Créé en 2017 par Jean-Yves Marié et Thouraya Meftah, l’outil BIM-Y, développé par Cyprès International, propose des solutions visant à intégrer des bâtiments existants dans l’ère du BIM (Building Information Modeling) grâce à un scanner mobile permettant de modéliser des espaces intérieurs. La solution de la startup permet également de mettre en réseau les expériences acquises lors d’opérations de maintenance, qui s’avèrent utiles à d’autres bâtiments aux spécificités similaires.
Quelle est votre formation et dans quels secteurs d’activité opérez-vous ?
Thouraya Meftah : « Je suis architecte-paysagiste et urbaniste de formation et mon associé, Jean-Yves Marié, est ingénieur en génie civil. Nous sommes spécialisés dans la gestion de projets, la construction, l’architecture de paysages et l’urbanisme. Nous avons une longue expérience dans tous les corps de métier de ce secteur, soit en tant que maîtrise d’oeuvre, maîtrise d’ouvrage, entreprise générale, etc. Depuis six ans, nous avons été amenés à travailler dans l’assistance aux entreprises lors des expertises judiciaires et dans le service après-vente. Au cours de cette expérience, nous avons été confrontés à des problèmes récurrents dans tous les bâtiments, y compris des constructions quasimentneuves. Il était, par exemple, très difficile de mener une collecte d’informations de qualité, de retracer l’historique de la maintenance, ou encore de trouver de manière efficace les informations des dossiers techniques, etc. Nous avons donc réfléchi à un moyen pour améliorer le système actuel en nous basant sur les nouvelles technologies, telles que le BIM. BIM-Y est une plate-forme web qui offre une représentation digitale des caractéristiques physiques et fonctionnelles d’un bâtiment. Le BIM est fréquemment destiné aux nouvelles constructions. Le risque d’avoir bientôt un marché à deux vitesses est réel, avec d’un côté les nouvelles constructions qui, grâce à l’implémentation du BIM, disposent d’un outil de travail performant, et de l’autre, les infrastructures existantes, pour lesquelles le BIM n’a pas été envisagé, et qui s’exposent au danger de devenir obsolètes et d’avoir des travaux de maintenance de plus en plus compliqués et onéreux. Même si elle est appelée à se développer fortement dans les prochaines années, la technologie BIM n’est pas systématiquement adoptée. C’est un système assez lourd et onéreux à mettre en place et qui demande une solide formation. Nous amenons une idée différente, une nouvelle génération du BIM, conçue pour les bâtiments existants ou en cours de construction, et qui ne sont pas BIM. D’où le ‘ Y ’ associé au nom ‘ BIM ’.
Quelle solution avez-vous développée avec BIM-Y ?
T. M. : « Nous faisons le scan 3D du bâtiment pour obtenir un nuage de points qui va permettre de définir un environnement 3D intégrant des informations techniques ou autres. Le fait de procéder à un scan 3D évite de redessiner la maquette, et éventuellement de perdre des informations techniques ou de reprendre des plans qui ne sont parfois plus à jour. Nous fournissons un environnement 3D réel, tel que le bâtiment a été construit, et nous le chargeons sur une plate-forme en ligne ou en interne chez le client. BIM-Y est très simple d’utilisation et intuitif. Il n’exige ni formation, ni acquisition de logiciel. Il suffit de se connecter via son navigateur web habituel. Comme pour le BIM, la maquette obtenue au moyen de notre scanner mobile offre la possibilité d’échanger entre les différentes parties impliquées et permet une interopérabilité entre les acteurs et corps de métier qui interviennent sur le bâtiment. Les éléments connectés sont lisibles en temps réel. Les clients peuvent visualiser les fiches techniques, les plans ou les informations utiles à la gestion du bâtiment. Grâce à notre expérience commune dans le bâtiment, nous comprenons les problèmes et les besoins de nos clients. Notre valeur ajoutée va au-delà de simples compétences en informatique.
Jean-Yves Marié : « Nous sommes dans une approche ‘ bottom-up ’. Nous intégrons les objets existants, retraçons virtuellement les réseaux et simulons les fonctionnalités pour les adapter aux besoins. Ces informations partagées sont utiles tant au propriétaire qu’au gestionnaire, mais aussi aux usagers d’un bâtiment. Un usager peut signaler un problème en le géolocalisant, et le technicien comprend comment il va pouvoir intervenir sans même connaître le bâtiment. Il peut retrouver toutes les informations dont il a besoin en moins de 30 secondes. Étant donné que les problèmes sont localisés visuellement, ils ne peuvent être signalés plusieurs fois. Nous permettons à nos clients de réaliser un gain de temps et d’argent.
Avez-vous des concurrents au Luxembourg et dans le monde ?
T. M. : « Nous n’avons pas de concurrents au Luxembourg. Certaines sociétés en France proposent des solutions similaires, mais essentiellement pour des aménagements extérieurs. BIM-Y est conçu tant pour l’extérieur que l’intérieur. D’autres concurrents sont américains et australiens, mais leurs solutions se basent sur le BIM traditionnel. Ils sont dans l’obligation de scanner et redessiner le bâtiment en 3D, ce qui représente un investissement conséquent. Nous apportons à nos clients des solutions spécifiques et personnalisées. Nous nous positionnons sur l’exploitation du BIM pour les bâtiments existants, un aspect qui reste encore aujourd’hui très peu compris par les acteurs de la construction.
Quelles sont les différentes formules pour acquérir BIM-Y ?
J.-Y. M. : « Il suffit de se rendre sur notre plate-forme sur laquelle il est possible de nous contacter pour obtenir un devis personnalisé. Selon vos besoins, vous pouvez acheter l’application de base que vous pouvez combiner avec un abonnement à plusieurs modules. Nous proposons deux formules : un abonnement fixe pour l’acquisition du scan permettant d’intégrer des informations, ou bien l’acquisition de la licence pour une durée déterminée contre paiement mensuel d’un package annuel, dans lequel les mises à jour du scan - en cas de travaux, par exemple - sont comprises. Les prix varient en fonction de la taille et de la complexité des structures. Actuellement, nous tournons autour de 1 à 1,20 euro par m2 pour le nuage de points, qui est dégressif en fonction de la surface du ou des bâtiments. L’intégration des données est un travail sur mesure et est examinée avec nos clients. Pour les licences, il faut compter 6 centimes du m2 par an pour le viewer permettant de visualiser la maquette numérique, et 7 centimes du m2 par an pour la base de données.
Qui sont vos clients et où sont-ils localisés ?
T. M. : « Nous comptons à l’heure actuelle des clients au Grand-Duché, en France et en Belgique. Plusieurs sociétés bien établies nous ont fait confiance, comme la Banque européenne d’investissement (BEI), le Parlement européen, la Société nationale des chemins de fer luxembourgeois (CFL), Campus Contern, Veolia, le Fonds Belval, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), Vinci Construction, le Bureau Veritas, l’université de Lille (France), la Foncière Numérique (France) ou encore Siemens (Belgique).
Avez-vous reçu des aides ou conseils pour vous établir et développer votre projet ?
J.-Y. M. : « Nous avons toujours fonctionné avec nos fonds propres. Depuis un an, nous avons reçu des aides de l’Office du Ducroire, dans le cadre de notre internationalisation. BIM-Y étant une startup spécialisée dans le secteur de la construction, nous avons également été hébergés pendant plusieurs mois au sein du LCI, l’incubateur de la ville de Luxembourg au coeur de la House of Startups. Il était important pour nous d’être au coeur de l’écosystème luxembourgeois, même si nous nous attendions à une offre plus vaste de services ou une mise en relation avec des clients intéressants pour notre domaine d’activités. Nous avons choisi de déménager à The Office qui offre plus de flexibilité tout en gardant une très bonne infrastructure. Nous avons également pu bénéficier des conseils d’un mentor dans le cadre du programme ‘ Business Mentoring ’. Nous participons rarement à des concours, trop chronophages.
T. M. : « Nous avons élargi notre clientèle, mais nous aurions pu développer notre outil plus rapidement grâce à une levée de fonds, si nous avions sollicité Luxinnovation plus tôt. Actuellement, 70 % de nos dépenses sont alloués à la R & D. Nous développons un module important de maintenance prédictive. Il s’agit de prévenir une panne grâce au machine learning. L’outil recueillera un nombre volumineux de données en provenance des bâtiments présents sur notre réseau. Nous structurerons et analyserons ces données pour alimenter l’application qui, de cette manière, apprendra à anticiper et prévoir les pannes et défaillances.
Vous venez de participer au salon Vivaech à Paris. Êtes-vous satisfaits de cette expérience ?
T. M. : « L’organisation de ce salon B to B par la Chambre de Commerce était très professionnelle et de qualité. Nous avons été approchés par des décideurs, de grands propriétaires ou des gestionnaires de bâtiments issus de grandes compagnies telles que la Poste, ViParis (un gestionnaire de sites de congrès et d’exposition), la SNCF, la RATP ou encore Saint-Gobain.
Quels sont vos objectifs aujourd’hui, et où vous voyez-vous d’ici cinq ans ?
J.-Y. M. : « Nous avons pour objectif de réaliser un chiffre d’affaires de 425.000 euros en 2019. Nous sommes actuellement à 42 % de nos objectifs. Nous voulons être la référence au Luxembourg, en termes de digitalisation des bâtiments et de solution BIM pour les bâtiments existants. Nous souhaitons également nous placer sur le marché de la déconstruction en développant, avec d’autres partenaires européens, institutionnels et privés, une plate-forme permettant de revaloriser les déchets et recycler les équipements par la mise en oeuvre d’un marché européen de l’occasion.
T. M. : « Ensuite, nous visons l’Europe, puis les États-Unis. La problématique des bâtiments est la même outre-Atlantique, mais nous sommes en présence d’un effet multiplicateur. En effet, le marché européen est équivalent au marché américain, avec quelque 30 milliards de m2 de bâtiments existants, mais la superficie moyenne en Europe est de 20.000 m2, contre 80.000 m2 aux États-Unis.
Auriez-vous des conseils à donner à un jeune entrepreneur qui souhaite franchir le pas ?
T. M. : « Persévérer et travailler sans relâche ! Il faut savoir faire face aux obstacles et il est essentiel de bien gérer ses projets.
J.-Y. M. : « Découragés par les aspects administratifs à accomplir, nous n’avons pas assez pris le temps d’explorer le panel des aides disponibles. Si nous avions eu 2 millions d’euros à nos débuts, nous aurions lancé toutes nos idées en même temps ! »
Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Matthieu Freund-Priacel / Primatt Photography