Britta Jaegde-Crott est indéniablement curieuse et passionnée. Elle souhaite mettre cette énergie créatrice au service d’innovations capables de changer la donne en matière d’environnement. Il y a quelques années, elle quitte donc sa brillante carrière dans la banque pour consacrer son temps et ses moyens au développement de produits innovants, qui ont le potentiel de révolutionner la façon de faire de l’agriculture ou même du jardinage, plus généralement, la façon de prendre soin de la terre et de ce qu’elle nous donne, à commencer par les plantes et les cultures. Britta a déjà eu l’occasion de nouer quelques contacts dans le monde entier et de présenter ses produits sous plusieurs latitudes. L’expo 2020 Dubaï, à laquelle elle a eu la chance de participer au sein du Pavillon luxembourgeois, lui a encore ouvert quelques nouvelles portes
Quel est votre parcours et qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Green innovation?
Après une longue carrière dans la banque, j’ai eu envie d’investir et de m’investir dans des projets innovants. J’ai créé ma société en 2012 et je l’avais d’abord appelée Luxury Innovation car je m’intéressais à l’innovation dans le secteur du luxe, notamment les bateaux et les montres. Puis j’ai réalisé que je m’épanouissais beaucoup plus au contact de la nature et j’ai commencé à m’intéresser à la permaculture (mode d’agriculture consistant à imiter le fonctionnement des écosystèmes naturels qui respectent la biodiversité, ndlr). Je voulais avoir un grand jardin pour y mener des expériences allant dans ce sens, avec l’idée de devenir un peu plus indépendante au niveau de ce que je consomme. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’occasion d’acheter une pépinière abandonnée, en Allemagne près de la frontière luxembourgeoise. Elle était dans un état épouvantable mais c’était exactement ce que je cherchais avec 4 hectares d’arbres fruitiers et de prairies, un endroit où faire des plantations et un hangar. Il a d’abord fallu analyser la terre pour savoir s’il était possible d’y faire des cultures « bio ». J’ai commencé par une serre de 120m2 mais il s’est avéré qu’il fallait améliorer la terre et je souhaitais le faire de manière naturelle. En faisant des recherches, je suis tombée sur une équipe de Dresde qui souhaitait redonner vie à une recette de fertilisant développée avant la chute du mur de Berlin, mais oubliée depuis. J’ai donc décidé de développer des produits à base de cette recette et de renommer ma société Green innovation.
Quelle est exactement l’activité de la société aujourd’hui ?
Green innovation commercialise un produit totalement naturel, fabriqué entre autres à base de terre volcanique et d’acide humique, ayant beaucoup de propriétés qui font que c’est un excellent engrais et fertilisant. Avant de le commercialiser, il a fallu le tester. Pour cela j’ai notamment pris des contacts en Iran au moment de la levée de l’embargo en 2016 car j’avais lu qu’il y avait de gros problèmes dans ce pays pour faire pousser les cultures. Le gouvernement iranien m’y a octroyé un terrain expérimental de 1.000m2. Nous y avons fait des plantations de riz dans différents carrés où nous avons testé différents dosages. Nous avons fait analyser le riz ainsi produit par un laboratoire de Berlin et il se trouve qu’il était naturellement «bio» grâce à notre engrais naturel. Je suis retournée 4 à 5 fois sur place pour améliorer le processus, mais depuis 2018 tout a été stoppé à cause de nouvelles sanctions prononcées contre l’Iran. Alors j’ai décidé de leur expédier plusieurs tonnes de produit mais la cargaison n’a jamais pu franchir leur frontière. Avec les taxes à l’entrée, le produit était devenu beaucoup trop cher. C’est alors que j’ai eu l’idée de développer une version concentrée du produit sous forme de poudre, beaucoup plus pratique (petit volume, faible poids) et moins couteuse, pour des expéditions dans le monde entier.
Qu’apportez-vous de différent par rapport aux autres engrais qui existent sur le marché?
Le premier atout de mon produit est qu’il est multi-talents. Il ne sert pas seulement d’engrais. Il fait bien d’autres choses. Les engrais classiques sont fabriqués à base d’ammoniaque et leur fabrication nécessite beaucoup d’énergie, alors que l’ammoniaque existe au naturel dans les excréments d’animaux. Mon produit peut récupérer cette ammoniaque de façon naturelle. On le répand sur le sol des étables et il absorbe tout simplement l’ammoniaque. Ainsi on garde les bons éléments du lisier. Cette solution est actuellement en test chez un éleveur de Fentange. Si l’agriculteur est équipé pour fabriquer du biogaz, notre produit peut en plus accélérer la fermentation pour offrir de meilleurs rendements. L’avantage de mettre notre produit dans les étables est que grâce à ces capacités d’absorption, la quantité de CO2 émise baisse drastiquement, ainsi que les mauvaises odeurs, donc les nuisances pour le voisinage. La baisse du CO2 nous la mesurons grâce à des capteurs installés dans les fermes tests. Nous avons aussi installé des capteurs dans les sols des exploitations pour mesurer l’amélioration de la qualité de la terre grâce à notre produit, notamment sa capacité à retenir l’eau. Ceci sera très utile lors d’étés chauds et secs par exemple. Les plantes traitées résistent mieux car leurs racines deviennent plus fortes et longues et vont chercher l’humidité plus profondément. En partenariat avec l’entreprise de blockchain Filedgr, nous sommes allés encore plus loin. Nous avons développé le concept d’une application pour les agriculteurs. Celle-ci croise les données des capteurs installés dans le sol avec les prévisions météo pour alerter sur le meilleur moment pour épandre notre produit.
Comme celui-ci aide à capter le CO2 et que cela est mesurable, mon idée était de permettre aux agriculteurs de vendre des certificats CO2 à des entreprises en ayant besoin. Cela leur ferait un complément de revenu. Notre produit est donc à la base de tout un écosystème plus rentable, plus durable et plus économique, donc totalement vertueux. Pour le moment je n’ai pas réussi à obtenir de financement public pour cette démarche, mais cela ne m’empêche pas de continuer à réfléchir sur ces questions et à mettre au point des solutions. Je voudrais que le Luxembourg soit précurseur dans ce domaine.
Pourquoi le Luxembourg?
Il est vrai que je suis originaire du nord de l’Allemagne où mes grands-parents avaient une ferme. J’ai été élevée parmi les vaches et les grands espaces de nature, d’où mon intérêt pour le monde agricole. Après des années de carrière bancaire au Luxembourg, j’ai souhaité me rapprocher de l’art de vivre de mon enfance. Travailler entouré de plantes est excellent pour le bienêtre et l’équilibre. Je suis arrivée au Luxembourg en 1992 pour travailler à la Deutsche Bank et depuis, ma vie est ici. Après 40 ans dans la finance j’ai voulu changer de vie, mais pas de pays !
À qui s’adressent vos produits?
Ils existent en différents formats pour s’adapter à des besoins différents. Pour les particuliers, la version 2L, ou 10L pour les grands jardins, correspondent à la consommation d’une saison. Pour les fermiers nous avons un format 20L. La gamme s’adresse donc aussi bien aux particuliers qu’aux professionnels.
La gamme concentrée quant à elle, est très adaptée à une clientèle internationale. Avec 350g de poudre ultraconcentrée, on obtient 1.000 litres de fertilisant. Il suffit de rajouter de l’eau, 1 litre de mélasse de sucre et 48 heures d’aération. Il est donc possible d’expédier ces petits colis par DHL partout dans le monde. C’est le système de Coca-Cola qui fait fabriquer ses boissons dans le monde entier à partir d’extraits concentrés. Dans certains pays les agriculteurs peuvent mutualiser l’achat de la poudre et les 1.000 litres d’engrais obtenus.
Vous indiquez sur votre site internet que votre activité est à la croisée entre la biologie, la technologie et le médical. Pouvez-vous expliquer pourquoi?
La biologie est la science du vivant. Les plantes, les animaux et leurs interactions relèvent bien de cette science et c’est la base de mon activité. Le côté technologique réside dans l’utilisation de capteurs et dans l’application mise au point pour les agriculteurs. J’étudie également la possibilité d’utiliser la blockchain pour la traçabilité de mes produits de bout en bout. Toujours dans l’idée de rendre les exploitations agricoles le plus autonome possible, je suis en train d’étudier, avec un jeune ingénieur allemand, la mise au point d’une mini éolienne de toit. Celle-ci sera complémentaire des panneaux photovoltaïques. Quant au côté médical, il va se développer à plus long terme mais l’idée est de remplacer les antibiotiques pour animaux. Mais dans ce domaine les processus sont plus longs, car il faut franchir des étapes très réglementées pour prouver l’efficacité et l’innocuité du produit. Les pictogrammes de mon logo reprennent ces trois dimensions: la croix pour le médical, la feuille pour le côté «bio» et les engrenages pour symboliser la technologie.
En quoi vos produits sont-ils une réponse au changement climatique?
Tout d’abord car notre procédé de fabrication et les emballages que nous utilisons ont un faible bilan carbone. Ensuite, nous produisons localement et pour les expéditions lointaines nous utilisons la version concentrée qui est très légère et ne nécessite pas de moyens de transport importants. Mais c’est surtout l’action du produit qui est fondamentale. Les plantes traitées interagissent mieux avec l’air qui les entoure. Elles absorbent plus de CO2 et cette efficacité est mesurable grâce aux capteurs que nous installons. On peut donc voir très rapidement l’effet du produit sur les rejets de CO2 des exploitations.
Comment expliquer le besoin d’ajouter des additifs à la terre ? La nature n’estelle pas autosuffisante?
La nature est en effet autosuffisante mais nous l’avons abîmée en utilisant des engrais et des herbicides chimiques. Ceux-ci présentent en plus l’inconvénient de partir avec l’eau de pluie. Il faut donc en remettre régulièrement et cela amplifie le phénomène d’usure et de pollution des sols. Les monocultures empêchent également les sols de se régénérer. Or la majorité des cultures sont faites sur ce modèle à l’heure actuelle.
Quelles sont les principales difficultés de votre métier?
La concurrence est très importante et les gros acteurs dominent le marché. Ceux-ci ne voient pas d’un très bon oeil l’arrivée d’une solution facile d’utilisation et moins chère. Dans chaque pays, au moment de demander une licence, nous faisons donc face à des barrières mises en place par les grands acteurs déjà présents. Nous sommes une petite société encore méconnue. Il nous est donc difficile de convaincre les fermiers d’utiliser nos produits plutôt que ceux auxquels ils sont habitués. Or nos solutions peuvent casser la spirale négative d’usure des sols. Par ailleurs, en utilisant nos produits, les fermiers peuvent vendre sous label « bio » et ainsi mieux gagner leur vie.
Comment faites-vous connaitre vos produits?
Sur le marché local je vends mes produits sur LetzShop. Je vais aussi exposer à la foire agricole d’Ettelbruck début juillet. Pour le marché belge, je suis en négociation avec une enseigne de bricolage. Ma fille a rejoint le projet. Elle va m’aider à améliorer notre site internet et à faire la promotion sur les réseaux sociaux.
Pour l’international, je me concentre pour le moment sur les marchés où j’ai déjà fait des tests et des démonstrations, par exemple le Maroc. Des amis y ont créé une société dédiée. Je fais de même au Kenya avec un contact luxembourgeois qui est sur place. En Espagne, je passe par des amis qui ont des fermes. J’utilise donc beaucoup mon réseau personnel pour le moment.
Pouvez-vous bénéficier d’aides publiques grâce à votre positionnement green?
Mes démarches auprès du ministère de l’Agriculture n’ont pas abouti mais j’ai appris que mon dossier avait été transmis au ministère de l’Économie. Parallèlement, je me suis rapprochée de la commune de Differdange qui cherche des solutions pour réduire ses émissions de CO2.
Quelles sont vos perspectives d’avenir?
D’abord développer les débouchés à l’international grâce à l’expédition de ma formule concentrée. Le produit est entièrement organique. Il ne présente donc aucuns dangers de transport. Ensuite je voudrais trouver d’autres applications à mon produit. Par exemple, j’ai mené une phase expérimentale en Iran pour l’ajouter à la nourriture des poulets pour faire baisser la teneur en ammoniaque de leurs déjections. Cela serait très utile car dans les grands élevages beaucoup de poules meurent à cause des émanations d’ammoniaque.
Je souhaite donc développer cette piste mais cela nécessite de nouveaux investissements pour mener les études scientifiques adéquates. Une dernière piste que j’étudie pour l’avenir est le développement d’une gamme végane. L’acide humique est en effet un composant provenant de matières animales. Il faudra donc trouver un substitut.
Pour certains marchés le côté végane est important. Mais ma priorité pour un avenir proche est bien de développer mes ventes au Luxembourg et dans les pays limitrophes.
Parlons maintenant de votre participation à la semaine Made in Luxembourg à l’Expo2020 Dubaï. Comment avez-vous été approchée et avez-vous tout de suite accepté?
J’ai fait les démarches pour obtenir le label Made in Luxembourg début 2021. Quand je me suis déplacée à la Chambre de Commerce pour le recevoir, l’équipe des affaires internationales m’a parlé de cette possibilité d’exposer mes produits à Dubaï en novembre. Leur volonté était de montrer la variété des produits fabriqués au Luxembourg. J’ai été tout de suite séduite par cette opportunité, d’autant que mes produits sont faciles à présenter.
Quelles sont les retombées à ce jour?
Cette expérience a été très porteuse car le monde entier a visité le Pavillon luxembourgeois. La clientèle business était très présente le matin et tard le soir. J’ai été contactée par le Golf Club Jumeirah, très intéressé par le fait que mon produit aide à retenir l’humidité dans le sol, ce qui représente des perspectives de moindre arrosage. Un autre client potentiel s’est montré intéressé pour des terrains de football en Angleterre.
Je suis en train de faire les démarches pour une licence pour l’Inde. L’émirat de Dubaï est intéressé pour l’arrosage des plantes car les engrais traditionnels ne marchent pas très bien avec l’eau usée qu’ils utilisent à cet effet. La ministre de l’Agriculture du pays a un plan ambitieux. Elle a été formée en Allemagne. Je vais lui proposer tout mon écosystème vertueux. Cela pourrait les intéresser dans le cadre de la conversion du site de l’exposition en écoquartier.
Par ricochet, plusieurs contacts luxembourgeois connaissent désormais mieux les avantages de ce que je propose. Cette participation a donc été très bénéfique.
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TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize