan). Nous sommes membres de la Fédération des Industriels Luxembourgeois (FEDIL) et de Detic, l’association belgo-luxembourgeoise des producteurs et des distributeurs de cosmétiques, détergents, produits d'entretien, colles et mastics, biocides et aérosols. Un contrat de collaboration avec l'Office du Ducroire nous permet d'accroître nos capacités d'exportation, notamment en nous donnant la possibilité de participer à des foires internationales. Nous avons également adhéré au Business Club France-Luxembourg de la Chambre de Commerce pour nous aider à pénétrer le marché français. Nous recherchons activement des distributeurs et des partenaires en France ! Nous venons de signer un partenariat stratégique avec Procter & Gamble et nous allons collaborer avec les Laboratoires Expanscience (entité belge) spécialisés dans la dermo-cosmétique, rhumatologie, dermatologie et la commercialisation d’actifs cosmétiques. Ils détiennent, notamment, Mustela. Dans le cadre de cet accord, nos produits seront distribués par Expanscience auprès de 3.000 pharmacies.
La pandémie a-t-elle eu un impact concret sur vos activités ?
Nos activités ont explosé lors de la pandémie. Nous sommes passés de 9 à 23 personnes en l’espace d’un an. Pour nous aider à gérer cette croissance brutale, nous avons eu recours au programme de soutien et d’accompagnement #ReAct mis en place par la House of Entrepreneurship de la Chambre de Commerce et largement promue pendant la crise sanitaire. Le partage d’expériences et d’outils dans une approche communautaire, le check-up personnalisé de notre situation, l’identification de nos besoins, et la mise en place d’un plan d’action et d’un accompagnement humain, stratégique et juridique nous ont vraiment aidés ! Depuis, j’ai appris à déléguer, à prendre du recul et je suis plus serein. Nous avons réorganisé nos services et nommé des respon-sables en interne. Nous traitons toute la chaîne de valeur et il est important que tous nos services fonctionnent bien ensemble. Mon père vérifie l’orientation stratégique de la société et entretient les relations avec le ministère. Multilingue, j’ai en charge le développement commercial, les relations internationales et les alliances stratégiques du groupe. En matière de Research / Development and Innovation (RDI) en lien avec le Covid, 80 % des frais sont pris en charge par le gouvernement, contre en moyenne 70 % pour la RDI générale. Ces nouvelles dispositions nous permettent de positionner nos produits pour lutter contre la pandémie. L’année dernière, le gouvernement et le ministère de la Recherche nous ont sollicités pour créer des désinfectants naturels. Nous avons présenté un dossier au ministre de l’économie, Franz Fayot, et obtenu un million d’euros pour poursuivre nos travaux et financer la recherche de nos scientifiques et les analyses en laboratoire. Nous avons travaillé avec des souches du coronavirus éma-nant de chats et de porcs, non transmissibles à l’homme. Ce virus est un virus enveloppé, c’est à dire, un virus de forme sphérique, dont la capside - ou la coque qui entoure l’acide nucléique viral - est recouverte d'une enveloppe formée de protéines, de lipides ou de glucides. Or, nos micro-organismes se nourrissent de protéines et de graisse, tout comme le virus. En 2022, nous serons en mesure de produire des désinfectants sélectifs aux normes européennes (EN), aptes à réduire les « mauvaises » bactéries et virus et ce, sans pollution chimique, ni pictogramme de danger.
Quelles sont les techniques de R&D de Probiotic Group et est-il facile de trouver les profils d’experts ?
Nos produits constituent un mélange de sciences et d’innovation. Les bioprocédés impliquent de fortes activités de R&D qui ont des coûts élevés. De plus, le secteur de la biotechnologie présente la particularité d’être très complexe et d'avoir des temps de développement très longs. Il faut compter environ 500.000 euros de frais avant de pouvoir commercialiser un produit biocide, par exemple. Les produits biocides requièrent des analyses d’efficacité selon des normes européenne strictes opérées par des laboratoires indépendants. Le processus prend 9 à 12 mois et doit être contrôlé par l’administration compétente. Des tests de toxicologie doivent ensuite être réalisés sur 6 à 9 mois et nous devons at-tendre le résultat des analyses avant d’obtenir une autorisation de mise sur le marché. Nos procédés liés aux cas d’application sont protégés par des brevets européens. Nous protégeons les effets et les applications de nos solutions sur l’environnement extérieur, pas la bactérie en elle-même. Une bactérie est un être vivant et n’est donc pas brevetable. Nous avons un juriste en interne qui travaille avec plusieurs cabinets spécialisés. La règlementation pour les cosmétiques est encore plus complexe... Il est difficile de trouver les bons profils au Luxembourg. Nous n’avons aucun candidat luxembourgeois, malheureusement. Nous venons d’embaucher une formulatrice experte en cosmétiques qui vient de Bretagne, et une vétérinaire spécialisée de la périphérie de Lyon en France. Nous devons aller chercher ces profils d’experts en France, en Allemagne, au Portugal et en Belgique.
Quelles sont vos perspectives d’avenir et projets de développement ?
L'industrie de la détergence, des produits d'entretien et des produits d'hygiène industrielle représente aujourd’hui 50.000 milliards d’euros. La biotechnologie est un secteur de pointe en forte évolution, caractérisé par un marché très dynamique d'entreprises tournées vers l'innovation et la recherche. Probiotic Group a l’ambition de devenir un acteur majeur dans le domaine du bio-assainissement et des soins durables. En octobre 2021, nous avons ouvert une entité de R&D au sein de la House of BioHealth. Après les produits de soin dans le domaine vétérinaire, d'hygiène et de nettoyage, nous allons nous lancer dans le domaine des cosmétiques. D’ici 2030, nous espérons que Probiotic Group comptera une centaine de collaborateurs. Nous envisageons de faire construire dans les trois prochaines années un nouveau site de production de 3.000 m2 dans la commune de Troisvierges, pour continuer à développer les lignes de production de nos produits. Le marché est large et l’avenir de la société a de belles années devant elle !
TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Matthieu Freund-Priacel/ Primatt Photography