Entreprise Luxembourg 4.0 - Pour une gouvernance publique innovante

Affaires économiques

Actualité et tendances n°20

De gauche à droite: Michel Wurth, président de la Chambre de Commerce, Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce, Marc Wagener, directeur affaires économiques de la Chambre de Commerce et Laure Demezet, attachée, Affaires Economiques

Le Luxembourg, les entreprises et l’Etat doivent affronter une double transition, écologique et numérique. La réussite de cette transition fera évoluer notre pays vers un nouveau modèle de croissance : celui de la croissance qualitative. Ce n’est en effet qu’en se dirigeant vers une économie durable et interconnectée que le Luxembourg pourra tirer son épingle du jeu et maintenir pour les générations futures le niveau de vie et la cohésion sociale d’aujourd’hui. Et ce, en misant sur les gains de productivité et sur une efficience optimale des ressources.

La nouvelle publication de la Chambre de Commerce constitue un mode d’emploi pour y arriver. Elle place l’activité entrepreneuriale, et notamment celle des PME, au cœur d’une société forte, durable et inclusive et reconnaît l’importance de l’action publique pour faciliter, ou au contraire, freiner la double transition.

La Chambre de Commerce identifie d’abord quatre mesures phare pour établir les fondements du modèle, autant de prérequis sans lesquels les autres recommandations demeureraient sous-efficientes :

  • Il faut endiguer le retour de l’inflation. Celle-ci rend en effet l’activité économique plus chère et moins compétitive sans pour autant en augmenter l’efficience. Ainsi, il faut acter un gel des prix administrés, dont l’inflation dépasse significativement l’inflation générale. Cette mesure serait par ailleurs une incitation aux gains d’efficience au sein de l’administration.
  • De nombreux secteurs dépendent davantage de la demande transfrontalière que de la demande nationale. C’est pour cela que l’indexation, même peu fréquente, porte préjudice en l’absence de gains de productivité concomitants. Il y a lieu de considérer une désindexation générale de l’économie ou, à défaut, une limitation des automatismes réglementaires (une indexation au maximum tous les 18 mois, par exemple).
  • Notre organisation du temps de travail est vétuste et dépassée et la flexibilisation profite actuellement aux seuls salariés. Il faut au contraire disposer d’une organisation proche du terrain et digne du monde digitalisé du 21e siècle, à rebours d’un carcan rigide national qui étouffe nos PME.
  • La transition écologique ne pourra s’effectuer que par une utilisation plus efficiente des ressources, la promotion de l’économie circulaire ou encore la mobilité durable. Le Luxembourg doit parvenir à mieux utiliser ses ressources. La durabilité de son modèle en dépend.

Ensuite, la Chambre de Commerce identifie six rôles majeurs que l’Etat 4.0 doit endosser afin de tracer la voie de la croissance 4.0 :

  • L’Etat entrepreneurial place les PME au centre, adopte un 5e plan national ambitieux en leur faveur, effectue une refonte complète de la législation en vigueur, en y coupant les « branches mortes », livre enfin le sursaut de simplification administrative tant attendu, préfère les procédures de notifications aux procédures d’autorisations, favorise les activités de R&D, en simplifie l’accès pour les PME et mène une politique industrielle univoque.
  • L’Etat durable sécurise les approvisionnements énergiques à des prix compétitifs, favorise l’efficacité énergétique et la promotion des énergies renouvelables économiquement viables, soutient les initiatives européennes pour une « Union de l’énergie » et centralise les démarches liées à l’aménagement du territoire, l’environnement, l’eau, les autorisations de bâtir, etc, auprès d’un seul interlocuteur « front office ».
  • L’Etat ouvert prône l’ouverture et défend les libertés fondamentales européennes, soutient et promeut un commerce extérieur basé sur les principes du multilatéralisme, tisse des relations durables et favorise l’accès du Luxembourg à de nouveaux marchés porteurs, parachève les efforts en matière de nation branding, prévoit une concertation optimale des acteurs publics intervenant dans l’internationalisation et dote le pays en infrastructures MICE (meetings, incentives, conventions, exhibitions) modernes.
  • L’Etat social attaque le défi du logement par une gouvernance intégrée, à rebours d’une organisation qui empêche plus qu’elle ne favorise l’offre, rétablit l’équité intergénérationnelle en adaptant notamment les pensions et l’assurance dépendance aux enjeux du futur, n’augmente pas le SSM à charge des entreprises car ceci diminuerait la richesse à partager, mais pas le nombre de personnes exclues. Il ne complexifie pas davantage l’organisation des PME à travers des dispositifs unilatéraux en matière de congé parental si ce n’est en leur donnant une chance de pouvoir s’adapter aussi à la flexibilité accrue accordée à leurs salariés, ni ne réduit le temps de travail de façon générale. Néanmoins, l’amélioration des transports publics, la flexibilité des horaires de travail et la recherche du télétravail permettraient d’augmenter le temps de loisirs, sans pour autant réduire le temps disponible au service des entreprises. Il réduit en outre la dualité du marché du travail (secteur public et secteur privé), valorise le travail en démantelant les trappes à l’inactivité et conçoit le dialogue social avant tout au niveau des secteurs et à l’intérieur des entreprises. L’Etat social d’un pays doté d’une économie forte mène un débat objectif sur la pauvreté, grâce à des mesures efficaces pour réduire le coût du logement pour les personnes à revenu modeste et la prise en compte des prestations en nature permettant de réduire drastiquement le niveau de pauvreté et trouve les moyens - grâce à un dialogue social de qualité dans les entreprises et des mesures et transferts ciblés - de faire en sorte que chacun se retrouve dans la société et obtienne un maximum de chances de se développer. Au-delà de la politique sociale et du dialogue social, un système éducatif performant et la possibilité d’accéder à un logement décent à un coût acceptable font partie de la responsabilité d’un Etat moderne. 
  • L’Etat formateur est le partenaire des organisations professionnelles. Il soutient leurs offres, véhicule les valeurs de l’entrepreneuriat dans les écoles, favorise la formation professionnelle à tous les niveaux et créer un cadre propice à l’acquisition des connaissances et des compétences, augmente la force d’attraction du Luxembourg pour les talents étrangers, réduit le gaspillage humain suite aux échecs et décrochages scolaires et met en œuvre des filières unilingues à l’école.
  • L’Etat dirigeant instaure une évaluation générale des politiques publiques pour augmenter l’efficience des dépenses, montre l’exemple en poussant la digitalisation des services publics (« Etat 4.0 »), renforce le rôle du fonds souverain, dote le Luxembourg d’une feuille de route fiscale permettant de rétablir et de maintenir durablement la compétitivité fiscale et mène une stratégie globale de mobilité et d’amélioration des infrastructures du pays.

Les maîtres-mots de cette feuille de route, celle qui mène à la croissance qualitative, sont la cohérence, la concertation et la coopération. En effet, trop de silos, de compétences partagées, de contradictions ou de sous-efficiences au niveau de l’Etat risquent de nuire à la transition numérique et écologique. Il y a moyen de mieux faire, notamment en recentrant l’action de l’Etat autour des grandes fonctions étatiques, autour d’un nombre restreint de superministères coordinateurs, en consolidant les interlocuteurs des citoyens, entreprises et investisseurs dans un « front office » public et en privilégiant les procédures administratives de notifications à celles d’autorisations. Des défis complexes requièrent des solutions cohérentes et des politiques intégrées.

Les 10 mesures phare

  1. Contrôle de l’inflation : Passer par le gel des prix administrés et des cotisations sociales, mais aussi par la modulation de l’index sur la durée totale de la législature et la maîtrise de la masse salariale publique et parapublique.
  2. Réformer l’organisation du travail : Proposer une réforme ambitieuse en matière d’organisation et de flexibilisation du travail en lien avec la digitalisation, avec un « empowerment » important des secteurs et des entreprises ; favoriser le travail en démantelant les trappes à l’inactivité.
  3. Elaborer un plan PME : Mettre les PME et la simplification administrative au centre de l’économie et élaborer un 5ème plan d’action national en faveur des PME avec l’appui du Haut Comité pour le soutien des PME et de l’entrepreneuriat.
  4. Des stratégies nationales pour des défis nationaux : Définir et mettre en œuvre une gouvernance nationale en matière de logement et définir une stratégie nationale en matière de R&D publique cohérente et liée aux objectifs de diversification économique, soutenir activement et/ou financièrement les activités de skilling à tous les niveaux.
  5. Définition d’une politique industrielle et de diversification : S’engager dans un dialogue pour définir une politique ambitieuse, suite à l’organisation des « assises de la diversification ».
  6. Création d’un « Front Office » public : Amorcer la centralisation de toutes les démarches administratives publiques en un seul « Front Office » et créer un interlocuteur public unique pour les citoyens, les entreprises et les investisseurs. Définir une stratégie de notifications, en remplacement des autorisations.
  7. Repenser le système de pension : Déposer un projet de loi permettant de rétablir la durabilité du système de pension et l’équité intergénérationnelle.
  8. Une langue principale d’enseignement : Préparer le projet pilote d’un régime à deux filières linguistiques parallèles pour le tester dès la rentrée 2019/2020.
  9. Ouverture : Consolider et développer l’orientation et l’ouverture internationale du Luxembourg, mettre en œuvre une politique de promotion ambitieuse grâce à des infrastructures modernes, prévoir une politique d’intégration et d’attraction volontariste et un régime linguistique en phase avec les réalités socio-économiques.
  10. Rétablir la compétitivité fiscale : Définir une feuille de route fiscale ambitieuse pour les entreprises établies, les talents, les chercheurs, les start-ups et la propriété intellectuelle.


L’ensemble de ces mesures doit être porté par un Etat 4.0 financièrement soutenable et doté d’une gouvernance intégrée : digitalisation des procédures et services publics, recentrage de l’action de l’Etat autour des grandes fonctions gouvernementales, nombre restreint de « superministères » centralisateurs, droit d’émettre des directives par le Premier Ministre, concertation transversale, ouverture de la fonction publique, évaluations des politiques publiques, budgétisation selon les objectifs et les performances, etc.