Rares sont les personnes qui n’ont jamais eu affaire au personnel de la société Ebos. Ces experts de la relation clients officient depuis plus de 10 ans, depuis leurs locaux de Differdange ou, le plus souvent, directement depuis chez les marques pour lesquelles ils assurent ce service. Ebos est en effet le leader des call center au Luxembourg, avec 600.000 appels traités chaque année, en huit langues, par 170 collaborateurs soigneusement formés. Ebos est labellisée ESR – Entreprise Responsable par l’INDR depuis 2017. Rencontre avec Gregory Pilchen, Managing Director.
Pouvez-vous brièvement nous rappeler l’histoire de l’entreprise et nous en dire un peu plus sur son activité ?
L’équipe en place a commencé à travailler en 1997, à Howald, sous la marque Transcom WW, appartenant au groupe Suédois Kinnevik. En 2009, ce groupe a souhaité se désengager de l’Europe de l’ouest et a cherché un repreneur. Nous avons alors été rachetés par une joint-venture luxembourgo-belge, dont l’actionnariat est composé à parts égales d’Editpress et d’Ebos Belgique. Nous nous sommes alors installés sur notre site actuel de Differdange et avons grandi, passant de 45 employés en 2009 à 170 fin 2020. Le Luxembourg est un marché spécifique où les entreprises externalisent peu leurs relations clients. Donc, en plus de notre propre call center, nous gérons beaucoup de centres d’appel situés dans les murs de nos clients, avec du personnel 100 % recruté, formé, encadré et payé par nous. Nous travaillons pour une vingtaine de clients importants, principalement issus des secteurs télécoms, banque/finance et automobile ainsi que quelques ONG. Il nous arrive aussi de travailler ponctuellement pour une marque qui aurait besoin de faire une campagne de télémarketing ou de prise de rendez-vous ou encore un sondage… Au total nous traitons plus de 600.000 appels par an. J’aime à dire que c’est comme si chaque habitant du Luxembourg nous appelait une fois !
La relation clients ne se fait pas uniquement par téléphone. Quelle est la proportion des différents canaux de communication ?
Les contacts digitaux progressent, mais plus lentement qu’on ne pourrait le croire. Les appels téléphoniques représentent toujours plus de 80 % des interactions, suivis des e-mails (10 %). Ensuite seulement viennent les chats et autres canaux digitaux (forum, réseaux sociaux …) qui sont encore émergents. Les techniques de contacts automatisés (chat bot, FAQs) sont, en général, réservées aux questions les plus simples (prix, horaires, localisation…), ou pour apporter des réponses en dehors des horaires d’ouverture. Le Luxembourg a pris un peu de retard dans ce domaine par rapport à d’autres marchés, car les investissements nécessaires sont souvent significatifs pour des marques qui n’ont pas toujours la masse critique permettant un bon retour sur investissement (ROI) sur ce genre de projets. Nous constatons malgré tout une accélération de cette tendance depuis trois ou quatre ans car les technologies deviennent plus abordables et moins lourdes à mettre en place.
La relation clients nécessite de très bien connaître les produits, services et procédures, parfois complexes de vos clients. Comment formez-vous le personnel ?
Les opérateurs que nous recrutons sont formés à la culture, à l’histoire et aux outils des entreprises clientes comme s’ils avaient été embauchés par elles. 95 % des employés sont dédiés à un seul client qu’ils connaissent donc parfaitement. Nous construisons les formations avec nos clients et ceux-ci nous informent des moindres changements pour que nous puissions actualiser les contenus. Nous disposons d’un centre interne de formation appelé Ebos Academy, qui est l’un de nos grands atouts, l’une des raisons pour lesquelles les clients font appel à notre savoir-faire. Les gens déjà formés à ce métier et qui parlent de surcroît le Luxembourgeois, n’existent pas. Nous devons trouver des personnes qui ont le potentiel requis et les former entièrement. Chaque recrue passe en moyenne 3 semaines en formation avant de traiter son premier contact client. Puis, tout au long des carrières, nous continuons à former les équipes pour pouvoir proposer des progressions vers des postes de chefs d’équipe ou de projet.
Depuis la fin d’année dernière nous avons également créé un "incubateur" pour les nouvelles recrues, où elles sont accompagnées par plus de coach, en leur laissant plus de temps chaque semaine pour améliorer leurs performances et les aider à se sentir mieux dans leur nouveau métier.
On entend souvent que les métiers en contact avec du public sont confrontés plus souvent à des attitudes agressives ou inciviles de leurs interlocuteurs. Faites-vous également ce constat ? Comment formez -vous votre personnel à cette nouvelle réalité ?
Il y a une tendance générale à plus de violence et effectivement les gens ont parfois tendance à prendre plus de libertés à distance qu’en face-à-face, mais je ne dirais pas forcément que c’était mieux avant. Aujourd’hui les gens savent que la technologie avancée permet de les identifier et cela calme le jeu. Dans un petit pays comme le Luxembourg, chacun tient à sa réputation. Les relations sont plus policées qu’ailleurs. Cependant, pour répondre à votre question, nous avons une formation spécifique à la gestion de clients difficiles, cela englobe les personnes agressives mais aussi parfois celles qui pensent avoir réponse à tout etc. Cette formation fournit des techniques pour éviter d’arriver à un stade où la conversation dérape vers du désagréable. Pour aider les opérateurs, nous faisons beaucoup de séances d’écoute. Nous enregistrons 1 à 3 % des appels et ensuite nous les analysons.
C’est un très bon matériau pédagogique.
Quels sont les bons profils pour faire de la relation clients ?
Un bon conseiller clients ne s’évalue pas nécessairement au travers d’un CV. Il n’y a pas de cursus scolaire spécifique. C’est nous qui enseignons le métier. L’an dernier la moitié de nos recrues n’avaient aucun diplôme. Ce que nous recherchons au moment du recrutement c’est en premier lieu la motivation, les langues parlées et des softs skills comme les capacités de communication, l’aisance digitale, l’esprit de concision, l’esprit d’équipe et la capacité à travailler en call center, car il s’agit d’un environnement particulier, très jeune, très dynamique, où le rythme est soutenu. Nos meilleurs collaborateurs peuvent aussi bien sortir tout juste de l’école qu’avoir opéré un changement de carrière radical. On trouve assez fréquemment des bons profils issus de la vente, de l’hôtellerie ou de l’automobile mais il n’y a pas vraiment de règles.
La relation clients, ce sont aussi beaucoup d’outils digitaux permettant d’optimiser les suivis. Comment assurer un bon équilibre humain-machine ?
Notre slogan est “The human touch in the digital contact”. La signification derrière ces mots est triple. D’abord, nous pensons que les outils digitaux sont contre-productifs s’ils ne sont pas implémentés par des experts de la relation clients. On ne compte plus les clients qui viennent nous voir en demandant de l’aide après des tentatives digitales qui ont été des fiascos, à la suite d’une préparation trop orientée technologie, et pas assez “Relation Clients”. Ensuite, nous pensons également que les outils digitaux ne doivent pas être imposés aux clients en remplacement de l’humain, mais mis à disposition, si le client le juge utile pour lui, pour certains types de problématiques (simulateurs de crédit par exemple) ou des questions simples (obtenir une liste de prix, des horaires d’ouverture) ou encore pour pouvoir assister les clients en dehors des horaires d’ouverture. Enfin, nous pensons que l’un des aspects les plus passionnants de la digitalisation, est l’assistance qu’elle apporte aux téléopérateurs, faisant d’eux des conseillers “augmentés”. L’intelligence artificielle et sa puissance de recherche dans les informations stockées, permettent d’apporter de meilleures réponses, plus rapidement et de traiter les cas complexes plus facilement. Les historiques sont enregistrés et les clients reconnus. Ils ne doivent pas réexpliquer leur cas à chaque opérateur qui intervient sur leur dossier. Les outils de relation clients sont en outre de plus en plus interconnectés avec les autres outils digitaux des entreprises et cela fluidifie les traitements.
La problématique du RGDP a-t-elle transformé votre métier ?
En ce qui nous concerne, le RGDP n’a eu aucun impact. La problématique de la protection des données personnelles était déjà au centre de nos préoccupations depuis le début des années 2000, avec une nette accélération au début des années 2010 avec la digitalisation. La législation luxembourgeoise a toujours été l’une des plus strictes d’Europe. Par exemple, l’acquisition de listings de numéros de téléphone pour organiser des campagnes massives de télémarketing, n’y a jamais été autorisée. En amont de la mise en place du RGDP sur le plan européen, notre groupe avait déjà pris l’initiative de travailler sur les aspects juridiques des données personnelles avec l’université de Bologne qui travaillait aussi avec les instances européennes sur ces questions. Finalement, je dirais que l’entrée en vigueur du RGDP a plutôt été une aide pour structurer notre approche et surtout sensibiliser nos donneurs d’ordres, qui sont les propriétaires des données que nous traitons. Cela a facilité le dialogue, en partant d’un référentiel commun et cela a contribué à assainir le métier.
Vous êtes labellisé Entreprise Socialement Responsable. Qu’est-ce que ce label représente pour vous ?
Notre engagement dans la responsabilité sociale est assez ancien, notamment car nos métiers offrent des opportunités de carrières aux personnes non diplômées qui ont généralement plus de difficultés que d’autres à trouver un emploi. En suivant la to do list de l’INDR pour obtenir la labellisation, nous avons voulu aller plus loin. Nous avons confronté notre démarche à un référentiel officiel pour éviter d’avoir des angles morts dans notre approche et aussi pour avoir accès aux bonnes pratiques d’autres entreprises ou d’autres secteurs d’activité. Nous articulons notre démarche RSE autour de trois piliers, social, éthique et citoyen. Le pilier social consiste à assurer un traitement équitable et responsable des personnes, offrir des possibilités d’évolution au sein de l’entreprise et à nous engager pour le bien-être de nos collaborateurs. Le pilier éthique repose sur la protection des données, des relations client/fournisseur responsables et transparentes et la réduction de notre impact environnemental. Enfin le pilier citoyen couvre le respect de la diversité, l’insertion des personnes et l’implication de l’entreprise dans la vie locale, que nous développons depuis que nous sommes à Differdange, notamment en embauchant beaucoup localement.
Comment mesurez-vous le bien-être des collaborateurs ?
Nous le mesurons en faisait des enquêtes de satisfaction annuelles et d’autres plus ponctuelles sur des sujets précis. Nous en avons organisé plusieurs durant le confinement, pour mesurer rapidement les besoins en accompagnement et les évolutions de ces besoins. C’est ainsi que nous avons découvert que la plupart des employés ne souhaitaient pas rester à 100% en télétravail. Nous avons d’autres indicateurs importants comme le turnover ou l’absentéisme. Chez Ebos, l’ancienneté moyenne est supérieure à 4 ans -ce qui est beaucoup dans notre métier- et l’absentéisme est quasi nul ; nous en déduisons que les gens se sentent plutôt bien chez nous. Nous dialoguons beaucoup jusqu’à trouver l’origine des situations problématiques pour les résoudre.
Quel est l’impact de la crise du Coronavirus sur votre activité ?
Les différentes mesures sanitaires et la crainte des contaminations ont indéniablement eu un effet sur notre activité. Les gens se tournent davantage vers le contact à distance (téléphone, chat, e-mails...). Ebos a donc doublé son activité en 18 mois, principalement par l’acquisition de nouveaux clients, mais aussi par ces changements d’habitudes, responsables de 10 à 20% de la hausse. Ce bilan positif est un soulagement car au tout début de la crise, lors du confinement strict, beaucoup de clients avaient fermé leur activité et il ne se passait plus rien. Les volumes traités se sont d’abord écroulés pour ensuite reprendre à un niveau plus élevé qu’avant. Nous avons dû répondre à des problématiques nouvelles, par exemple pour aider des clients qui n’avaient pas prévu la vente à distance ou pour assurer le SAV qui ne pouvait plus se faire sur les lieux de vente… Du fait des congés pour raison familiales, il y a eu une pression sur le personnel resté en activité. Nous avons très vite repris nos recrutements et nos formations, mais en mode digital, ce qui était nouveau pour tout le monde. Ce fut une grosse période d’apprentissage qui a accéléré considérablement nos projets de digitalisation. Par exemple, nous avons mis en place un système de coaching à distance pour les plus juniors de nos opérateurs, pour les rassurer et leur permettre d’avoir des réponses rapides en cas de difficulté avec un interlocuteur. Nous nous sommes mis autélétravail comme tout le monde. Notre métier s’y prête bien car nous pouvons suivre facilement l’activité de chacun à distance mais nous faisons le constat que ce n’est pas l’idéal pour nos opérateurs qui n’ont pas toujours chez eux le calme nécessaire à un travail au téléphone. Beaucoup sont jeunes et ont des enfants en bas âge ou de petits logements où il est difficile de s’isoler. À l’heure actuelle, à peu près la moitié des effectifs est encore en télétravail mais tous ceux qui ont souhaité revenir sur leur lieu de travail ont pu le faire.
Observe-t-on une tendance à la relocalisation des centres d'appels extra-territoriaux ou offshore ?
Il est vrai que la tendance du offshore s’est beaucoup développée dans notre métier pour pouvoir bénéficier de coups réduits. Le Luxembourg est plutôt préservé de ce phénomène pour 3 raisons. La première est que Luxembourg est le pays qui externalise le moins sa relation clients, pour des raisons culturelles et surtout opérationnelles, puisque peu de sociétés atteignent la masse critique permettant une délocalisation intéressante pour les prestataires offshore. La deuxième raison est linguistique, notamment grâce à la place centrale du luxembourgeois dans la communication des marques. Aucune destination offshore ne peut offrir cela. Enfin, la troisième raison est d’ordre juridique. Le Luxembourg a une politique de protection des données très aboutie, et cela date de bien avant le fameux RGPD, ce qui empêche certains secteurs, notamment la finance, d’exporter leurs données hors d’Europe.
Toutes ces raisons font qu’il n’y a quasi pas de délocalisation, à part pour quelques campagnes de télémarketing isolées.
Vous avez fait toute votre carrière dans la relation clients. Quelles sont les évolutions majeures et les tendances que vous avez pu observer ?
La chose la plus frappante est la disparition des tâches simples. Au début de ma carrière on pouvait former les opérateurs en un jour car les tâches n’étaient pas très compliquées. Aujourd’hui il faut 3 semaines minimum pour que le personnel soit apte à traiter des dossiers complexes, dans des outils complexes. Cela donne une valeur ajoutée beaucoup plus importante à notre travail. Le vrai challenge qui en découle est de faire monter en compétence le personnel qui est chez nous depuis longtemps et qui doit s’adapter à la nouvelle donne et à la multiplicité des canaux de communication que nous utilisons aujourd’hui.
Nous avons aussi fait évoluer les Key Performance Indicators, les fameux KPI, car les mesures très quantitatives comme le temps d’attente ne suffisent plus ; il nous faut des notions beaucoup plus qualitatives. Dans certains domaines les offres se ressemblent beaucoup. Ce qui fait la différence c’est la qualité du service rendu au client final et son degré de satisfaction. Pour moi les KPIs les plus importants sont ceux qui mesurent cette satisfaction. Nos formations reposent beaucoup là-dessus, sur cette notion de qualité.
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize