Créée en 2018 par le Néerlandais Joost van Oorschot et basée à Foetz, Maana Electric s’étend sur 3.500 m2 et a également des bureaux aux Émirats Arabes Unis et aux Pays-Bas. La jeune startup est spécialisée dans la production de panneaux solaires in situ à partir de sable, et compte déjà une cinquantaine d’employés issus d’une vingtaine de nationalités, dont 80% sont des ingénieurs. Le fondateur et son équipe travaillent aussi sur un procédé de production de panneaux photovoltaïques à partir de régolithe ou sol lunaire.
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Simple curiosité... d’où vient le nom de Maana Electric ?
Maan signifie la lune en néerlandais, ma langue maternelle, et en polynésien, mana signifie la puissance. Donc Maana c’est la puissance sur la lune. Nous avons ajouté Electric, car nous produisons de la puissance électrique.
Le mystère du nom de votre société est maintenant élucidé. Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours en quelques mots ?
J’ai une double formation en économie et en ingénierie. J’ai fondé ma première société à 21 ans, à La Haye, aux PaysBas. Je développais des algorithmes musicaux pour analyser les préférences musicales des groupes. J’ai fondé une autre entreprise axée sur l'Intelligence Artificielle (AI) et la cartographie thermique des villes à l'aide d'images satellites. Puis, j’ai travaillé pour une société de capital-risque dans le domaine de l'espace, toujours aux Pays-Bas. En 2016, le Grand-Duché a annoncé vouloir investir 200 millions d’euros dans le programme Space Resources. Cette initiative est la raison pour laquelle je suis venu au Luxembourg pour y créer Maana Electric en 2018. J’ai également rencontré la Luxembourg Space Agency (LSA) qui a accepté de signer un contrat pour financer mes recherches en matière d’innovation technologiques, ce qui m’a conforté dans mon choix de quitter les Pays-Bas. L’ambition spatiale du Luxembourg n’est plus à démontrer. Il est l’un des rares pays à disposer d’un cadre juridique qui permette d’explorer et d’utiliser les ressources spatiales. J’ai repris mes études pour suivre un Master interdisciplinaire de l’espace auprès de l’International Space University. C’est là que j’ai convaincu mes partenaires, le spationaute français JeanJacques Favier, Alberto Calla Galleguillos et Luca Celiento de me rejoindre dans l’aventure de Maana Electric. Au Luxembourg, j’ai rencontré le serial entrepreneur et business angel, Fabrice Testa, qui est venu compléter l’équipe fondatrice.
Quel est le cœur de métier de Maana Electric ?
Nous développons des panneaux solaires intégrant les concepts d'utilisation des ressources in situ (ISRU, in situ resource utilisation) et les technologies durables. Nous avons révolutionné les procédés de fabrication des panneaux solaires. Au lieu de les produire à l’usine pour les acheminer chez nos clients à grand frais et au dépend de l’environnement, avec une empreinte carbone élevée, nous déplaçons notre unité de production sur place, dans le désert. C’est notre concept de TerraBox. Cette unité mobile de production utilise uniquement le sable disponible localement et l’énergie solaire pour fonctionner et produire des panneaux solaires opérationnels. Au sein de la famille des MaanaBoxes, la TerraBox a été spécialement conçue pour la construction de fermes solaires dans les zones désertiques. La LunaBox, quant à elle, est destinée à produire des panneaux solaires sur la Lune, et a pour objectif de participer à l’exploration spatiale. LunaBox est apte à filtrer le sable lunaire, semblable à la poussière de silice terrestre, pour produire du silicium et fabriquer des panneaux photovoltaïques qui fourniront de l’électricité depuis la Lune.
Si le procédé de fabrication in situ grâce aux MaanaBoxes est révolutionnaire, en quoi la composition de vos panneaux solaires est-elle différente des panneaux solaires traditionnels ?
Nous avons les panneaux solaires les plus verts au monde. Nous utilisons exclusivement du sable du désert. Ce sable est bon marché, car il n’est généralement pas demandé et il est abondant. Dans le monde, la surface des déserts atteint cinq milliards d’hectares, l’équivalent du continent américain. Le sable du désert est trop fin et trop lisse pour être aggloméré et transformé en béton. Seul le sable des rivières intéresse les cimentiers. Mais il est consommé en très grande quantité pour la construction de bâtiments et il tend à devenir une denrée rare. Le sable de désert contient un composant essentiel pour la fabrication de nos panneaux photovoltaïques : le silicium. Le silicium possède une propriété étonnante : il génère du courant électrique lorsqu’il est exposé à la lumière. C’est un semi-conducteur. Notre robot « Sandy » filtre 1,5 tonne de sable par jour. Le silicium est fondu et l’on obtient des lingots de silicium pur. Ceux-ci seront ensuite coupés en gaufres très fines. Les cellules photovoltaïques ainsi formées sont vérifiées avant d’être enserrées entre deux plaques de verre. Nous utilisons 99,99% des composants du sable pour fabriquer nos panneaux solaires. En comparaison, 90% du coût d'un panneau solaire traditionnel part dans une douzaine de composants en provenance de plusieurs pays producteurs et dans l’énergie nécessaire à la fabrication des panneaux. De plus, la fabrication classique de panneaux photovoltaïques fait intervenir des produits chimiques, très toxiques pour l’environnement.
Votre dispositif pourrait-il aider à réduire la dépendance des opérateurs d’énergie renouvelable vis-à-vis de la Chine, qui fabrique 85% des panneaux solaires photovoltaïques dans le monde ?
Depuis 2011, la Chine a investi massivement dans le développement du secteur photovoltaïque, dix fois plus que l'Europe. Entre 2005 et 2021, la part de la Chine dans la production mondiale de panneaux solaires est passée de 6 % à 70 % quand celle de l'Union européenne est tombée de 28 % à moins de 3 %. En l’espace de quelques années, le prix des panneaux photovoltaïques a augmenté de 40% et la demande ne cesse d’augmenter. L'Union européenne importe aujourd'hui 84 % de ses équipements photovoltaïques. Ce niveau de concentration géographique dans la chaîne d'approvisionnement crée des problématiques. La globalisation est allée trop loin. La guerre en Ukraine a mis en avant notre dépendance énergétique. Aujourd’hui, Maana Electric serait en mesure de développer à grande échelle la production et la distribution de panneaux solaires plus respectueux de l’environnement, selon des procédés de fabrication différents.
En 2022, vous avez connu une forte croissance et une augmentation importante de vos effectifs. Quel est le secret d’une telle croissance et comment financez-vous votre développement ?
Maana Electric a une approche de prototypage rapide. Nous menons des tests en interne et en toute indépendance. Cette philosophie nous permet de progresser rapidement et de développer un large éventail d'expertise multisectorielle. Nous avons embauché une vingtaine de nouveaux employés entre 2021 et 2022. Nous comptons aujourd’hui une cinquantaine de collaborateurs, ingénieurs pour la plupart, et nous espérons doubler nos effectifs en 2023. Nous venons aussi de prendre possession d’un hall de 1.000 m2 en plus des 2.500 m2 dont nous disposons actuellement. En termes de répartition de l’espace, 100 m2 sont dédiés aux essais métallurgiques et 70 m2 sont réservés au traitement du sable et du régolithe. Nous disposons de deux salles blanches ISO-7 et ISO-8 de 34 et 91 m2 pour les processus photovoltaïques. Les salles blanches permettent aux opérateurs de production d’intervenir dans un milieu sans atmosphère, comme sur la Lune. Puis nous avons encore 900 m2 de zone d'usinage comprenant un atelier pour les prototypes. Nous avons financé notre développement grâce au contrat-cadre avec le ministère de l’Économie, la Luxembourg Space Agency et l’Agence spatiale européenne (ESA). Nous avons déjà enregistré plusieurs contrats et nous sommes confiants que Maana Electric sera bientôt rentable, avec des demandes qui nous parviennent du monde entier. Plusieurs investisseurs privés gravitent également dans l'orbite de la société. En juin 2022, nous avons réalisé une première levée de fonds dédiée principalement au développement commercial de notre solution TerraBox. Cette levée de fonds a été réalisée avec le fonds public belge Noshaq, deux business angels autrichiens, Andreas Schoerkhuber et Stefan Lindtner, et LRLUX, un family office luxembourgeois.
Fin 2021, vous avez ouvert des bureaux à Dubaï. Comment avez-vous mené cette percée aux Émirats Arabes Unis ?
En 2021, nous nous sommes rendus aux Émirats Arabes Unis dans le cadre de la mission économique à l'Expo 2020 Dubaï menée par le gouvernement luxembourgeois et la Chambre de Commerce. Lors de l'International Astronautical Congress (IAC), le rendez-vous annuel des acteurs de l'écosystème spatial mondial, nous avons présenté nos activités à un public d’experts sur le pavillon national luxembourgeois. Au cours de cet événement, nous avons établi un premier contact avec plusieurs clients potentiels à Dubaï. Nous y avons ouvert une filiale pour nouer des relations commerciales. C’est un gros marché. La population se réoriente vers l’énergie renouvelable, notamment le solaire et le sable ne manque pas aux Émirats Arabes Unis.
Quelles sont vos priorités pour l’avenir ?
La TerraBox est la première étape de la vision de Maana Electric. Dans le futur, nous avons pour objectif d'utiliser ses technologies sur la Lune. La TerraBox montre ce qu’il est possible de faire avec les technologies ISRU. En perfectionnant dans un premier temps les technologies sur Terre, nous pourrons faire évoluer de la même manière la LunaBox sur la Lune. Si tout va bien, Lunabox devrait alunir d’ici la fin 2030. Nous l’avons déjà testée avec du régolithe lunaire en laboratoire et nous comptons effectuer un premier test sur la Lune d’ici 2024-2025.
Un dernier conseil pour un futur entrepreneur ?
Il est très facile de baisser les bras à la première occasion. Seule une motivation forte peut vous dissuader d’abandonner. L’appât du gain n’est pas un argument valable. Je conseille aussi de ne pas investir toutes ses propres économies, mais de plutôt faire mûrir une idée, en en parlant autour de soi, en questionnant des experts ou des clients potentiels. Une fois votre société créée, il faut déléguer, promouvoir l’esprit d’équipe et l’esprit d’entreprise et surtout, responsabiliser ses collaborateurs. Un bon manager sait amener ses employés à faire ce qu'ils ont à faire par eux-mêmes.
Plus d'information : www.maanaelectric.com
TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Matthieu Freund-Priacel/ Primatt Photography