À 50 kilomètres au nord de la capitale se trouve une manufacture où des hommes et des femmes travaillent avec passion bois précieux, or, corne, soie, cuir et autres matières nobles, pour en faire des lunettes uniques, made in Luxembourg, distribuées dans le monde entier. Rencontre avec Maurice Leonard, fondateur de la société Wood Optic.
Pouvez-vous nous dire ce qui vous a donné envie de lancer cette activité, après un début de carrière dans la finance ?
« Je suis fils d’entrepreneur. J’ai toujours entendu mon père dire qu’il fallait être différent, voire unique pour réussir, pour arriver avant les autres, plus vite. Je voulais donc lancer ma propre affaire, mais pas avant d’avoir trouvé LE concept inédit. Cette opportunité s’est présentée dans la lunetterie, suite à une rencontre de hasard aux abords d’un terrain de football. J’y ai croisé quelqu’un qui avait le projet de fabriquer des lunettes en bois précieux. J’ai trouvé que c’était original et nouveau et j’ai décidé de relever le défi.
Je suppose qu’il s’agit d’une activité qui demande un gros investissement de départ ?
« Au début je n’avais à ma disposition que de l’argent familial. Pour financer les 10 ans de recherche et développement qui ont été nécessaires à la mise au point du produit et du processus de fabrication, j’ai commencé par distribuer d’autres marques de lunettes, dont Boucheron, ce qui m’a permis de mettre un pied dans le luxe. C’est grâce à cela que j’ai pu financer les premières machines également.
Pourquoi avez-vous implanté votre activité au Luxembourg ?
« Étant originaire du Luxembourg belge, j’ai regardé les possibilités des deux côtés de la frontière. Mais finalement c’est au Luxembourg que nous avons trouvé les locaux qui correspondaient le mieux à nos besoins. Ce choix, que nous n’avons jamais regretté, nous a permis, en outre, de bénéficier de charges salariales moins élevées qu’en Belgique, et d’un très bon contact avec l’administration, qui accueille et soutient volontiers les entrepreneurs et qui est très tournée vers l’international. Nous avons notamment bénéficié de l’aide de l’Office du Ducroire pour la R & D, la publicité ou la participation à des foires.
Quelles sont les difficultés et les opportunités qui ont jalonné le parcours de l’entreprise ?
« La plus grosse difficulté concerne justement les foires internationales. Celles de Paris, Milan, New York et Las Vegas sont tout simplement incontournables mais coûtent beaucoup d’argent. Nous y maintenons une présence coûte que coûte, quitte à avoir un petit stand. Sur place nous sommes confrontés à la concurrence d’acteurs beaucoup plus gros que nous et qui font grimper les standards pour être visible.
Du côté des opportunités, le parcours de l’entreprise a été jalonné d’hommes et de femmes qui sont tombés amoureux du produit, un peu partout dans le monde et sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour développer les ventes. En outre, notre présence à l’international nous permet de rebondir. Lorsqu’un marché se porte moins bien, nous trouvons des relais de croissance dans une autre zone du monde.
En 2010, vous avez souhaité bénéficier d’un mentoring alors que votre société avait déjà 15 ans. Qu’avez-vous appris ?
« J’ai entrepris cette démarche pour rompre la solitude bien connue du chef d’entreprise, renforcée dans mon cas par le fait d’être situé tout au nord du pays, loin de la capitale. J’ai vécu le mentoring comme une belle expérience de partage, non seulement avec mon mentor mais également avec les autres mentorés. J’ai gardé des relations avec quelques-uns d’entre eux. À l’époque j’étais confronté à certaines décisions que j’ai pu valider et prendre plus vite grâce au mentorat.
Venons-en au produit. Comment créez-vous les nouveaux modèles ?
« Il faut compter environ 18 mois de développements pour la mise au point d’un nouveau modèle. Nous en créons près de 80 chaque année, en deux collections. Pour cela nous travaillons avec une cheffe de produit indépendante avec laquelle nous élaborons un brief qui est ensuite remis à plusieurs designers indépendants, spécialisés en lunetterie, maroquinerie ou accessoires de mode. Ceux-ci nous remettent leurs dessins et nous faisons alors un choix avec le service Recherche et Développement et le directeur technique. Nous faisons des tests de faisabilité, pour améliorer la finesse et la flexibilité de la matière, par exemple.
Proposez-vous des modèles exclusifs à certains clients ?
« Nous sommes tout à fait capables de faire du sur-mesure complet, mais cela sous-entend la fabrication d’un moule unique pour un seul client. Cela revient à environ 5.000 euros et s’avère généralement prohibitif. Par contre, comme notre gamme est très étendue et que le choix des combinaisons matière couleur est quasi-infini, les clients peuvent vraiment imaginer le modèle de leur choix, avec l’aide de nos opticiens revendeurs qui connaissent très bien les possibilités.
Est-ce que le positionnement « luxe » demeure un bon choix stratégique ?
« Dès le début, nous avons fait le choix de la qualité. Ceci implique une fabrication à la main par une main-d’oeuvre qualifiée, l’utilisation de matériaux nobles et un niveau de finition impeccable. Nous laissons le temps nécessaire aux équipes pour qu’ils fabriquent le plus beau produit du marché. Tout cela a nécessairement un coût, donc nous sommes obligés de garder un positionnement de produit de luxe.
Quelle est votre politique de distribution ? Selon quels critères sélectionnez-vous vos revendeurs ?
« Partout dans le monde, nous visons les rues incontournables du shopping haut de gamme. À Luxembourg, c’est la rue Philippe II, à Paris, la rue François 1er, à Londres, New Cavendish Street et à Los Angeles, Beverly Hills. Nous repérons les opticiens de ces secteurs et nous les approchons. De plus en plus, ce sont d’ailleurs eux qui viennent à nous car notre notoriété est maintenant bien installée.
Notre politique de distribution est sélective mais pas exclusive. Nous avons trois niveaux de partenariats : les boutiques ‘partenaires’ qui proposent en moyenne une trentaine de nos références, les ‘corners’ qui ont plus ou moins 50 références et les ‘flag ships’ qui ont toute la gamme, une signalétique très forte et un excellent niveau de service. Nous souhaitons ouvrir cinq flag ships par an. Le dernier en date est celui d’Osaka, qui a ouvert en novembre. Ce sont en général des opticiens qui sont déjà clients, qui apprécient énormément la marque Gold and Wood et veulent passer à un niveau supérieur.
Dans notre politique de distribution, nous nous engageons à ne pas concurrencer nos clients par des ventes directes sur internet. Notre site est avant tout une vitrine et un outil de vente B2B. Notre produit ne peut pas s’acheter à distance. L’expérience en magasin est très importante pour que le client puisse toucher la matière, expérimenter le confort. Pour vendre nos montures, il faut une formation adéquate, par exemple pour le montage des verres. Ceci est le travail des opticiens.
Quels développements futurs prévoyez-vous ?
« Nous souhaitons avant tout renforcer notre visibilité et notre notoriété au Luxembourg car nous estimons que notre volonté d’être très présents à l’international doit s’accompagner d’une présence forte sur notre propre marché, en tant que marque nationale. Nous allons aussi développer la gamme des lunettes pour femmes car c’est une cible très sensible au design et qui n’hésite pas à parler des produits qu’elle aime. Nous devons enfin faire un travail de cohérence de nos actions marketing et de communication. Nous voulons traduire dans une identité graphique et une baseline l’ADN de la marque, fait de design français et de rigueur germanique. Nous allons confier cette mission à une agence luxembourgeoise, pour accentuer notre ancrage local.
Et aujourd’hui, quels dossiers avez-vous sur votre bureau ?
« Je m’envole dans deux heures pour l’Asie, à l’occasion de la Hong Kong Optical Fair (9-11 novembre). Je vais y voir des clients, visiter des points de vente, rencontrer des fournisseurs de PLV. Je vais également en profiter pour recevoir des grossistes du Japon, de Corée et de Taïwan. Et je vais rencontrer un fournisseur de titane. Bref, une semaine bien remplie. »
Texte: Catherine Moisy - Photos: Emmanuel Claude/Focalize