Hébergée au sein de la House of Startups, Polaar Energy a été fondée en mars 2018 par Christophe Antoine et Romain Guillaud. Issue du programme Fit4Start de Luxinnovation, la jeune pousse propose des capteurs intelligents qui permettent l’optimisation de la consommation d’eau et d’électricité par le monitoring de données numériques collectées. Christophe Antoine nous livre le secret de la réussite de Polaar Energy, qui a déjà séduit plus d’une cinquantaine de clients.
Comment vous êtes-vous lancés dans la création de Polaar Energy ?
« Je suis comptable de formation et j’ai travaillé de nombreuses années dans le secteur du bâtiment, dans la filière chauffage-sanitaire. J’ai fait mes débuts sur le terrain en me rendant sur de nombreux chantiers. Des canalisations et des robinets extérieurs usés ou endommagés coulaient parfois pendant plusieurs mois, sans que rien ne soit fait. Or, un robinet qui fuit peut perdre jusqu’à 100 litres d’eau parj our. Soit une facture d’environ 150 euros par an. Une chasse d’eau qui fuit pendant un mois peut coûter jusqu’à 50 euros, soit 600 euros par an. D’après une étude publiée dans le journal Le Monde, 1 % des logements ont des dégâts des eaux chaque année en Europe. 37 % des sinistres ‘bâtiment’ des entreprises et des particuliers concernent un dégât des eaux avec un coût moyen de 1.950 euros par sinistre. Avec mon associé, Romain Guillaud, qui a une expérience commerciale auprès du service venteet marketing de Tesla, nous avons décidé de prendre ce problème à bras-le-corps, non seulement pour l’eau, mais aussi pour l’électricité, autre domaine dans lequel des économies peuvent être réalisées. Nous sommes tous les deux très soucieux des problématiques actuelles concernant le changement climatique et la surconsommation des énergies et des ressources.
L’idée est d’offrir aux entreprises et aux particuliers un système de contrôle et de prévention, pour éviter le gaspillage d’énergie ou un sinistre.
Qu’est-ce qui fait la particularité de votre solution ?
« Nous installons des boîtiers fabriqués 100% en France, sécurisés et certifiés ‘BREEAM/HQE’, une norme qui évalue les performances énergétiques des bâtiments. Nous fournissons à nos clients une visibilité de leur consommation en temps réel via Internet ou SMS, au moyen d’un tableau de bordpersonnalisé. Le système génère des alertes en cas d’anomalies. Les données numériques relatives à la consommation d’eau et d’électricité sont collectées à l’aide de capteurs intelligents, puis monitorées par notre application. L’innovation réside dans le mode de pilotage sécurisé par SMS qui permet d’intervenir à distance et de couper l’eau depuis n’importe quel endroit dans le monde, même sans connexion Internet. Pour l’heure, nous nous concentrons sur les entreprises, où les fuites d’eau et les pertes d’électricité ont un impact plus important.
Parmi nos clients, nous avons une chaîne de cafés. En comparant la consommation d’électricité des différents établissements, notre système a détecté une anomalie. Une des machines était défectueuse et consommait trop. Elle a été changée, et l’impact sur la facture d’électricité s’est fait immédiatement ressentir. Un autre client avait un chauffe-eau, dont la sonde de sécurité s’était cassée. Il tournait à plein régime et occasionnait une surconsommation d’électricité. Si cette panne n’avait pas été détectée à ses débuts, la facture d’électricité aurait sans doute triplé. À 4 euros le m3 d’eau, le retour sur investissement pour l’installation d’un boîtier est très vite atteint. Polaar Energy rend l’invisible visible.
D’où vient le nom de votre société, « Polaar Energy » ?
« ‘Polaar’ vient de ‘polaire’, en référence aux images bouleversantes de cet ours polaire décharné, devenu le symbole du changement climatique. L’image de cet animal, naturellement fort et robuste, a inspiré notre logo. Les deux ‘a’ de Polaar illustrent les deux pôles, négatif et positif, de l’électricité. Et ‘Energy’ rappelle la complémentarité de notre action en matière d’économie d’énergie.
Avez-vous des concurrents au Luxembourg et en Belgique, les deux marchés sur lesquels vous vous développez actuellement ?
« Nous n’avons pas de concurrent au Luxembourg, et une seule société opère sur le marché belge, mais elle se limite à la prévention et à la mesure, sans possibilité d’intervenir à distance.
Quelles sont les sources de financement de votre société ?
« Les investissements proviennent essentiellement de nos fonds propres, et nous sommes à la recherche d’investisseurs pour installer une ligne de production de boîtiers au Luxembourg. Nous avons à coeur de développer une solution de produits 100% luxembourgeois. Contrairement à la Belgique, qui subventionne l’installation de matériel de monitoring et d’économie d’énergie, il n’existe aucune aide au Luxembourg. Un meilleur contrôle de la consommation d’eau et d’énergie permettrait pourtant de faire jusqu’à 15 % d’économies !
Outre les financements que vous recherchez, avez-vous eu l’occasion de bénéficier de prix ou de conseils ? Avez-vous aussi pris part à des salons ou des programmes de soutien pour startups ?
« Nous avons pu bénéficier d’un accompagnement de la House of Entrepreneurship, qui nous a apporté des conseils avisés. En mars 2018, nous avons pris part au programme Fit4Start de Luxinnovation qui attire un bel échantillon de startups internationales, avec 150 sociétés inscrites issues d’une vingtaine de pays. Cette expérience a été très profitable et a donné lieu à des rencontres intéressantes, avec à la clé un prix de 50.000 euros pour Polaar !
En juin 2018, nous sommes arrivés 4e au Creative Young Entrepreneur Luxembourg (CYEL), un concours organisé par la Jeune Chambre économique du Grand-Duché. En novembre 2018, nous sommes allés au Web Summit à Lisbonne, le plus grand salon tech en Europe, dans le cadre d’une visite accompagnée organisée par la Chambre de Commerce. Cette expérience nous a montré l’étendue du potentiel de notre secteur d’activité. Enfin, en juin 2019, nous avons été invités au Global Entrepreneurship Summit (GES) à La Haye. Ce salon met en avant des solutions durables dans les secteurs de l’eau et de la gestion des ressources énergétiques notamment. Nous avons pris conscience de la diversité des problématiques dans le monde. Ainsi, dans les pays en voie de développement, seuls 7 % des eaux sont traités. En Arabie saoudite, l’économie de l’eau est une priorité, dans un pays où elle coûte plus cher que le pétrole.
Comment voyez-vous Polaar Energy évoluer ?
« Nous avons posé une centaine d’appareils, et nous comptons aujourd’hui une cinquantaine de clients au Luxembourg et en Belgique, dont deux principaux, avec un potentiel de plus de 500 immeubles. Pour l’année 2021, notre objectif est la pose de plus de 5.000 appareils pour un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros. Dans 10 ans, nous espérons être à la tête d’une grande société, avec des produits ‘made in Luxembourg’ qui équiperont les administrations, les écoles, les piscines et les particuliers.
L’installation d’un boîtier chez un particulier coûte 360 euros, et l’abonnement est de 84 euros par an. Pour les entreprises, les prix varient entre 360 et 760 euros pour l’installation, avec un coût de 144 euros par an, soit le prix d’un abonnement téléphonique. La vente de milliers d’appareils fera encore baisser ces tarifs. Sachant que les dégâts provoqués par une fuite coûtent en moyenne 1.950 euros, notre solution est vite rentabilisée en cas de sinistre, avec toutes les conséquences qu’une telle situation engendre.
À terme, nous souhaitons également fédérer nos clients pour leur permettre de négocier les meilleurs tarifs pour l’achat de gaz et d’électricité. Selon une étude récente de l’Institut luxembourgeois de égulation (ILR), l’électricité verte a franchi le cap des 10% de la consommation, ce qui représente une croissance du renouvelable de 14 % en un an. Aujourd’hui, il est techniquement possible d’avoir des batteries de stockage ou de revendre le surplus d’énergie. Pourtant, si les trois quarts de la capacité de production du pays en gaz et en électricité sont d’origine renouvelable, l’essentiel de la production est encore importé des pays voisins. Le Grand-Duché paie très cher l’électricité achetée à l’étranger. En 2018, les ménages luxembourgeois ont subi une augmentation de 5 % du prix de l’électricité. Malgré ces hausses, les consommateurs luxembourgeois sont peu réactifs par rapport à la possibilité de changer de fournisseur. D’après les chiffres de l’ILR, seuls 0,1 % des ménages luxembourgeois ont opté pour un autre fournisseur, contre une moyenne de 7,4 % au niveau de l’Union européenne.
Avez-vous dû vous remettre en question, et auriez-vous des conseils à donner à un jeune entrepreneur qui souhaite créer son activité ?
« Il est important d’être à l’écoute. Au départ, nous misions uniquement sur l’électricité, en estimant que cette problématique était plus importante que celle de l’eau. Mon associé m’a convaincu qu’il fallait proposer des solutions pour les deux énergies, et cette décision était la bonne. Par ailleurs, se lancer dans la création d’une société n’est pas anodin. Cela nécessite un certain dynamisme, une solide polyvalence, une grande volonté et une force de persuasion. Sortir de sa zone de confort est indispensable pour grandir, atteindre ses objectifs et connaître le succès. Enfin, il ne faut pas hésiter à se faire conseiller par un mentor pour avoir un avis pertinent, et bien étudier le marché pour ne pas se fourvoyer.
Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Matthieu Freund-Priacel/ Primatt Photography