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Start-Up
Grégoire Yakan, Founder & CEO, Koosmik Finaliste du JumpStarter à San Francisco, Koosmik devait participer en février 2020 à Hong Kong, à la finale du plus grand concours mondial de startups organisé par Alibaba et HSBC, mais la pandémie en a déc

Depuis 2017, Koosmik, une fintech créée par Grégoire Yakan, fournit des solutions de paiement et de mobile wallet aux professionnels et populations encore sous-bancarisées d’Afrique de l’Ouest. Koosmik s’est implantée au Togo, premier pays pilote pour son développement. Avec plus de 120.000 utilisateurs, la startup luxembourgeoise promeut l’inclusion bancaire à travers le continent africain. En réponse à la pandémie sanitaire, Koosmik vient également de lancer une plate-forme de e-commerce à Lomé, la capitale du Togo, et a pour ambition de devenir la première application de services financiers au Togo et en Afrique.

Pouvez-vous nous parler un peu de vous et de votre parcours ?
Originaire de Paris, j’ai suivi une formation MIAGE (Méthodes Informatiques Appliquées à la Gestion des Entreprises) qui allie une triple compétence en mathématiques, informatique et gestion. A l’âge de 19 ans, j’ai créé une agence web avec des amis et quelques années plus tard, une entreprise spécialisée dans le e-commerce. A 33 ans aujourd’hui, je me souviens de ces moments d’insouciance où nous travaillions nuit et jour, y compris les jours fériés. Je me rappelle notamment d’un certain 31 décembre, où nos amis sont allés faire la fête, tandis que nous finissions un site Internet pour un client. Grâce à ces activités développées en parallèle de mes études, j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage à Hong Kong pour mettre en place une plateforme de e-commerce pour le compte d’une filiale de Batipart, spécialisée dans la distribution de matériel médical. A l’époque, je ne connaissais que quelques capitales européennes. Ce stage a été pour moi une révélation et m’a permis d’acquérir en un temps record une grande expérience dans le e-commerce. Batipart s'est montré très satisfait de mes prestations et de nouvelles missions m'ont été confiées à Paris.

Pouvez-vous nous parler du groupe luxembourgeois Batipart, d’Onomo et de l’attachement particulier qui vous lie à ces sociétés ?
Batipart est une holding familiale créée en 1988 par Charles Ruggieri, un homme d’affaires lorrain. Au-delà des affaires, je suis séduit par les valeurs entrepreneuriales du groupe et les différents projets portés par les équipes. Arrivé très jeune en tant que stagiaire informatique, j’ai eu la chance d’être «formé au club » pour reprendre une métaphore qui parleront à ceux qui partagent avec moi la passion footballistique. En 2006, le déploiement des secteurs de l’immobilier et de la santé de ce groupe s’est accompagné d’une volonté d’internationalisation. En 2009, Batipart a installé sa maison mère au Luxembourg et quelques années plus tard, j’ai suivi le groupe au Grand-Duché. En 2019, le groupe a lancé une nouvelle plateforme européenne d’investissement hôtelier avec l’acquisition de six hôtels au Luxembourg situés en centre-ville et sur le plateau du Kirchberg, et exploités sous les marques Sofitel et Novotel. Le petit dernier, le Mama Shelter Luxembourg, a ouvert pendant l’été 2020, en pleine crise sanitaire. J’ai vu cette ouverture comme un symbole de résilience et de courage de toutes les équipes de Batipart et du Mama Shelter Luxembourg.
En 2013, Batipart a pris le contrôle du groupe hôtelier ONOMO qui compte aujourd’hui 21 hôtels en Afrique, et bientôt 22 avec l’ouverture d'un établissement à Kampala, en Ouganda. Depuis, j’ai effectué des missions en Afrique une à deux semaines par mois en moyenne. C’est ainsi que j’ai appris à connaitre et à aimer ce continent.

Pourquoi avoir créé Koosmik et quelles solutions proposez-vous ?
Au cours de ces missions dans près d’une vingtaine de pays, j’ai créé des liens assez forts avec d’autres entrepreneurs africains. En échangeant avec eux, ils m’ont appris à relativiser. Nos problèmes deviennent vite minuscules comparés aux leurs. L’idée m’est alors venue de changer leur quotidien en créant des services financiers plus accessibles. Claude Grunitzky, diplômé de Harvard, du MIT et de Sciences Po, né au Togo et serial entrepreneur à succès, nous a beaucoup soutenus et inspirés. Le Togo est d’ailleurs le premier pays africain où nous nous sommes implantés. Ce pays compte 7,6 millions d'habitants avec un taux de pénétration de la téléphonie mobile de plus de 78%. Le revenu moyen est de 100 euros environ par mois, avec de très fortes inégalités. Peu d’Africains disposent d’uncompte bancaire et une infime partie de la population possède une carte bancaire. Le pays a lancé un ambitieux programme national 2018-2022 qui vise à améliorer le développement social et à renforcer les mécanismes d'inclusion grâce à la technologie. Cina Lawson, ministre des Postes et de l’Economie Numérique, a beaucoup oeuvré en ce sens. C’est dans ce contexte que Koosmik est venu apporter sa pierre à l’édifice en concevant un portefeuille numérique simple et intelligent permettant d'effectuer des transactions et d'accéder instantanément à des services financiers depuis n'importe quel téléphone portable.
L’application Koosmik peut être téléchargée sur l'App Store d'Apple et Google Play. Ainsi, les utilisateurs peuvent bénéficier d’une expérience bancaire, sans paperasserie et sans devoir se déplacer en agence. Actuellement, les démarches administratives et les frais financiers engendrés par l’ouverture d’un compte bancaire empêchent 75% de la population subsaharienne d’être titulaire d’un compte et de bénéficier de services bancaires de base ! En Afrique, les opérateurs de télécommunications se sont substitués aux banques et fournissent ces services via leurs systèmes de paiement mobile (plus de 500 millions d’utilisateurs de mobile money en 2020). L’idée est de fournir une seule application qui permet de rendre les banques et les opérateurs télécoms interopérables à l’échelle nationale, puis à celle du continent, et ainsi de bancariser progressivement la population africaine. La technologie de Koosmik démocratise l’accès aux services financiers et permet l'inclusion financière en général, ce qui est une composante essentielle pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies.

Comment avez-vous développé et financé votre projet ?
J’ai fondé Koosmik en 2014 au Luxembourg, là où le groupe Batipart m’a mené. Le Grand-Duché est un pays où l’on se sent proche de ses clients et où il est facile de rayonner en Europe. Les infrastructures sont très performantes, le pays est dynamique, cosmopolite et favorise l’intégration des étrangers. J’ai aussi le sentiment que le climat des affaires est plus favorable aux entrepreneurs que dans beaucoup de pays. Rapidement, Batipart est devenu actionnaire de la startup. Nous avons développé au fil de toutes ces années une véritable relation de confiance. Une branche de Koosmik fournit aujourd’hui encore, du conseil et des services informatiques notamment pour le compte de Batipart et de ses filiales.
Après avoir auto-financé le proof of concept grâce aux missions de conseil, nous avons levé un million d’euros en 2017 pour développer notre technologie labellisée « Made in Luxembourg ». En décembre 2019, lors de notre deuxième tour de financement, nous avons levé 2 millions d’euros auprès de plusieurs investisseurs pour nous développer au Togo et nous déployer dans plusieurs pays. Aujourd’hui, Koosmik compte 20 personnes, dont 15 sont basées sur le continent africain.

Intégrer la dimension sociale et solidaire dans la conception de votre entreprise, était-ce un point très important pour vous ?
Dès notre première levée de fonds, nous avions mis en place les éléments d’une politique RSE ambitieuse. Les équipes qui s’y sont attelées avaient non seulement une excellente vision, mais aussi une capacité à sensibiliser et transmettre cette culture à des ingénieurs parfois sceptiques. Nous n’avons pas la prétention de vouloir gommer les inégalités qui existent en Afrique. Notre mission est plutôt d’apporter des solutions innovantes pour lutter contre les inégalités d’accès aux services essentiels que sont notamment les soins de santé et l’éducation. Il n’est pas acceptable qu’une personne riche bénéficie de soins avant une personne pauvre ou qu’un jeune issu d’une famille modeste ne puisse pas lire les mêmes livres ou manuels scolaires qu’un enfant issu d’une famille aisée. Ces freins sont en partie liés à la difficulté d’accès aux services financiers. Nous souhaitons lever ces barrières, pour qu’une assurance santé puisse être souscrite sans compte bancaire depuis le mobile ou que les frais de scolarité et de cantine puissent être réglés facilement. Certaines populations vivent encore très isolées et doivent faire plusieurs kilomètres pour payer leurs factures, recharger leur crédit téléphonique ou leur compteur d’électricité qui fonctionne avec un système de prépaiement des consommations.

La pandémie a-t-elle des répercussions néfastes sur votre développement et comment résistez-vous ?
Plusieurs membres du l’équipe, dont Foli Adanlete, directeur général de Koosmik Togo et Claude Grunitzky, président de Koosmik, ont été hospitalisés et s’en sont sortis, fort heureusement. D’un point de vue financier, sans les activités de services et de conseils en informatique, principalement en Europe et en Afrique, nous n’aurions pas pu maintenir la tête hors de l’eau. Nous avons également étendu nos activités de conseils aux USA et au Canada. Koosmik n’a reçu aucune aide depuis le début de la pandémie, ni chômage partiel, ni aide à l’innovation. La typologie des aides gouvernementales n’était pas adaptée à notre startup. Même si nous ne pourrons atteindre tous les objectifs que nous nous sommes fixés en 2021, la pandémie ne nous empêche pas de travailler à distance sur des projets technologiques. Une start-up doit s’avoir s’adapter.
Le gouvernement a aidé de nombreuses entreprises et cet accompagnement a un coût. Par choix, nous n’avons pas fait de demande de chômage partiel. Nous pensons que les salariés d’autres secteurs, comme ceux de l’Horeca et de la santé, sont bien moins chanceux que nous et donc, prioritaires.
En revanche, les déplacements et les interactions humaines très réduites ne favorisent pas les petites équipes et les startups. Nous avons des échéances et mieux vaut être sur place pour échanger avec les institutions et les régulations, surtout en Afrique. De plus, les débits Internet ne sont pas les mêmes qu'au Luxembourg et les visioconférences sont loin d’être aussi efficaces. La pandémie sanitaire actuelle se traduit par des pertes de temps qui se répercutent sur la bonne marche des affaires.

Pour faire face à cette situation, vous avez créé une nouvelle marketplace en ligne au Togo. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Avec nos équipes locales, nous avons créé KoosmikShop, une marketplace de e-commerce au Togo. Il s’agit d’une réponse pragmatique aux mesures sanitaires actuelles. Il n’existait pas encore de plateforme marchande similaire au Togo. Actuellement nous livrons Lomé et ses environs, et nous desservirons bientôt d’autres régions du pays. Il est possible d’effectuer ses achats depuis un téléphone portable ou tout autre ordinateur connecté. Nous proposons des produits d’épicerie, de l’habillement, des produits hightech, de l’électroménager ou encore des services et des produits d’assurance. Nous offrons une visibilité en ligne aux marchands locaux, ce qui se traduit par l’augmentation des ventes et du nombre de clients malgré la pandémie. Notre solution Koosmik Pay est connectée à la plateforme et intègre plusieurs moyens de paiement, dont les opérateurs télécoms. Nous avons également introduit un système de QR codes pour faciliter les transactions.
Koosmik prélève une commission sur les ventes - hors produits alimentaires - ce qui permet aux commerçants de n’avoir aucun coût fixe en contrepartie de la mise en ligne de leur catalogue.

Vous ne faites pas de marge sur les produits alimentaires. Pourquoi ?
Nous ne prélevons aucune commission sur les ventes de produits alimentaires. Nous venons de conclure un partenariat pour reverser ces montants au profit d’UNITLIFE, une initiative des Nations Unies qui lutte contre la malnutrition en s’appuyant sur les capacités d’entreprises innovantes issues de l'économie numérique. Nous sommes la première startup à participer à ce programme ! Nous sommes également fiers d’avoir à nos côtés un groupe luxembourgeois, la chaîne hôtelière panafricaine ONOMO, déjà fortement impliquée dans des initiatives locales en lien avec la RSE.
Koosmik s’engage donc jusqu’en 2024 au côté d’UNITLIFE et ONOMO pour apporter sa contribution à la lutte contre la malnutrition sur le continent africain. Plusieurs actions et évènements seront organisés d’ici là, peut-être même au Luxembourg !

Avez-vous obtenu des aides ou participé à des salons et des concours ?
Nous avons eu le plaisir de participer à des missions économiques et des salons organisés par la Chambre de Commerce au Rwanda, au Kenya, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Ces missions nous ont permis de rencontrer plusieurs investisseurs, comme Vincent Lyonnet, Partner à Steed Shell Solutions et qui siège désormais au conseil d’administration de Koosmik. En 2018, nous avons pris part au salon Vivatech, à Paris, premier événement Tech & Startup en Europe. La même année, nous avons participé à la première édition de CATAPULT : Inclusion Africa organisé par la Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT). Il s’agit d’un programme unique d'une semaine consacré au développement de startup Fintech et ciblant les entreprises Fintech africaines pour créer des ponts entre l'Afrique et l'Europe, en ligne avec les objectifs de durabilité du centre financier du Luxembourg. En 2018 et 2019, Koosmik a été sélectionné pour représenter le Luxembourg au Consumer Electronics Show (CES) à Las Vegas, un salon devenu une référence dans le monde des innovations électroniques en tous genres.
Nous y avons remporté le prix « Coup de coeur » du Village Francophone parmi plus de 500 candidats. Enfin, en janvier 2019, Koosmik a reçu le « Prix du jury » au Paris Fintech Forum, un salon qui réunit le monde de la Fintech. En matière d’aides, nous avons pris part à l’initiative Business Partnership Facility (BPF). Initiée par le ministère des Affaires Étrangères et Européennes en partenariat avec la Chambre de Commerce et le ministère de l’Économie, la BPF est une facilité dotée d’un budget annuel d’un million d’euros, visant à encourager le secteur privé luxembourgeois et européen à s’associer avec des partenaires - publics ou privés - de pays en développement, afin de mettre en place des projets commerciaux durables dans ces pays. Nous avons obtenu 200.000 euros, mais dans le contexte sanitaire actuel, nous avons décidé de reporter l’affectation des fonds, en accord avec LuxDev, l’agence luxembourgeoise pour la coopération au développement, mandatée pour la gestion de la facilité.

Quelles sont les prochaines étapes pour Koosmik ?
Nous sommes dans une logique de croissance pour atteindre une masse critique d’utilisateurs, afin d’être rentable le plus rapidement possible. Il faut aller vite, malgré les obstacles et le contexte sanitaire actuel. En marge du développement commercial, nous poursuivons nos efforts de recherche et développement, avec l’espoir de nouvelles avancées avant 2022.
Après le Togo, nous comptons développer nos activités à Madagascar et en Afrique du Sud, et sans doute dans deux ou trois autres pays membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), en fonction de l'issue des discussions actuellement en cours avec la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il nous reste encore beaucoup de travail. Toutes nos équipes, au Togo comme au Luxembourg, ont hâte de pouvoir voyager de nouveau, pour le travail d’abord, et pourquoi pas ensuite, pour quelques jours de repos bien mérités.

 

www.koosmik.com

 

TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Matthieu Freund-Priacel / Primatt Photography et Koosmik