La Chambre de Commerce vient de publier son avis sur le projet de loi n°8444 concernant le budget des recettes et des dépenses de l'Etat pour l'exercice 2025 et le projet de loi n°8445 relative à la programmation financière pluriannuelle pour la période 2024-2028.
Un contexte économique plein d’incertitudes … et de risques
Si la croissance mondiale retrouve un certain dynamisme avec le desserrement des politiques monétaires, celle-ci reste très hétérogène. Alors que les pays émergents performent, les Etats-Unis résistent, la Chine ralentit et l’Europe est toujours à la peine. Celle-ci est handicapée par les difficultés économiques et politiques de ses deux moteurs : l’Allemagne et la France. Un contexte qui contribue à accentuer encore le décrochage que subit l’Europe par rapport aux États-Unis, parfaitement mis en lumière par le rapport Draghi, publié il y a quelques semaines.
Dans une Europe malade, le Luxembourg tousse aussi. Le pays se montre incapable de réitérer ses performances passées et subit depuis plusieurs années une véritable panne de croissance, qui semble maintenant se transmettre au marché de l’emploi, qui ralentit. Après la récession enregistrée en 2023, le pays devrait retrouver une faible croissance de 1,5% en 2024. La maîtrise de l’inflation et la stabilisation des taux d’intérêt doivent toutefois permettre un rebond en 2025, avec une anticipation de croissance à 2,7%. La croissance serait ensuite de 2% en 2026, 3,2% en 2027 et 3% en 2028. C’est sur la base de ces hypothèses que les prévisions budgétaires d’ici 2028 ont été bâties.
Une situation budgétaire stabilisée à court terme
En mars, au moment de la présentation du projet de budget 2024, la Chambre de Commerce insistait sur la nécessité de retrouver des marges de manœuvre budgétaires afin de mettre le pays en capacité d’affronter les crises futures. Elle note avec satisfaction que le budget 2025 a été établi dans cet esprit. Grâce à des recettes plus dynamiques et une maîtrise des dépenses (liée à l’extinction progressive des dispositifs de protection contre l’inflation, mais aussi à des efforts louables pour mieux maîtriser les dépenses courantes), le Gouvernement est parvenu à inverser l’effet ciseaux apparu en 2022, et ainsi les dépenses de l’Administration centrale progressent moins vite que les recettes : respectivement 4,5% contre 5,2% en 2025. Conséquence directe : le solde de l’Administration centrale s’améliore, avec un déficit limité à 1,5% du PIB contre 1,7% en 2024. Grâce à un effort continu de maîtrise des dépenses, le déficit devrait passer sous la barre symbolique du milliard d’euros dès 2027 et être contenu à 0,7% du PIB en 2028.
La Chambre de Commerce salue cette nouvelle trajectoire budgétaire, qui va permettre de stopper la spirale de l’endettement. Selon la programmation financière pluriannuelle, la dette publique devrait en effet atteindre un plafond à 27,5% du PIB en 2024 et 2025 avant de décroître jusqu’à 26% du PIB en 2028. Dans le contexte d’incertitude économique que nous connaissons, la Chambre de Commerce a porté une attention particulière à l’analyse de sensibilité présentée dans la documentation budgétaire. Même en cas de croissance moins dynamique qu’attendu ou de choc sur les taux d’intérêt, elle note avec satisfaction que la dette publique ne franchirait pas le seuil des 30% du PIB au cours de la période. Elle salue l’effort amorcé par le Gouvernement pour une meilleure maîtrise de la dette publique. « C’est sa stabilité politique et financière qui fait la force du Luxembourg et qui séduit les investisseurs, rappelle Carlo Thelen, le Directeur général de la Chambre de Commerce. Il est donc impératif de conserver la notation AAA, réservée désormais à un groupe de pays de plus en plus fermé. »
Un besoin de réformes à long terme
Si la Chambre de Commerce salue les efforts consentis par le Gouvernement pour stabiliser la situation budgétaire à court terme, elle est en revanche beaucoup plus inquiète par les perspectives à moyen et long terme.
Du côté des recettes d’abord. La Chambre de Commerce rappelle le caractère non-pérenne de certaines recettes, comme les taxes et accises sur les ventes de tabac et de carburant, lesquelles représentent 7,6% du total des recettes de l’Administration centrale au projet de budget 2025. Elle invite le Gouvernement à anticiper dès à présent ces évolutions importantes.
Mais c’est surtout l’évolution des dépenses liées au vieillissement de la population qui préoccupe la Chambre de Commerce. D’ici 2070, la population en âge de travailler, c’est-àdire, la part des 15 à 64 ans par rapport à la population totale, passera de 69,3% à 57,3%, soit une baisse de 12 points de pourcentage par rapport à 2022. Selon ces projections démographiques[1] , les dépenses totales liées au vieillissement passeront de 17,2% du PIB en 2022 à 27,9% en 2070. Les dépenses de pension doubleront quasiment, tandis que celles liées aux soins de santé et aux soins de longue durée poursuivront leur hausse rapide.
Si l’horizon temporel de 2070 peut sembler lointain, cette trajectoire se dessine déjà dans les documents budgétaires. En effet, le solde des Administrations de sécurité sociale se dégrade progressivement, passant d’un excédent de 1.173 millions d’euros en 2023 à un déficit de 15 millions d’euros en 2028. Si l’emploi devait être moins dynamique qu’attendu, le déficit pourrait même atteindre 355 millions d’euros en 2028. À politique inchangée, la dégradation du solde serait si rapide que la réserve du régime général d’assurance pension, qui s’élevait à 27,4 milliards d’euros au 31 décembre 2023, serait épuisé en 2047. La non-soutenabilité du système apparait donc clairement.
L’assurance maladie-maternité est un autre sujet d’inquiétude. Sous l’effet du vieillissement de la population, le déficit irait en s’aggravant, passant de 46 millions d’euros en 2024 à 190 millions d’euros en 2028.
« Le Gouvernement a le devoir d’élaborer et de présenter une stratégie pour tendre vers un système durable et respectueux du principe d’équité intergénérationnelle, sans perdre de vue que c’est d’abord le dynamisme économique qui permettra de financer ce modèle social », estime Carlo Thelen
Des grandes mutations à accompagner
Pour soutenir ce dynamisme économique, le Luxembourg doit évoluer pour s’adapter à un certain nombre de grandes transformations. La Chambre de Commerce a choisi d’analyser la manière dont la programmation financière pluriannuelle 2024-2028 amorce ces évolutions.
La première grande tendance à laquelle le pays fait face, c’est la perte de compétitivité qu’il subit depuis maintenant plusieurs années. Il est urgent de stopper cette dynamique négative, nourrie notamment par des pertes de positions en matière de compétitivité-coûts. La Chambre de Commerce estime que le Gouvernement envoie un certain nombre de signaux positifs à travers ce projet de budget 2025, notamment en matière de compétitivité fiscale, avec la baisse d’un point du taux de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC). De même, la Chambre de Commerce ne peut que saluer l’exonération de la taxe d’abonnement pour les ETFs gérés activement. Une mesure qui ne pourra que renforcer la position de la Place financière luxembourgeoise.
La compétitivité des entreprises européennes est fortement dégradée par les coûts de l’énergie, beaucoup plus élevés que dans les blocs économiques concurrents. À l’échelle nationale, la Chambre de Commerce regrette que le projet de budget ne reflète pas suffisamment les ambitions pourtant affichées par le Gouvernement en matière de développement des capacités de production d’énergie et de solutions pour accroître rapidement le mix technologique afférent.
L’accroissement démographique constitue une autre grande transformation à prendre en compte. Sur ce point, la Chambre de Commerce salue l’effort budgétaire consenti pour les investissements dans les infrastructures publiques, en particulier les infrastructures de mobilité. Elle salue également les dispositions prises pour relancer le marché de la construction de logements et le marché de l’immobilier. Elle accueille favorablement la réduction de moitié de la base imposable des droits d’enregistrement et de transcription sur les acquisitions. Quant à la question du logement abordable, la Chambre de Commerce estime qu’il est primordial de renforcer les moyens opérationnels des acteurs du secteur, en y associant par exemple des opérateurs privés, afin que les projets puissent se concrétiser selon le calendrier prévu, ce qui ne semble pas être le cas actuellement.
Autre transformation majeure : la transition environnementale. Les investissements publics dans l’environnement et le climat sont évalués à plus d’un milliard d’euros pour 2025, en progression de 19,5% par rapport à 2024. Cet effort représente 1,2% du PIB et n’a jamais été aussi élevé. La Chambre de Commerce note que le Gouvernement envisage de stabiliser cet effort dans les prochaines années. Elle l’encourage à produire un effort particulier pour aider l’industrie luxembourgeoise à réussir sa décarbonation et à maintenir sa rentabilité face à la concurrence internationale.
La Chambre de Commerce s’est également intéressée aux lignes budgétaires consacrées à la transition digitale, en particulier la mise en œuvre de l’intelligence artificielle dans l’économie. Elle se réjouit notamment que les SME Packages soient étendus à la cybersécurité et à l’intelligence artificielle et qu’un nouveau programme « Fit 4 Digital – AI » voit le jour. Elle estime que le tryptique « Talents - Infrastructures - Financement » doit faire l’objet d’une attention particulière si le Luxembourg veut pleinement profiter de la vague de productivité que l’IA pourrait apporter.
Enfin, l’intensification des risques géopolitiques constitue la dernière tendance de fond qui a retenu l’attention de la Chambre de Commerce. Le projet de budget 2025 apporte une réponse concrète à travers la progression de l’effort de défense luxembourgeois, destiné à atteindre 2% du RNB dès 2030. En 2025, ce sont près de 800 millions d’euros qui vont être investis dans la défense. La Chambre de Commerce rappelle que la progression de l’effort de défense luxembourgeois doit être accompagnée d’une véritable stratégie économique afin de maximiser le retour sur investissement au bénéfice des acteurs économiques locaux.
[1] Projections issues du rapport 2024 du groupe de travail européen « Ageing working group » (AWG) du Comité de politique économique auprès du conseil ECOFIN.