On parle de domotique depuis les années 1970-1980 mais en réalité, le premier objet de domotique date de 1955, année au cours de laquelle l’ingénieur américain Eugène Polley a développé la première télécommande sans fil. Aujourd’hui, nous sommes entourés d’objets non seulement sans fil mais hautement communicants et «intelligents » grâce au traitement des nombreuses données qu’ils collectent et/ou génèrent. La domotique a quitté l’univers des films de science-fiction pour entrer dans les logements et transformer notre sweet home en smart home. La société DOVIT est entrée dans le jeu il y a quelques années et équipe environ 500 logements par an sur le marché luxembourgeois avec des solutions apportant confort, sécurité et gestion de l’énergie, le tout configuré selon les souhaits des clients et adaptable à l’évolution de ceux-ci. Entretien avec Patrice Waltzing qui a récemment quitté l’univers du conseil pour prendre les rênes de cette pépite nationale, revenant ainsi à ses premières amours : l’industrie et la technologie.
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Quelle est l’origine de DOVIT?
En fait, l'origine se trouve dans un mémoire de fin d’étude réalisé par un étudiant ingénieur italien de la région de Vérone, Giovanni Grauso. Sur la base de ce travail, Giovanni et son frère Silvio ont créé en 2004 une entreprise et une marque: Home Innovation. C’est sur ces fondations solides que DOVIT a été créée en 2018 avec le rachat par le groupe luxembourgeois Promobe. Giovanni et son frère Silvio sont toujours dans la société. Ils dirigent le centre de R&D qui est situé à Vérone, centre où sont conçus tous les équipements et où nos ingénieurs étudient la façon d’intégrer les nombreux objets connectés disponibles sur le marché à notre propre système.
On entend parler de domotique depuis longtemps. Pourquoi cela se développe-t-il vraiment maintenant?
Toute technologie demande un temps plus ou moins long pour arriver à maturité, en fonction de la durée nécessaire à l’apprentissage et à la prise en compte des méfiances et freins des utilisateurs. Il y a également le besoin pour les producteurs de stabiliser leurs produits pour garantir un niveau de qualité élevé. Ça a été le cas pour la domotique comme pour d’autres. Au début, les serveurs nécessaires étaient très encombrants, ce qui ne permettait pas de développer facilement le marché. Avec la miniaturisation des composants et la capacité nettement améliorée des micro - processeurs, les produits sont devenus plus stables et plus faciles à intégrer dans tout type de logement sans nécessiter d’espace important. La vraie révolution est récente. L’arrivée des objets connectés dans nos vies a accru l’intérêt pour une domotique cen - tralisée capable de les contrôler. Les utilisateurs se sont habitués aux technologies liées à internet, au cloud computing et surtout à l’utilisation de leur smartphone pour beaucoup de leurs activités quotidiennes. La maturité globale du marché est maintenant en place. Mais il faut encore harmoniser les protocoles utilisés dans les processus do - motique (ensemble de règles qui régissent les échanges de données d'ordinateurs en réseaux, de composants électroniques ou d'objets connectés, ndlr). Aujourd’hui, il y en a encore une trentaine sur le marché, ce qui complique le dialogue entre les différents éléments. C’est donc la prochaine étape in - contournable de l’évolution de la technologie, qui contribuera à son développement.
Vos solutions permettent de gérer de façon centralisée plusieurs commandes concernant la maison, de l’éclairage aux accès en passant par le chauffage ou les stores. Quelle clientèle visez-vous ? Plutôt le résidentiel ou les immeubles administratifs et de bureaux?
À l’heure actuelle, une grosse majorité de notre activité concerne le résidentiel. Le principe de la domotique est de pouvoir gérer les paramètres d’unités de vie de façon individuelle et de donner la main à l’utilisateur final pour cette gestion. Dans un immeuble administratif ou de bureaux, en règle générale, beaucoup de choses se font de manière centralisée et selon des sché - mas complexes qui intègrent par exemple également le réseau IT ou la téléphonie, etc. Ce n’est donc pas du tout la même organisation ni la même finalité. Cela étant dit, de plus en plus, nous étudions l’opportunité de nous développer dans le secteur des bâtiments collectifs de type hôtels, hôpitaux ou maisons de repos car dans ce cas la notion d’unité de vie est présente et le confort des utilisateurs y est valorisé. Dans le cas, des bâtiments en lien avec la santé, l’avantage de la domotique est que ses outils permettent de suivre le fonctionnement du bâtiment lui-même mais aussi les données de santé des occupants. Cela peut représenter une aide précieuse pour suivre des patients et adapter facilement leur environnement de vie.
La présence d’un système de domotique ne rend-elle pas les bâtiments plus vulnérables en termes de cybersécurité?
Nos installations sont filaires et garantissent une sécurité optimale de toutes les données. En effet, les serveurs sont systématiquement installés localement chez le client et les données n’en sortent pas. Le client peut décider de nous permettre d’accéder aux données. Ce peut être intéressant, par exemple, pour les traiter de manière à les traduire en scénarios pour automatiser certaines tâches ou comportements en fonction des habitu - des d’une maisonnée.
Le Luxembourg est-il particulièrement porteur grâce à son florissant marché de l’immobilier?
D’une manière générale, les marchés où le prix du mètre carré à l’achat est élevé sont porteurs car dans ce cas, le coût d’une installation de domotique apparaît comme marginal dans le prix total du bien. De même, les marchés où les logements sont spacieux, avec un nombre de pièces important, sont intéressants car la domotique y trouve toute sa raison d’être en centrali - sant les commandes via un écran tactile fixe et/ou depuis n’importe quel écran mobile. Enfin, les marchés sur lesquels le prix de l’immobilier augmente régulièrement permettent également d’absorber le surcoût lié à la domotique. Le Luxembourg coche toutes ces cases. Nous y avons donc un potentiel important de développement, d’autant plus que les programmes de constructions neuves sont nombreux. Nous continuons également à développer notre marché historique, l’Italie, où les clients sont férus de technologie et de design et où il existe de nombreux projets de smart cities. La domotique s’inscrit parfaitement dans cette tendance. Ces systèmes peuvent facilement être connectés à des ressources externes comme la possibilité de consulter le trafic routier en temps réel ou de réserver des spectacles ou des tables au restaurant, etc. En dehors de ces deux marchés phares, nous sommes présents en France, en Belgique et en Allemagne et nous souhaitons prochainement aborder les Émirats arabes unis et le Moyen-Orient en général.
Vous parliez de l’intérêt d’un marché comme le Luxembourg où de nombreux projets immobiliers neufs voient le jour. Votre système peut-il cependant équiper du bâti existant?
Oui, cela est tout à fait envisageable. Nous le faisons beaucoup en Italie où le bâti ancien est très présent mais, pour un système complet, il faut envisager de gros travaux car il est nécessaire de changer complètement le câblage et donc de faire des saignées dans les murs. Heureusement, notre solution est compatible avec des protocoles non filaires et des équipements peuvent être connectés à notre serveur sans nécessiter de nouveaux câbles. En fonction du niveau de rénovation nous pouvons donc décider d’augmenter ou de réduire la part du filaire dans l’installation. Il faut savoir que la mise en œuvre d’un système domotique dans un bâtiment ancien revient 20 à 30% plus cher en moyenne que dans un bâtiment neuf. Dans les faits, on se rend compte que ce ne sont pas tant les coûts qui influencent la décision mais les éventuels désagréments engendrés par les travaux.
Quel est le prix moyen d’une installation? Y a-t-il une démocratisation en cours?
Selon le nombre d’éléments à piloter à distance, le prix peut varier de 80 à 120 euros par mètre carré. Une solution de base qui coûtera entre 80 et 90 euros par mètre carré peut comprendre la gestion des éclairages, des stores, du chauffage et du portier vidéo, depuis un écran domotique ou tout type de support mobile, en local ou à distance. Si l’on rajoute des interrupteurs tactiles et intelligents, un pack sécurité incendie et un pack énergie pour l’enregistrement, l’analyse et la gestion des consommations, on sera autour de 100 à 120 euros le mètre carré. Les prix sont relativement stables et on ne peut malheureusement pas parler de démocratisation dans la période actuelle car notre secteur est impacté comme les autres par certaines pénuries et la hausse du prix des fournitures et surtout des composants électroniques. Notre objectif est donc de stabiliser nos prix malgré ces hausses. Nous sommes petits et flexibles avec de bonnes relations avec nos fournisseurs.
Le fait que l’énergie soit le sujet phare du moment vous aide-t-il à vendre plus?
Nous commençons à ressentir l’impact de la crise énergétique et voyons un intérêt grandissant pour nos outils dans ce cadre. Ils fournissent en effet des informations précieuses. Le classement énergétique des constructions reste théorique. Or, un bâtiment récent, classé A, peut se révéler très énergivore s’il est mal utilisé. L’association SBA (Smart Building Alliance) plaide pour un référencement énergétique en utilisation plutôt qu’en théorie. Cela existe déjà pour l’immobilier de bureau et va se développer dans le résidentiel et dans ce cadre, nous aurons clairement une carte à jouer. L’attention accrue portée au contrôle des consommations énergétiques nous permet également de viser un autre type de logements que celui des grands espaces où priment le confort, le design et la facilité d’utilisation. Les bailleurs sociaux, qui faisaient déjà partie de nos cibles auparavant, se montrent de plus en plus intéressés par nos solutions qui permettent de contrôler les consommations et donc de contenir les factures d’énergie des populations auxquelles ils s’adressent. Différentes études estiment entre 15 et 30% les économies réalisables grâce aux systèmes domotiques car ceux-ci permettent de programmer les moments de chauffe, de commander facilement à distance la mise en route ou la coupure de certaines installations et, grâce à différents capteurs, de déclencher certains dispositifs uniquement en cas de présence. Cela s’ajoute à la possibilité de visualiser en temps réel sa consommation et donc de l’adapter ou, mieux, de l’automatiser. Dans ces projets-là, la domotique n’a plus pour objet d’apporter du confort, même si elle le fait automatiquement, mais bien d’aider des familles à faibles revenus à mieux gérer leurs dépenses d’énergie.
Vos solutions sont-elles subventionnables du fait qu’elles permettent une meilleure maîtrise de la consommation d’énergie ?
Dans certains pays, oui. En Italie, l’État a mis en place des subsides qui font que nos installations sont pratiquement entièrement remboursées. De ce fait, nous y avons vu une très grosse augmentation des commandes de packs énergétiques. Cela conscientise les gens sur la nécessité de suivre leur consommation et les incite à avoir recours à des solutions de suivi comme les nôtres. Malheureusement, il n’existe pas de système analogue au Luxembourg mais nous sommes prêts à partager nos connaissances et notre expérience sur le sujet avec les autorités pour faire évoluer les choses.
Pour distribuer vos produits, vous passez par un réseau d’installateurs indépendants. Comment pouvez-vous garantir la qualité?
Ce sont des installateurs agréés, formés à nos produits. Nous avons d’ailleurs l’avantage que nos produits sont très simples à programmer et ne demandent pas une formation longue. Nous restons en contact permanent avec le réseau des installateurs grâce à une plateforme d’échanges où ils peuvent poser toutes leurs questions d’ordre technique et nous remonter les rares problèmes qui peuvent survenir. C’est aussi une base de données qui répertorie l’historique des situations rencontrées. Nous apprécions beaucoup cette proximité avec les installateurs car les évolutions techniques sont très rapides dans notre domaine et ils représentent une bonne source d’information.
Quelles sont les évolutions technologiques attendues dans le domaine de la domotique?
La principale évolution devrait venir de la mise en place d’un protocole non filaire standard en remplacement de la trentaine qui existe actuellement. Cette évolution viendra des GAFAM. D’ailleurs ce nouveau protocole, MATTER, a été récemment présenté au public. Ceci permettra une intégration plus aisée entre la domotique et les différents objets connectés. Parallèlement, on verra le nombre d’objets connectés se multiplier et donc l’intérêt pour des solutions centralisées comme les nôtres se développer. On assistera également à la multiplication des capteurs qui permettront d’encore mieux gérer les consommations énergétiques. Le développement des algorithmes d’intelligence artificielle nous permettra de proposer des scénarios de programmation encore plus précis en fonction des habitudes de chacun.
Quelles sont vos perspectives d’avenir?
Nous sommes très ambitieux pour les années à venir car le marché est en pleine croissance. Nous sommes agiles et notre produit est différenciant. Cela nous rend confiants pour le développement international que nous allons accélérer. D’un point de vue technique, nos équipes d’ingénieurs travaillent sur les différentes utilisations possibles de l’intelligence artificielle. Pour ce faire, nous avons embauché des spécialistes de l’analyse des données. Nous surveillons aussi de près l’évolution des capteurs pour individualiser au maximum certaines commandes. Nous voulons bien entendu saisir les opportunités offertes par la problématique de l’énergie et également développer une offre ciblant les personnes âgées. Ce sont les deux grands chantiers de nos ingénieurs. Nos produits sont tout à fait pertinents pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées ou souffrant de handicap. Ils peuvent intégrer des objets connectés tels que les capteurs de tension, les alarmes anti-chutes… ce qui est très pratique et rassurant pour les aidants ou le personnel médical. Via l’intelligence artificielle, nous pouvons analyser les habitudes des personnes âgées et intégrer des schémas d’alerte si la personne ne les respecte pas, ce qui peut être le signe d’une détresse. On peut aussi faciliter leur quotidien. Par exemple, pour les malentendants, remplacer certains sons, sonnette de porte, sonnerie du téléphone, par des alertes lumineuses, installer des capteurs déclenchant automatiquement l’éclairage et ainsi réduire le nombre de gestes nécessaires pour vivre bien chez soi. Pour 2023, nous avons un beau projet d’équipement d’une résidence senior à Metz. En plus de faciliter le maintien à domicile et d’assurer un suivi des occupants, il intégrera une multitude de services partagés (réservation de coiffeur, bibliothèque, restaurant, salle des fêtes) qu’il sera possible de réserver via notre système.
Vous avez alterné des fonctions dans l’industrie et dans le conseil. Qu’est-ce que cela vous apporte pour votre fonction actuelle?
Je suis ingénieur de formation, j’aime la technologie et les beaux produits. J’ai dirigé des entreprises industrielles multinationales, j’y ai appris la rigueur, la valeur du travail en équipe, l’amour du produit et l’importance de la qualité. Dans le monde du conseil, j’ai appris à me mettre dans la peau du client, à gérer le risque et la croissance. Dans mon rôle actuel, comme dans toute ma carrière, j’ai toujours considéré que le boss est au service de sa société et de ses employés. Je me positionne donc comme une personne au service des talents de DOVIT.
Dans votre profil LinkedIn, on trouve les mots «Fun in business», «plaisir », «bonne humeur »… Comment cela se traduit-il dans votre quotidien de manager ?
Ce qui me plaît, c’est de voir les personnes avec lesquelles je travaille progresser, m’épater et s’éclater. Pour cela, je délègue beaucoup, j’ai une totale confiance en mes équipes. Nous avons droit à l’échec. Il nous fait avancer, pour autant que nous en parlions ouvertement et c’est pourquoi la confiance dans l’équipe est primordiale.
Plus d'information : www.dovit.com/
TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize et DOVIT (1, 3, 4, 5 et 6)