La société d’aujourd’hui tend vers plus de flexibilité et un partage des services. Le secteur de l’immobilier n’échappe pas à cette évolution. Après l’explosion du coworking, c’est au tour du coliving de faire parler de lui. En 2020, Aurélien Dobbels et Nicolas Legay ont créé Cocoonut, une startup qui propose des logements en coliving au Luxembourg. Les habitations proposées selon un modèle de location «tout compris » offrent l’accès à une communauté de colivers, tout en facilitant la vie de ces derniers. Cette nouvelle forme de vivreensemble rencontre de plus en plus de succès chez les jeunes actifs. Mais pas seulement.
Comment vous est venue l’idée de fonder Cocoonut?
Aurélien Dobbels : Originaire de Lille dans le nord de la France, je réside depuis 2008 au Luxembourg. Après un tour du monde à la fin de mes études, j’ai démarré ma carrière en tant que gérant obligataire auprès de la Société Générale. En août 2017, j’ai décidé de réorienter ma carrière en suivant un coding bootcamp pour apprendre à programmer. J’ai ensuite eu la possibilité de rejoindre les rangs de la BIL pour y développer un Innovation Lab. J’ai fait la connaissance de Nicolas à ce moment-là. Nous sommes allés courir ensemble et avons découvert que nous avions beaucoup de points communs, notamment en matière de digitalisation, innovation, design, décoration et immobilier. Un jour, j’ai eu entre les mains un magazine de décoration intérieure dans lequel il était question de coliving. Une application avait été développée par un concurrent belge et j’ai trouvé l’idée intéressante. J’en ai parlé à Nicolas et l’idée de fonder une société de coliving au Luxembourg ne nous a plus jamais quittés. Nicolas Legay: J’ai une formation d’ingénieur et j’ai travaillé à Paris chez BNP Paribas où j’étais en charge de projets de transformation post acquisition, avec des problématiques de fusions et de stratégies. J’ai dû faire face à des défis technologiques et j’ai développé une forte attirance pour le digital et le marketing stratégique. En 2018, j’ai quitté définitivement la capitale française pour prendre en charge tous les sujets de change management auprès de la Banque Internationale à Luxembourg (BIL). Aurélien et moi avons voyagé énormément dans le cadre de nos fonctions respectives et nous avons été très souvent confrontés à la difficulté de trouver un logement. Notre volonté est de simplifier l’expérience de l’utilisateur en quête d’un logement.
Le coliving, c’est quoi?
A.D.: C’est un concept qui est né dans les années 2000 aux États-Unis. Le coliving propose des logements à mi-chemin entre l’hôtellerie et la colocation. Il faut bien faire la différence entre coliving et colocation. Contrairement à la colocation qui a pour principal objectif de payer un loyer moins cher en partageant la cuisine, le salon et la salle de bains, le coliving est avant tout une expérience unique pour les personnes arrivant dans un nouvel environnement pour des raisons professionnelles. L’objectif du coliving est de proposer un lieu de vie avec un loyer all inclusive comprenant des services mutualisés tels que le Wifi ou des prestations de ménage. Certaines résidences de tailles importantes proposent une variété de services, comme un parking surveillé, un abonnement à Netflix, une salle de sport, un sauna, une piscine ou encore, des trottinettes électriques en libre-service, etc. Le public a recours au coliving pour différentes raisons et les profils sont très différents. En ce qui nous concerne, nous avons de jeunes actifs qui ne souhaitent pas forcément acquérir un bien, des personnes seules, mais aussi des expatriés ou des seniors qui gagnent bien leur vie et qui choisissent le coliving de leur plein gré. Le doyen de nos membres a 57 ans !
Quels sont les principaux atouts du coliving?
N.L.: Le coliving offre une grande souplesse. Les baux sont flexibles avec une durée de séjour comprise généralement entre six mois et un an. Le loyer comprend l'assurance habitation et de nombreux services mutualisés qui permettent d’offrir une meilleure qualité de vie en réalisant des économies sur des loyers qui restent élevés au Luxembourg. Les occupants ne subissent pas les contraintes de la colocation telles que le partage d'un seul réfrigérateur, les querelles sur les tâches ménagères ou encore la lutte avec le propriétaire pour obtenir des réparations. Chacun jouit de son espace privatif et les services facilitent la vie au quotidien. Les rapports entre les résidents sont ainsi encouragés. Ce nouveau mode de vie en collectivité permet de construire rapidement de nouvelles amitiés et lutte efficacement contre la solitude en milieu urbain. La vie sociale au sein des résidences est l’essence même du coliving. A.D.: L’immobilier de bureau doit se réinventer, surtout après la crise sanitaire que nous venons de traverser. Le coliving pourrait résoudre une partie de cette équation. Les colivers recherchent cette liberté de vivre et travailler dans un espace partagé et apprécient de pouvoir changer selon leurs opportunités de travail et de vie.
Le manque de logements et le prix élevé du foncier au Luxembourg ontils constitué un frein au lancement de Cocoonut ?
N.L.: Le Luxembourg affiche le deuxième taux d’immigration en Europe. Les salaires sont élevés et la demande en logement ne cesse de croître. Or, l’offre reste insuffisante. De surcroît, le coliving n’en est qu’à ses débuts au Luxembourg. Nous sommes les premiers à nous lancer au Grand-Duché. Nous proposons une offre différente, et il reste encore un travail législatif conséquent à mener pour convaincre les autorités de l’intérêt du coliving. A.D.: Si le coliving facilite l'accès au logement, il est extrêmement difficile de trouver des immeubles pour développer le concept. Nous avons de longues listes d’attente de candidats. Quand nous avons lancé Cocoonut, nous avons eu la chance de rencontrer Laurence Brix qui était à l’époque à la tête du marketing et de la communication chez INOWAI, un acteur majeur de l’immobilier au Grand-Duché de Luxembourg. Laurence nous a présenté Jean-Nicolas Montrieux, COO d'INOWAI Group à l’époque. Ce dernier a été convaincu par nos prestations et les associés d’INOWAI ont pris une participation dans le capital de Cocoonut. Nous avons ensuite été amenés à rencontrer les associés de Tracol, un promoteur immobilier actif depuis de nombreuses années au Luxembourg. Ces derniers ont également pris des parts dans Cocoonut, tout comme les associés de LuxPropTech, une société présidée par Laurent Rouach qui fait le lien entre le secteur immobilier et les startups et scale-up. Enfin, Jeremy Charoy, cofondateur de Lalalab, une startup française qui propose une appli pour imprimer des photos depuis un smartphone, a choisi d’investir dans Cocoonut. En septembre 2020, grâce à l’ensemble de ces business angels, nous avons réussi à réunir 110.000 euros lors d’une première levée de fonds. Mais surtout, Tracol nous a apporté une première résidence située à Neudorf. Les travaux sous la gestion de Cocoonut ont été achevés en mai 2021.
Comment intervenez-vous concrètement?
N.L.: Nous gérons le bien de A à Z, à commencer par la décoration et l’architecture d’intérieur, notre passion commune. Nous façonnons les espaces… Tout est pensé pour le bien-être de nos locataires. La résidence à Neudorf comptait une dizaine de chambres. Nous avons proposé de ne créer que six chambres et de transformer l’espace restant en lieux communs. A.D.: Nous mettons en place un règlement intérieur pour régir la vie au sein des immeubles et éviter les nuisances de voisinage. Nous ne sommes pas en mode «étudiant». Le coliving n’est pas synonyme de «fêtes tous les soirs »! Le loyer inclut nos prestations, telles que le ménage hebdomadaire par des professionnels. Les propriétaires savent que leur bien est respecté et entretenu. Nous avons une vraie relation de confiance avec eux, comme avec les locataires. Avant la livraison des unités, le bien est contrôlé par la commune, les pompiers et les services d’hygiène. Notre modèle est réplicable et convient pour des maisons ou des grands ensembles de plusieurs milliers de m2.
Quel est votre business model ?
A.D.: Nous prélevons des frais de gestion sur les loyers versés au propriétaire. Nos frais de gestion vont de 6 à 10%, selon les missions qui nous sont confiées. Le locataire, quant à lui, paie des frais d’adhésion fixes qui s’élèvent à 900 euros. Une fois membre de la communauté, il peut changer de location, si sa condition l’exige, sans frais supplémentaires. Le loyer moyen est établi en fonction du quartier et du bien. Le prix d’un logement géré par Cocoonut est comparable au prix d'un studio non meublé dans le même quartier. N.L.: Nous proposons au propriétaire du logement une seule personne de contact et nous lui offrons une rentabilité accrue, sans qu’il n’ait à se soucier des aspects techniques et administratifs liés à la location. Notre modèle de « gestionnaire » permet au propriétaire une plus grande flexibilité et lui permet d'être intéressé sur les revenus, parfois jusqu'à 25% plus élevés que si nous prenions un bail.
En novembre 2020, Cocoonut a été désignée «Startup de l’année» au Luxembourg par Paperjam, grâce à sa dimension technologique. Dans quelle mesure, la digitalisation constitue-t-elle l’un des piliers de Cocoonut?
A.D.: Le volet technologique est très important. Nous avons entièrement digitalisé le parcours locatif pour plus d’efficacité et nous avons diminué ainsi les coûts et les besoins en main-d’œuvre. La recherche d’un logement s’effectue depuis notre site. L’application mobile Cocoonut est le lien entre le coliver, le propriétaire et nous. Elle permet de gérer toutes les opérations, de la réservation d’un logement à la participation à des événements que nous organisons pour les colivers. Nous développons actuellement de nouvelles fonctionnalités, dont le paiement du loyer via l’appli ou la possibilité de déverrouiller des portes grâce à la pose de serrures numériques. Notre application a été développée avec l’aide d’une plateforme de gestion immobilière - destinée tant aux propriétaires qu’aux professionnels de l'immobilier - qui se concentre sur les locations de moyenne et longue durée. N.L.: Notre site propose des visites virtuelles pour des candidats qui viennent de loin. Des pilotes de drones professionnels réalisent nos vidéos à 360 degrés et des figurants aident les futurs locataires à se projeter. Quand les colivers viennent de loin - Japon, États-Unis ou Afrique du Sud pour ne mentionner que quelques pays pour lesquels nous avons reçu des demandes -, ils louent sans visiter les lieux. Tout le processus d’onboarding des locataires est digitalisé et tout peut se faire à distance. Les futurs membres peuvent même consulter l’état des lieux publié par le locataire précédent du logement dans lequel ils vont emménager.
Comment voyez-vous évoluer l’industrie du coliving?
A.D.: Selon une étude de 2019 réalisée par JLL, un des leaders mondiaux du conseil en immobilier d'entreprise, les projections de coliving en Europe étaient estimées à près de 25.000 lits de coliving construits ou en cours de développement avant la pandémie. Ces dernières années, le coliving a connu une croissance exponentielle similaire à celle du coworking. Avec la crise sanitaire, il y a eu une véritable explosion des demandes de logements en coliving et l’attrait de ce mode de vie continue de se développer. Les candidats recherchent des logements plug and play et de qualité.
La guerre en Ukraine impacte-t-elle votre développement ?
N.L.: Si le conflit persiste, l’approvisionnement en matières premières et matériaux indispensables au bon déroulement des chantiers risque de devenir un vrai cassetête. De plus, nous assistons à une hausse importante des prix de ces matériaux. Les promoteurs et constructeurs commencent à mesurer l'impact des pénuries et des effets de la guerre en Ukraine. L’envolée des prix de l’énergie pèsera nécessairement sur les charges. Un peu partout, les travaux et les constructions de logements sont déjà retardés.
Combien Cocoonut compte-t-elle de colivers et quels sont vos projets à venir?
A.D.: Nous avons un millier de lots en développement sur lesquels nous travaillons. Après notre premier projet à Neudorf, nous avons livré une maison de maître place de l’Étoile au Luxembourg. Fin septembre, nous aurons 28 « clés » supplémentaires à fournir à Belval. Une fois ce projet achevé, Cocoonut comptera 50 colivers pour un budget immobilier global estimé à 15.000.000 d’euros apportés par nos premiers investisseurs. Pour ma part, je ne regrette pas d’avoir quitté le secteur de la finance. J’aime ce que je fais. Pour l’heure, nous nous développons au Grand-Duché, avant de nous étendre un jour à l’international. N.L.: Nous avons pour vocation de croître proportionnellement aux immeubles que nous livrons. Nous travaillons sur un nouveau projet de 50 « clés », route d’Esch, à livrer en septembre 2023. Nous avons prévu d’y aménager un espace de coworking, des espaces partagés à chaque étage et une cafétéria au rez-de-chaussée. Nous avons pris contact avec plusieurs agences de relocation qui doivent faire face à des arrivées massives de personnes et nous espérons pouvoir répondre à leur demande.
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TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS S Matthieu Freund-Priacel/ Primatt Photography