Le mot « muséal » est encore un néologisme en 1999 quand Pierre-Antoine Laurent le choisit pour baptiser sa nouvelle activité d’édition et de distribution d’objets inspirés du patrimoine artistique et historique du Grand-Duché. Depuis, l’adjectif est entré dans le dictionnaire, mais il ne faut y voir aucun lien de cause à effet.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de créer cette activité ? Avez-vous fait des études d’histoire de l’art ?
« Je n’ai pas étudié l’histoire de l’art, mais j’ai toujours eu l’amour de l’art et des belles choses. Muséal est l’histoire d’une belle opportunité. Je menais carrière dans le marketing international, la direction des achats puis la direction de filiales d’entreprises françaises et allemandes. J’ai travaillé dans divers secteurs assez éloignés du monde artistique. Puis j’ai travaillé au Luxembourg, pour un grand cimentier allemand. J’avais pris ce poste pour 2/3 ans, à la suite de quoi je devais rentrer en France, auprès de ma famille. Mais à ce moment-là, un magasin de la Grand-Rue, distributeur exclusif des objets des Musées de France, cherchait un repreneur. J’y ai vu un coup de pouce du destin pour me rapprocher de ma passion pour l’art. J’ai donc repris cette activité, sans le local qui était en fin de bail. Je me suis installé rue du Saint-Esprit. C’est là que j’ai rencontré Danièle Wagener, directrice du Musée d’histoire de la Ville, qui m’a demandé de devenir l’exploitant de la boutique de son musée et d’éditer des reproductions de certaines pièces. L’aventure Muséal était lancée.
J’imagine que la mise de départ pour ce type d’activité n’est pas négligeable...
« En effet, il faut financer un local, le stock de marchandises et les salaires des employés. Heureusement, j’avais 40 ans et déjà acquis une certaine expérience commerciale et financière. Avec l’appui de la Bil, j’ai pu investir 100.000 euros dans l’affaire. L’avantage du point de vente physique est que l’on réalise des ventes immédiatement ; le chiffre d’affaires ne se fait pas attendre.
Quelles difficultés et opportunités avez-vous rencontrées ?
« L’histoire de Muséal a plutôt été jalonnée d’opportunités. Au départ, en 1999, l’édition d’objets d’art issus du patrimoine luxembourgeois n’existait pas. C’était donc un marché neuf où la concurrence était peu développée. À partir de 2015, avec la stratégie de nation branding, ce marché de niche se révèle porteur. Entre ces deux dates, il y a eu quelques jolies surprises : être sélectionné lors de l’année culturelle 2007 pour la production et la diffusion des objets à l’effigie du cerf bleu, avec un pop-up store très visible dans le quartier Gare, obtenir le brevet de ‘fournisseur de la Cour’ en 2012 ou encore le label ‘Made in Luxembourg’ en 2014. Toutes ces étapes sont des atouts pour avoir de la visibilité et de la notoriété et cela peut nous aider à développer la clientèle des entreprises, car la principale difficulté réside dans la taille réduite du marché luxembourgeois des amateurs d’art qui rend difficile l’amortissement des coûts d’édition pour chaque objet.
Quelle est la valeur ajoutée spécifique de Muséal ?
« Nos créations sont toutes conçues et dessinées au Luxembourg. Ensuite, pour la fabrication, nous avons identifié un réseau d’artisans d’art extrêmement talentueux qui acceptent de fabriquer en toutes petites séries. C’est cela qui fait notre force, notre carnet d’adresses d’artisans-artistes.
Muséal a connu plusieurs adresses. Cela traduit-il un problème lié aux loyers du centre-ville ?
« Les loyers du centre-ville peuvent en effet s’avérer prohibitifs pour des commerçants indépendants, mais dans notre cas l’abandon d’un magasin physique et l’adoption d’un show-room, complété d’un site internet, correspond en fait à un changement de business model. De commerçants en objets d’art nous sommes devenus éditeurs d’objets. Le point de vente physique n’était donc plus indispensable. Sans compter qu’un magasin est extrêmement chronophage, car il nécessite une présence sur toute l’amplitude horaire des heures d’ouverture. Cela représente un coût de personnel important, sans parler des difficultés logistiques que nous avions rue Saint-Esprit, qui est quasi impraticable pour les livreurs et où les surfaces de stockage se trouvaient en sous-sol.
N’ayant plus de vitrine en ville, comment faites-vous la promotion de votre gamme d’objets ?
« Le site internet et le show-room de Bonnevoie, où nous recevons sur rendez-vous, sont des vitrines permanentes. Nous envoyons des e-mailings pour présenter nos nouveautés. Nous avons un partenariat avec le Luxemburger Wort. Régulièrement, une vente est organisée dans leurs locaux avec présentation préalable des objets sur une pleine page du journal.
Notre directrice d’activités, Nathalie Davila Levy, entretient quant à elle des relations privilégiées avec nos clients et prospects entreprises et administrations. Nous avons aussi nos propres événements autour de certains artistes ou artisans, avec vernissage sur invitation. Le prochain événement de ce genre aura lieu au Cercle Munster en septembre autour de Max Guéguen, peintre spécialisé en armoiries, que nous avons fait travailler sur le blason du Luxembourg et celui de la Cour grand-ducale.
Comment enrichissez-vous la gamme ? Avez-vous le droit de reproduire n’importe quelle oeuvre ?
« Pour trouver de nouvelles idées d’objets à éditer, nous organisons des brainstormings sur le thème du patrimoine et de l’architecture. Nous lisons beaucoup et nous rencontrons des artistes. Chaque objet a une histoire. Quelques exemples : la Vierge noire de Saint-Jean du Grund appartient au domaine public, puisque son auteur est mort depuis plus de 70 ans. Nous avons quand même dû obtenir l’autorisation de l’archevêché, ainsi que de la fabrique d’église. Il n’était pas question d’emporter la statue hors de l’église pour la mouler. Nous l’avons donc juste extraite de sa niche quelques instants pour pouvoir la scanner en 3D et fabriquer le moule d’après ces mesures. Dans le cas de la Mélusine de Serge Ecker, nous avons rencontré l’artiste et lui avons proposé de populariser son oeuvre. Nous avons passé un contrat avec l’artiste et la Ville de Luxembourg, commanditaire de l’oeuvre. Comme il s’agit d’un artiste contemporain, nous lui versons des royalties. Quand il s’agit de pièces de musées, nous passons un contrat avec le conservateur et en général on nous confie la pièce pour le moulage. Chaque pièce est donc une aventure. C’est d’ailleurs cet aspect du métier que je préfère.
Quels sont vos projets d’avenir ?
« En moyenne, nous éditons trois nouvelles pièces par an. 2016 ne va pas échapper à cette règle. Nous allons éditer la statue du Renert dans une résine de couleur, nous allons avoir une nouvelle gamme de cristallerie et un nouveau coffret oenologique artistique. Et bien sûr, nous continuerons à imaginer des objets sur mesure pour la clientèle corporate. Nous préparons par exemple un set de tasses à expresso pour le groupe RTL. »
Muséal en quelques faits et chiffres :
- 70 % du chiffre d’affaires est réalisé avec la clientèle corporate, 30 % avec la clientèle privée.
- 75 % des ventes sont réalisées enB2B, 20 % chez des revendeurs (Luxembourg House, Hôtel Le Royal,boutiques de musées et d’hôtels) et 5 % sur internet.
- La gamme comprend une centaine d’objets, allant de 15 € à plus de 4.000 €.
- La meilleure vente en valeur est la Gëlle Fra en bronze.
- La meilleure vente en volume est le coffret oenologique (vins et eaux-de-vie de Moselle).
Texte : Catherine Moisy – Photos : Emmanuel Claude / Focalize