Enregistrée en mars 2020, la startup WEO hébergée au Luxembourg-City Incubator (LCI) propose une meilleure gestion des ressources en eau pour un impact significatif en zone urbaine. Grâce à des images satellites en open source et à l’Intelligence Artificielle (AI), WEO développe des outils concrets de gestion des ressources et de l’environnement et fournit des informations actualisées, abordables et exploitables à ses clients. Entretien avec Imeshi Weerasinghe et Charlotte Wirion, les deux jeunes co-fondatrices de WEO.
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Avant de nous intéresser de plus près à WEO, comment vous êtes-vous rencontrées et pourquoi avoir décidé de créer ensemble votre société ?
Imeshi Weerasinghe: Je suis diplômée en gestion des ressources en eau et en économie. J’étais en charge de la gestion de projets auprès du Service météorologique d’Australie (Bureau of Meteorology, BOM), l’agence gouvernementale australienne de météorologie avant d'arriver en Europe où j’ai rencontré Charlotte. Nous sommes toutes les deux spécialisées dans la gestion des ressources en eau et nous partageons la même passion pour le développement durable. Nous avons préparé ensemble notre doctorat à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Au cours de nos travaux de recherche auprès de plusieurs communes au Luxembourg, nous avons constaté des écarts entre la recherche et les applications. Les données sur la gestion des ressources en eau dont disposaient les organisations étaient obsolètes, et n’étaient pas facilement accessibles. Or, ces informations ont un impact direct sur la gestion des ressources et l'environnement. Grâce à notre expertise nous avons décidé d’agir pour préserver l’environnement. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer WEO. Derrière ce sigle se cache Water Earth Observation.
Charlotte Wirion: J’ai une formation en sciences et ingénierie de l'environnement. Durant mes études, j’ai étudié les glissements de terrain pour l'Institut d'études géologiques des États-Unis (United States Geological Survey, USGS) et pendant mes travaux de recherches à la VUB, j’ai développé une expertise dans le traitement des données de télédétection pour l’analyse de l’environnement. Nous pensons qu'une meilleure gestion des ressources en eau peut avoir un impact significatif sur la transformation urbaine. Actuellement, les ressources en eau sont perdues ou polluées. Or, une eau suffisamment propre peut être utilisée dans l'irrigation agricole, le nettoyage urbain ou l'arrosage des espaces verts. Nous ne nous intéressons pas seulement à l’eau, mais à d’autres ressources qui peuvent avoir un impact sur l’environnement, telles que les plantes, les températures extrêmes ou les surfaces urbaines.
Quelle est l’idée de votre startup en quelques mots ?
I. W. : WEO contribue à une meilleure gestion des ressources en utilisant des données provenant de l'espace et de l'intelligence artificielle pour aider à construire un avenir plus durable pour tous. D’ici 2050, près de 70 % de la population mondiale vivra dans les villes. La plupart des grandes villes dans le monde luttent contre le réchauffement climatique, les températures extrêmes, les inondations ou les sécheresses. Nous devons adapter nos stratégies avec l’aide de nouvelles technologies pour faire face à des défis toujours plus complexes.
Vous avez une approche très scientifique. Pouvez-vous nous expliquer comment vous procédez, concrètement ?
C. W. : Nous utilisons les techniques du deep learning et de l’Intelligence Artificielle pour interpréter les images et données de télédétection en open-source ou libres de droits qui proviennent de satellites, ce qui nous permet de réduire considérablement les coûts. La télédétection comprend l’ensemble des procédés et techniques qui permettent de collecter des données en provenance de la surface terrestre, en utilisant les propriétés des ondes électromagnétiques émises ou réfléchies sur Terre. La télédétection assure une répétition des enregistrements de tous les lieux observés à intervalle régulier. La mise à jour continue des données est très importante pour nous et nos clients. Elle contribue à une meilleure connaissance des phénomènes terrestres tout en permettant d’assurer des monitorings comme un suivi agricole ou climatique.
Quels produits ou services offrez-vous à l’aide de ces technologies issues de la SpaceTech et du secteur de l’environnement ?
C. W. : Nous fournissons des recommandations et des solutions sous forme de cartes qui aident nos clients à mieux comprendre les ressources dont ils disposent et à planifier plus efficacement leur utilisation. Nous devons réagir rapidement et prendre les bonnes décisions pour ralentir les effets du changement climatique sur l’environnement.
I. W. : Nos cartes peuvent par exemple révéler les endroits où l'on peut prévoir des toits verts, où la végétation urbaine est saine ou au contraire, mourante, où il y a une concen - tration élevée de surfaces imperméables et bétonnées qui pourront être transformées en surfaces perméables, en trottoirs verts, etc. Dans le cadre d’un projet nommé Smart Urban Tree Management, nous avons par exemple, développé en partenariat avec la Ville de Luxembourg et avec le concours de la Luxembourg Space Agency (LSA) et de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), une technologie pour établir un diagnostic de santé et de croissance des arbres. Nous avons fourni à intervalles réguliers des cartes indiquant la croissance et la santé des arbres, afin d’intervenir là où la nature en a besoin !
Qui sont vos clients et avec quels organismes travaillez-vous ?
C. W. : Nous travaillons avec les administra - tions dans le cadre du Pacte Climat, porté par le ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable. Nous travaillons aussi avec plusieurs communes, dont la Ville de Luxembourg, Sanem, Dudelange, Esch-sur-Alzette et plus généralement, Pro-Sud, qui représente les intérêts de onze communes de la région sud. Par ailleurs, nous sommes en pourparlers pour collaborer avec le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) qui a pour mission de développer des technologies avancées et d'offrir des produits et services innovants destinés à relever des défis sociétaux, notamment dans les domaines de l'en - vironnement, du développement durable et de l’utilisation efficace des ressources. Nous travaillons aussi avec des agences de gestion de l'eau, des urbanistes ou des bu - reaux d'études privés, comme Schroeder et Associés au Luxembourg, mais aussi avec les communes de Gand et Anvers en Belgique. Ces clients utilisent nos analyses pour planifier une urbanisation plus verte.
I. W.: Nous travaillons grâce aux fonds de l’ESA. Les subsides de l’ESA sont attribués par la LSA qui analyse les projets et qui nous donne le feu vert. Nous suivons à l’heure actuelle quatre projets de l’ESA pour un montant global de 650.000 euros. C’est un soutien important avant de devenir indé - pendantes et assurer à terme la viabilité et la rentabilité de WEO.
Quel est le business model de WEO ?
I. W. : Nous proposons des forfaits sur mesure aux clients sous contrat à cinq ans et nous fournissons des formules d’abonnement annuel ou de paiement à la demande en fonction de la taille de la zone définie par les besoins de nos clients.
Avez-vous participé à des programmes d’aides ou des concours, afin de développer vos activités ?
C. W.: En octobre 2019, nous avons eu la chance d’être sélectionnées lors de la 9e édition du Fit4Start Selection & Graduation Day avec 19 autres startups actives dans les domaines des TIC, des technologies de la santé et de l’espace. Nous avons pu bénéficier d’un financement de 50.000 euros et d’un coaching individualisé sur quatre mois. En février 2020, nous avons achevé le programme avec succès, notamment en levant 50.000 euros de capitaux privés en six mois, et nous avons eu droit à 100.000 euros supplémentaires octroyés par le ministère de l’Economie. Ces fonds nous ont permis de lancer WEO un mois après, en mars 2020.
I. W.: En juin 2021, dans le cadre des Startup Stories Awards organisés par le Paperjam + Delano Club en partenariat avec le LCI, nous avions trois minutes pour pitcher l’histoire de WEO et nous avons eu le plaisir d’aller en finale avec sept autres startups et de remporter le prix Coup de Cœur du jury. Toujours en 2021, nous avons terminé troisième parmi les dix finalistes de la Startup World Cup Luxembourg organisé. par EY. Nous avons également pris part au concours international Copernicus Masters de l’Agence Spatiale Européenne en 2021 et nous nous sommes classées troisième au Up42/Airbus Challenge régional de la Hesse, en Allemagne. Ce concours a pour objectif d’imaginer des solutions innovantes qui répondent à des problématiques socio-économiques proposées par des partenaires européens portant sur l’agriculture, la santé, le transport ou encore le maritime, à l’aide de données d’observation de la Terre du programme européen Copernicus.
Des projets pour la suite ?
C. W.: Actuellement, nous collectons nos données manuellement, mais nous développons un logiciel pour pouvoir bientôt automatiser la transmission de données. Une équipe de trois ingénieurs travaillent sur ce projet au sein de WEO : Frankwin van Winsen, Head of Development, Thierry Nicola, Senior Software Developer et Rowan Steele, Business Development Manager.
I. W.: En matière d’innovation technologique, l’Europe constitue un point de départ intéressant. Aujourd’hui, nous nous concentrons essentiellement sur le Luxembourg et un peu sur la Belgique. Mais notre objectif est de travailler également avec les pays en voie de développement. Avant de pouvoir poursuivre dans cette voie, nous devons avoir une entreprise financièrement viable, croître sainement et de façon équilibrée, grâce à une planification stratégique réaliste. En juin 2022, nous avons pris part à une mission économique au Rwanda et au Niger organisée par la Chambre de Commerce. Nous sommes en contact avec le bureau de LuxDev au Niger, et le Rwanda offre un Impact Hub, un espace de coworking qui favorise l’innovation. Il en existe une centaine dans le monde et cette communauté compte aujourd’hui plus de 18.000 membres dans une cinquantaine de pays. Le réseau réunit des experts et des créateurs engagés pour un monde plus durable. Ensemble, ils peaufinent les idées commerciales pour les transformer en solutions commercialisables. Dès qu’un projet se présentera dans un pays en voie de développement, au Niger ou au Rwanda, ou encore en République Dominicaine où il est question de changer les pratiques de plantation, nous nous porterons volontaires pour ces initiatives environnementales.
Un conseil à donner à qui souhaiterait créer son entreprise ?
I. W.: Quand nous avons créé WEO, Charlotte et moi étions enceintes. Nos partenaires nous ont encouragées et nous nous sommes réparti les tâches. Si vous croyez en vous et en votre idée, rien ne doit vous arrêter. Vous devez suivre votre passion !
C. W.: Il faut savoir aussi s’organiser. Il y a toujours des hauts et des bas dans une vie d’entrepreneur et nous avions un peu peur que la création de WEO n’entache notre amitié, mais, l’aventure dans laquelle nous nous sommes lancées ensemble a plutôt renforcé nos liens. Nous savons aujourd’hui que nous pouvons compter l’une sur l’autre. Il est possible de créer une société seul(e), mais l’inconvénient de l’entreprenariat en solo, c’est de ne pas pouvoir bénéficier du regard critique d’autres personnes. De plus, en cas de moments difficiles ou de remise en question, il peut être très utile d’être entouré d’associés.
Plus d'information : www.weo-water.com
TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Matthieu Freund-Priacel/ Primatt Photography